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Une définition de l’établissement distinct pour la mise en place du CSE. Par Clara Lefebvre, Élève-avocate.
Parution : mardi 19 mars 2019
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En l’absence d’accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place du CSE sont fixés unilatéralement par l’employeur compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel. En outre, la compétence du juge judiciaire pour statuer sur les recours contre la décision de la DIRECCTE saisie de la répartition porte sur l’ensemble des moyens de légalité interne et externe. Telles sont les solutions dégagées, pour la première fois, par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 décembre 2018 (Cass. soc., 19 décembre 2018, n°18-23.655). Analyse de cette décision qui bénéficie de la plus large publicité (P.B.R.I) [1]

Dans cette affaire, à l’occasion de la mise en place de comités sociaux et économiques (CSE) au sein de la société SNCF, la direction et les organisations syndicales représentatives de l’entreprise ont engagé une négociation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts, qui n’a cependant pas abouti.

Conformément aux dispositions de l’article L.2313-4 du Code du travail, l’employeur a fixé unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts. Sa décision a été contestée devant la DIRECCTE qui a toutefois procédé à un découpage identique. La décision de la DIRECCTE a ensuite été contestée par les organisations syndicales devant le tribunal d’instance qui, à son tour, a fixé le même nombre et périmètre d’établissements distincts. En conséquence, les organisations syndicales ont formé un pourvoi en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée, pour la première fois, sur la caractérisation de la notion d’autonomie de gestion pour fixer le périmètre des établissements distincts au sens du CSE. A cette occasion, elle a également précisé l’étendue des compétences du tribunal d’instance statuant comme instance de recours sur les décisions de la DIRECCTE.

I. Sur la notion d’établissement distinct pour la mise en place du CSE.

Le découpage de l’entreprise en établissements distincts peut résulter d’un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues à l’article L. 2232-12 du Code du travail. En l’absence d’un tel accord, un accord entre l’employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus peut déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts (art. L.2313-3 du Code du travail). Dans ces deux hypothèses, aucun critère de définition spécifique ou prédéterminée ne doit être observé pour la caractérisation des établissements distincts.

Il en va différemment lorsque l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (art. L. 2313-4 du Code du travail).

En l’espèce, les organisations syndicales requérantes soutenaient que l’autonomie des responsables des établissements distincts devait également s’apprécier au regard "d’une représentation de proximité anciennement dévolues au délégué du personnel et quant aux prérogatives en matière de santé et de sécurité anciennement dévolues au CHSCT".

Autrement dit, à coté de "l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel", jusqu’alors seul critère de détermination d’un établissement distinct depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, les organisations syndicales souhaitaient introduire une condition de proximité.

La Cour de cassation rejette l’argumentation et caractérise un établissement distinct au sens de l’article L.2313-4 du Code du travail comme "l’établissement qui présente, notamment, en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service".

Dans sa note explicative jointe à l’arrêt, la Cour de cassation indique que ce critère est très proche de celui qui avait été dégagé par le Conseil d’État pour la mise en place des comités d’entreprise, dans sa décision du 29 juin 1973 [2] complétée par une autre décision du 27 mars 1996 [3] qui se référait à "l’autonomie de l’établissement".

La jurisprudence du Conseil d’État s’attachait ainsi essentiellement à vérifier les pouvoirs consentis au responsable de l’établissement et l’autonomie de décision dont il pouvait disposer pour que le "fonctionnement normal des comités d’établissement puisse être assuré à son niveau", pouvoirs qui devaient être caractérisés en matière de gestion du personnel et d’exécution du service.

Dans cette affaire, la Cour de cassation estime que le tribunal d’instance a bien recherché les éléments lui permettant de vérifier le critère d’autonomie ainsi défini et que "les documents fournis par les syndicats contestataires, soit ne correspondaient plus à l’organisation actuelle des directions compte tenu de la réorganisation qui y était intervenue, soit ne démontraient pas l’existence de pouvoirs effectifs des responsables en matière de gestion du personnel et d’exécution du service."

II. Sur l’étendue des compétences du tribunal d’instance.

Aux termes de l’article L. 2313-5 du Code du travail, les contestations élevées contre la décision de la DIRECCTE fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts relèvent de la compétence du tribunal d’instance, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

Au cas particulier, le tribunal d’instance s’est déclaré incompétent pour statuer sur les contestations des organisations syndicales portant sur la légalité externe de la décision de la DIRECCTE (respect des principes d’impartialité et du contradictoire) au titre de la séparation des pouvoirs.

A cet égard, la Cour de cassation rappelle "qu’il appartient au tribunal d’instance d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la DIRECCTE et, s’il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige."

Cependant, la Cour de cassation n’en rejette pas moins le pouvoir. En effet "si le tribunal d’instance, a, par un motif justement critiqué par le moyen, décliné sa compétence pour statuer sur les griefs relatifs à la régularité formelle de la décision administrative, il a statué sur le fond, en fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts au sein des trois EPIC". Dans sa note explicative jointe à l’arrêt, la Cour de cassation précise que le moyen reprochant au tribunal d’instance de n’avoir pas annulé la décision administrative était inopérant, dès lors que le tribunal d’instance aurait été amené à fixer lui-même le nombre et le périmètre des établissements distincts s’il avait accueilli la contestation sur la légalité externe et qu’il l’avait dite fondée.

Toute en réaffirmant le bloc de compétence du tribunal d’instance en matière d’élections professionnelles, la Cour de cassation précise, pour la première fois, les suites que peut donner le tribunal d’instance à la contestation de la décision de la DIRECCTE lorsqu’il l’estime mal fondée.

En effet, la Cour de cassation avait déjà jugé qu’un tribunal d’instance saisi d’un recours contre une décision administrative qu’il estime mal fondée puisse se contenter de rejeter la demande (Cass. soc., 28 septembre 2016, n°16-60-052). Cet arrêt laissait planer un doute quant aux pouvoirs du juge judiciaire lorsqu’il estimait la décision administrative mal fondée : devait-il se contenter de l’annuler ou pouvait-il y substituer sa propre décision ?

Désormais le doute est levé : en cas de décision administrative mal fondée, le juge judiciaire se prononce en lieu et place de l’autorité administrative. Cette solution peut s’expliquer par la nécessité de concentrer le contentieux dans les mains du juge judiciaire, conformément à l’esprit de l’article L. 2313-5 du Code du travail, mais aussi de clore le litige dans des délais relativement brefs compte tenu du processus électoral en cours.

Clara Lefebvre, Élève-avocate

[1Note de la Rédaction : Système de hiérarchisation des arrêts de la Cour de cassation.

[2CE, 29 juin 1973, n°77982 Compagnie Internationale des wagons-lits

[3CE, 27 mars 1996, n°155791 RATP