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Le devoir de mise en garde à l’epreuve de la prescription. Par Benjamin Blanc, Avocat.
Parution : jeudi 21 mars 2019
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Le banquier dispensateur de crédit est tenu non seulement à l’obligation d’informer et de conseiller l’emprunteur, mais également à un devoir de mise en garde.

L’obligation d’informer consiste à transmettre une information objective.

Cette obligation s’avérant insuffisante, la jurisprudence a développé le devoir de conseil.

Le professionnel du crédit est alors tenu de transmettre à l’emprunteur l’information et il doit s’assurer qu’il l’a bien comprise.

Le devoir de mise en garde est apparu plus tard, dans un arrêt du 12 juillet 2005 (Cass. Civ. 1ère, 12/07/2005, n°03-10921).

Il peut être défini comme étant l’obligation faite par le banquier d’évaluer le compétence professionnelle de son client au regard de sa maîtrise des opérations envisagées et des risques que ces opérations comportent.

Le banquier doit donc évaluer son client.

Le devoir de mise en garde suppose en effet que l’on soit en présence d’un client profane.

La Cour de Cassation a eu l’occasion de définir à plusieurs reprises ce qu’était un client ou une caution profane/averti (Cass. Ch. Mixte, 29/06/2007, n°05-21104 ; Cass. Com., 31/05/2011, n°09-71509 ; Cass. Com., 22/05/12, n°11-17935 ; Cass. Com., 13/09/2017, n°15-20294).

La Haute Juridiction a également eu récemment l’occasion de rappeler que la banque ne saurait manquer à son devoir de mise en garde sans endettement excessif de l’emprunteur (Cass. Com., 04/07/2018, n°17-15308).

En ce qui concerne la sanction au manquement de la banque à son devoir de mise en garde, celui-ci se résout en versement de dommages et intérêts.

Il s’agit d’une perte de chance de ne pas contracter.

En fin d’année 2018 et en début d’année 2019, la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser quel était le point de départ du délai de prescription.

Il convient dans ce cas de différencier la caution de l’emprunteur.

En ce qui concerne la prescription de l’action en responsabilité pour défaut de mise en garde exercée par la caution, le point de départ est fixé au jour où la caution a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises en exécution en raison de la défaillance du débiteur principal.

Le point de départ est donc la mise en demeure adressée à la caution.

Cela a été confirmé par un arrêt de la Cour de Cassation en date du 21 novembre 2018 (Cass. Com., 21/11/2018, n°17-21025 ; Cass. Com., 04/05/2017, n°15-22830).

Il en va en revanche différemment lorsque l’action en responsabilité sur le fondement du manquement par la banque à son devoir de mise en garde est engagée par l’emprunteur.

Dans ce cas, le point de départ du délai de prescription court à compter de la date de l’octroi du prêt.

Le délai de prescription court en effet à compter du dommage, c’est-à-dire dans notre cas à compter de la perte de chance de l’emprunteur de ne pas contracter, qui se situe au jour de la souscription du contrat de prêt (Cass. Com., 26/01/2010, n°08-18354 ; Cass. Com., 17/05/2017, n°15-21-260).

Or il semblerait que par un arrêt du 12 décembre 2018, les magistrats du Quai de l’Horloge aient apporté une atténuation à ce principe.

En se fondant sur l’article 2224 du Code Civil, 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation ferait courir le délai de prescription à compter du jour où l’emprunteur a effectivement connaissance du dommage (Cass. Civ. 1ère, 12/12/2018, n°17-21232).

Cette Chambre aurait donc une position divergente de la Chambre Commerciale.

Cette dernière a cependant fait évoluer/assoupli sa position par un arrêt du 13 février 2019.

Au terme d’un arrêt de principe rendu sous le visa de l’article 1147 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la Chambre Commerciale a énoncé le principe repris ci-après :

« Qu’en statuant ainsi, alors que le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, et qu’il résultait de ses constatations que le terme du prêt, remboursable in fine, n’était pas échu, de sorte que le risque, sur lequel la banque s’était abstenue de mettre Mme B... en garde, ne s’était pas réalisé, la cour d’appel, qui a indemnisé un préjudice éventuel, a violé le texte susvisé » (Cass. Com., 13/02/2019, n°17-14785).

Ainsi, le point de départ du délai de prescription serait fixé au jour du dommage, soit pour un prêt in fine au jour du remboursement.

Pouvons-nous en tirer la même conséquence lorsqu’il s’agit d’un crédit amortissable ?

Le dommage pour l’emprunteur ne devrait-il pas être fixé au jour de la déchéance du terme ou encore au jour de la première échéance impayée ?

Benjamin BLANC Avocat au Barreau de Bordeaux
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