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La protection des consommateurs dans le cadre des conflits électroniques. Par Zahra Reqba, Docteur en droit.
Parution : mardi 26 mars 2019
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A l’image du contrat de commerce international, le contrat de commerce électronique peut générer des conflits. En raison de la présence de l’élément d’extranéité qui a été accentué dans le cadre électronique, la compétence juridictionnelle et la compétence légale sont déterminées par les règles de droit international privé.

Classiquement, les textes phares en la matière étaient la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

Malgré tous les acquis qu’elles ont réalisés durant des années, ces Conventions sont devenues vieillissantes et totalement en déphasage avec le contexte électronique. Les critères de rattachement prévus par ces Conventions n’étaient plus adaptés aux mutations technologies, et laissaient planer de nombreuses incertitudes dont la protection des consommateurs qui était devenue compromise.

Devenus au fil des années des acteurs incontournables du commerce électronique, les consommateurs se trouvaient fréquemment au milieu d’un litige les opposant à un professionnel à distance. L’adaptation de leur protection au contexte électronique était nécessaire afin d’accroitre leur confiance en l’économie numérique et d’assurer la sécurité juridique des transactions.

Ainsi, et afin de tenir compte des exigences du commerce électronique au sein de l’Union européenne, les Conventions précitées ont été remplacées par les Règlement de Bruxelles I du 22 décembre 2000 modifié par le Règlement de Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 (concernant la compétence judiciaire) et par le Règlement de Rome I du 17 juin 2008 (concernant la compétence légale).

Le Règlement de Bruxelles I a apporté une innovation majeure en matière de rattachement juridictionnel dans les conflits qui opposent les professionnels aux consommateurs (qui a été repris par le Règlement de Rome I) : le critère de l’activité dirigée (I). Cependant, malgré cette avancée considérable, il demeure un critère ambigu en raison de l’absence de sa définition légale par le Règlement (II).

I) Le critère de l’activité dirigée : un critère dérogatoire pour déclencher la protection judiciaire des consommateurs dans les conflits électroniques.

L’article 15 du Règlement de Bruxelles I (repris par l’article 17 du Règlement de Bruxelles I bis) a instauré le critère de l’activité dirigée. Cet article a remplacé les conditions cumulatives de l’article 13 de la Convention de Bruxelles par une condition unique focalisée sur l’attitude du professionnel. Ainsi, la protection juridictionnelle et légale des consommateurs est déclenchée lorsque le professionnel « par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ».

Etant donné la nouveauté de ce critère, un minimum de précision s’impose aussi bien par rapport à la notion de « direction d’activité » que celle de « tout moyen ».
En effet, étant donné qu’il ignore la notion de frontières terrestres, le site internet du professionnel est accessible par défaut dans le monde entier.
Peut-on considérer que le critère de l’accessibilité suffit à caractériser une « direction d’activité » ? Une réponse affirmative à cette interrogation conduirait à déclencher la compétence juridictionnelle des tribunaux du monde entier et poserait un sérieux problème au professionnel qui devrait respecter dans ce cas les dispositions impératives de tous les pays dans lesquels le site est accessible. Une hypothèse pareille a été critiquée par la doctrine dans la mesure où elle conduirait à une protection efficace des consommateurs du monde entier, mais inéluctablement à un obstacle majeur à la libre prestation de services en ligne. L’absence regrettable de la notion d’activité a accentué son ambiguïté, ce qui a poussé la doctrine et la jurisprudence à un effort de cernement de cette notion.

II) Ambiguïté de la notion d’activité dirigée et tentative de délimitation.

Dans une déclaration commune, le Conseil et la Commission européenne ont tenté une définition de la notion d’activité dirigée. Ils ont souligné que pour qualifier une activité comme dirigée vers un État membre, « encore faut-il que ce site invite à la conclusion de contrats à distance et qu’un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. A cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site Internet ne constitue pas un élément pertinent ».

La doctrine a tenté de délimiter cette notion en avançant quelques théories dont la plus célèbre a été la théorie de la focalisation développée par O. Cachard qui repose sur la recherche de l’intention de l’opérateur du commerce électronique et le marché sur lequel il se focalise. Cette analyse est casuistique et se base sur la recherche d’indices pour chaque affaire. Par exemple si le site est actif et invite à conclure un contrat en ligne ; la langue, la monnaie, les pays de livraison etc.

La détermination de l’activité dirigée sur la base d’un faisceau d’indices a été la méthode selon laquelle s’est basée la jurisprudence européenne qui a apporté un grand éclairage sur cette notion. Précisant que cette dérogation doit être appliquée de façon stricte, la Cour de justice européenne à travers les célèbres arrêts Peter Pammer et Hotel Alpenhof du 7 décembre 2010 a précisé la notion d’activité dirigée en analysant l’intention du professionnel de contracter avec les consommateurs de certains pays non pas au stade contractuel mais en remontant au stade précontractuel. Elle a dressé une liste de faisceau d’indices pour permettre de déterminer l’existence ou non de l’activité dirigée.

La question de la protection des consommateurs dans le cadre des conflits électroniques est une question épineuse dans la mesure où le nouveau critère censé assurer un haut degré de prévisibilité eu égard au dénouement du conflit ne bénéficie pas de définition légale. Sa détermination demeure casuistique et tributaire de l’analyse que fait chaque juge à la lumière des éléments qui lui sont présentés.

La réforme du Règlement de Bruxelles I en 2012 a été l’occasion opportune pour redessiner les contours de l’activité dirigée, mais hélas a laissé persister cette lacune.

Espérons que cette ambiguïté sera dissipée lors d’une prochaine réforme afin que le critère d’activité dirigée assure pleinement son rôle d’assurer la protection des consommateurs dans le cadre de conflits électroniques.

Zahra REQBA, docteur en droit des nouvelles technologies