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L’Intelligence Artificielle et l’exercice du droit.
Parution : lundi 25 mars 2019
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« La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. » - Einstein – Voici comment l’intelligence artificielle et son évolution pourrait saisir le droit dans un futur déjà actuel.
Par Sacha Gaillard, Etudiant du D.U. Transformation digitale du droit et LegalTech.

Ce qui est palpable aujourd’hui, c’est la confluence du monde légal, qui est un milieu de tradition et de valeurs ancestrales évoluant grâce à des technologies nouvelles. Ces technologies ne sont pas forcément disruptives, elles sont parfois raisonnées. L’Intelligence Artificielle peut saisir le droit.

"Code is Law", la superposition de cette fameuse maxime de Lessig, permet d’apporter un éclairage intéressant sur la politique des architectures données. L’I.A va certes amener de nombreux bouleversements mais les juristes sauront y faire face. Tout l’enjeu sera de faire en sorte que ce soit l’IA qui soit investi par les juristes et non l’inverse.

L’essor des Legaltech, ces fameuses startups du droit, semble avoir pris de l’avance en terme de digitalisation du secteur légal. L’usage de la technologie et des logiciels pour offrir des services juridiques et rendre le droit plus accessible, implique que le secteur des Legaltech disrupte le droit à sa manière, en se basant très souvent sur des algorithmes développés et performants.

L’exemple du Machine Learning montre à quel point l’Intelligence Artificielle peut pousser une matière ancestrale, comme le Droit, dans ses retranchements.
L’apprentissage automatique est la définition même de l’intelligence artificielle apprenante qui améliore ses performances à résoudre des tâches sans être explicitement programmé. Il n’existe aucun encadrement juridique spécifique en la matière et tout dépendra des finalités prévues pour les algorithmes mis en place.

D’ailleurs, pour pouvoir fonctionner, les algorithmes de Machine Learning se basent sur des training set et nécessitent parfois des données à caractère personnel pour fonctionner. Cela entraîne donc des obligations documentaires renforcées notamment avec l’entrée en application du RGPD. En effet, le responsable du traitement doit, par lui-même, mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour se conformer au droit en vigueur.

Il sera question de voir dans quelle mesure le droit peut être saisi par l’intelligence artificielle, c’est-à-dire, jusqu’à quel point l’intelligence artificielle aura une influence réelle et effective sur le domaine légal. Pour ce faire, il convient d’étudier l’impact de cette intelligence sur les métiers du droit, sur le fonctionnement de la justice ou encore tenter de répondre aux questions de transparence et d’éthique que posent le développement de ces nouvelles technologies.

Impact de l’IA sur les emplois en Droit.

Le développement grandissant de l’intelligence artificielle et son impact sur les professions du Droit amène à s’interroger sur la place et le rôle du juriste de demain. La manière de faire du Droit évoluera dans les prochaines années et a en réalité, déjà, beaucoup évolué.

L’automatisation des process internes, le développement des smart contracts, les algorithmes de plus en plus intelligents, sont autant de problématiques auxquels les métiers du Droit doivent faire face et les anticiper autant que faire se peut. Comment ? L’essor, sur le marché du droit, des Legaltech qui, pour certaines, ont développé des solutions de digitalisation déjà très en pointes dans certains secteurs, permettent d’apporter des réponses efficaces aux enjeux de digitalisation notamment d’une direction juridique.

Deux écoles existent ; une première, que l’on appellera volontairement celle de « l’immobilisme », prônant le statu quo, opposée aux changements et promouvant le fait que l’intelligence artificielle est là pour remplacer le juriste sur le long terme opposant ainsi le développement de la technologie et la pratique traditionaliste du Droit. Ce premier mouvement accroit les réticences et les méfiances vis-à-vis du numérique.

Une autre école, que l’on baptisera « progressiste », est quant à elle favorable au développement d’une technologie maitrisée qui permettra de faire du professionnel du droit un « juriste augmenté ». Cette seconde école permettra une collaboration effective entre le numérique et le Droit, permettant au juriste de saisir de ces nouveaux outils digitaux, facilitant ainsi son travail au quotidien en s’affranchissant des tâches répétitives et redondantes.

Il est certain que l’IA pourra de grands services au monde du Droit, notamment dans un effort de rationalisation de l’information juridique facilitant ainsi les recherches.

Les limites de l’intelligence artificielle réside dans le fait que le raisonnement juridique reste propre à l’humain. La construction d’un syllogisme autour de prémisses semble appartenir, du moins pour le moment, exclusivement au juriste. L’adaptation, l’interprétation, l’émotionnel, sont autant d’attributs que la machine ne possède pas et c’est en cela que le paradoxe apparait ; sur ce point, ne serait-ce pas plutôt l’intelligence artificielle qui serait saisi par le Droit ?

Ainsi, pour le métier du juriste de demain, il faudrait voir l’intelligence artificielle comme un outil au service du juriste, aidant certainement à ce dernier à devenir plus efficace pour répondre à des demandes plus complexes. Le professionnel du Droit se concentrera alors sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

De façon générale, la profession juridique au sens le plus large du terme, reste un secteur dans lequel réside une forte valeur ajoutée quant au travail réalisé. Ainsi, pour les métiers du Droit il faut relativiser l’impact de cette technologie grandissante ; l’intelligence humaine restant la clef de voute de l’édifice juridique.

Fonctionnement de la Justice.

La justice « prédictive » est un exemple concret illustrant comment l’intelligence artificielle saisi le droit. Entrainant de sérieuses inquiétudes quant au fait que le jugement serait rendu sur des critères basés sur ce que des juges ont déjà jugé. Des limites légales existent déjà et des parades techniques sont déjà proposées, notamment avec l’open source du code ou des tests de vérification à partir de jeux de données.

Des réticences auprès des magistrats se font grandement ressentir, voyant le système traditionnel français de Civil Law, basculer avec ce phénomène vers un système de Common Law basé sur le précédent.

La mise en place d’une telle justice remettrait en cause le modèle classique sur lequel est fondé notre Droit. En effet, prédire des décisions de justice sur la base de décisions déjà rendues, c’est donc, passer progressivement d’un système de Civil Law à un système de Common Law.

Bien qu’il soit évident que la justice prédictive permette d’anticiper au mieux et de quantifier ses chances de gagner ou de perdre un procès, elle ne doit pas, in fine, être la solution technologique permettant de remplacer le juge. Cependant, cette prédiction participe volontiers à cette démarche de désengorgement des tribunaux, car elle vient dissuader certains justiciables d’engager une procédure en fonction de leurs chances de gagner ou non une affaire. Elle favorisera certainement les modes de règlements amiables des conflits en privilégiant la médiation, la transaction ou encore la conciliation.

La justice prédictive pousse donc à la transaction et peut réduire l’encombrement des tribunaux, confrontés à un sous-financement budgétaire. C’est en réalité la loi de 2016 pour une République numérique qui a fait entrer dans notre droit la mise à disposition du public à titre gratuit l’ensemble des décisions anonymisées.

Ainsi, cette loi a ouvert la voie à la justice prédictive. En la matière, l’intelligence artificielle s’apparente comme le « nouveau fantasme » d’objectivité pour la justice. Mais une fois de plus, il vaudrait mieux ici observer l’IA comme un assistant, un facilitateur et non comme un remplaçant. Assister le juge ou le juriste dans sa prise de ses décisions c’est faire le pari d’une intelligence artificielle qui collabore avec l’humain. Ainsi, le chemin vers une justice plus juste passerait par la voie de l’intelligence artificielle.

Avec son autonomisation et la complétude de son big data, l’intelligence artificielle permettrait le rendu d’une justice certainement plus fiable. Le juriste ne serait plus considéré comme le tenant exclusif de la faculté d’appréciation et de jugement d’une situation de droit mais serait supplanté, si l’on suit ce que l’on a dit précédemment, par une nouvelle instance de vérité estimée plus juste et plus viable.

Cependant, n’oublions pas que ce sont les humains qui sont à l’origine du travail créé par les algorithmes, il faut les faire évoluer et les adapter en permanence. L’humain reste donc au cœur du système, la question est davantage de savoir qui fera le droit de demain, est-ce le juriste ou l’ingénieur qui programmera les algorithmes pour les faire fonctionner. C’est en ce sens que l’intelligence artificielle saisira le Droit.

Le risque principal lié à la mise en place de ce système serait que des intelligences artificielles judiciaires soient à terme, en capacité de dépasser le cadre d’une seule justice prédictive pour se tourner vers une justice unique rendue par la machine. Ce risque se ressentira notamment avec le manquement de revirement de jurisprudence, ou d’analyses juridiques poussées et spécifiques sur un point de droit donné.

Si l’intelligence artificielle apprenante (ou forte) était apte à rendre une décision de justice, il en est autrement pour ce qui de la transparence quant aux choix effectués par la machine. Si les travers de la machine sont bien souvent les travers des hommes qui les ont programmées, il faudra comprendre pourquoi cette décision a été prise dans un sens et pas dans un autre.
Si l’on n’arrive plus à comprendre comment l’intelligence artificielle a rendu une décision, c’est que le Droit serait effectivement au service de cette intelligence et que cette dernière a en grande partie saisi la matière juridique.

L’enjeu de l’explicabilité.

Une décision algorithmique est dite « explicable » s’il est possible d’en rendre compte facilement à partir de données et caractéristiques connues de la situation. Expliquer comment une intelligence artificielle est arrivée à un résultat, serait le prérequis pour tenter d’éviter qu’elle saisisse effectivement le Droit en ayant l’impossibilité d’expliquer son raisonnement.

En effet, l’IA saisirait effectivement le Droit s’il était impossible de comprendre comment la machine a pris telle ou telle décision.

L’entrée en application du RGPD, le renforcement des législations existantes, la loi pour une République Numérique viennent indiquer la volonté de transparence et de loyauté dans l’utilisation des données par les algorithmes.

La transparence dans l’exécution des traitements algorithmiques est un enjeu de taille car elle impose une meilleure compréhension du processus décisionnel de l’algorithme. Pour que les individus placent leur confiance dans une intelligence artificielle, il est nécessaire d’instaurer une transparence la plus haute et une loyauté dans le traitement algorithmique qui l’anime. Derrière la notion d’explicabilité se cache la notion de « maîtrise ». La maîtrise du juriste dans le développement des algorithmes d’une intelligence artificielle apprenante. En effet, si maîtrise il y a, le phénomène de captation du Droit par l’IA se posera beaucoup moins.

Néanmoins, fournir de plus en plus de data à l’intelligence artificielle favorise son développement et contribue à l’idée qu’elle devienne moins maîtrisable et plus autonome. Cela impliquera que l’IA prendra petit à petit le contrôle de la matière juridique en permettant, notamment, de résoudre des tâches juridiques répétitives et à faible valeur ajoutée.

Une IA explicable est souhaitable également en raison du fait qu’elle permettra l’amélioration de la performance et d’aider à la prise de décision. La technologie serait à ce moment-là pensée comme un catalyseur permettant d’augmenter l’humain dans ses prises de décisions.

L’intelligence artificielle est une vue comme une tentative technologique d’élever des systèmes informatiques à des capacités cognitives de connaissance, de raisonnement et d’apprentissage comparables à celles de l’homme bien qu’elles soient considérées comme lui étant propres. Ainsi, l’intelligence artificielle va certes amener de nombreux bouleversements mais les juristes ont su faire face à plusieurs d’entre eux par le passé. L’intelligence artificielle est donc un champ à investir par les juristes et non l’inverse. Le paradigme doit s’inverser, le droit peut saisir l’intelligence artificielle.

A la question de savoir si l’intelligence artificielle remet en cause notre manière de faire du Droit ou offre-t-elle de nouvelles perspectives aux métiers du Droit, vous aurez compris qu’il faudra évoluer vers un futur optimiste, collaboratif et audacieux.

Sacha Gaillard D.U. Transformation digitale du droit et LegalTech
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