Village de la Justice www.village-justice.com

Deux intermittents réalisateurs BA en CDDU, obtiennent, en appel, une requalification en CDI à temps complet. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 1er avril 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/intermittents-spectacle-realisateurs-son-france-cddu-obtiennent-appel-une,31111.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Un salarié intermittent du spectacle qui se voit proposer un CDI à temps partiel à 70% doit il nécessairement l’accepter alors qu’il réclamait un CDI à temps complet ?
Quel salaire d’intégration fixer ?

C’est à ces différentes questions que la Cour d’appel de Paris répond dans 2 arrêts du 12 mars 2019 (RG 16/15391 et 16/15748) concernant des salariés intermittents du spectacle qui sont employés au service Bandes Annonces de France Télévisions.

La Cour d’appel fait droit à la demande d’intégration en CDI à temps complet des 2 intermittents du spectacle, réalisateurs de bandes annonces au sein de France Télévisions.

Ils obtiennent tous deux une reconstitution de carrière (avec un rappel de prime d’ancienneté et de prime de fin d’année) et un rappel de salaire pendant les périodes interstitielles / intercalaires.

Les 2 arrêt de la Cour d’appel ne sont pas définitifs, France Télévisions s’étant pourvue en cassation.

Monsieur X a travaillé à compter du 14 février 1993, en qualité d’assistant réalisateur au sein du service bandes annonces de la société télévisuelle France 2, absorbée, depuis, par la société France Télévision en 2009 ; que, jusqu’en 2014, la relation de travail entre Monsieur X et ces sociétés s’est trouvée régie par de multiples contrats à durée déterminée, successifs, dits « contrats d’usage » - Monsieur X, étant engagé, à compter de 2003, comme réalisateur son au sein du Pôle son, chargé de l’élaboration des bandes-annonces, diffusées par les chaînes télévisées, pour l’annonce de leur programme ;

Par lettre du 6 octobre 2014, la société France Télévision a proposé à Monsieur X la conclusion d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel, égal à 70 % d’un temps complet : elle retenait une ancienneté à compter du 14 février 1993, un salaire « forfaitaire » de 2.916,67 € par mois ainsi qu’une prime d’ancienneté de 297,42 € (soit une rémunération annuelle de 38.568,99 €) et précisait les semaines qui seraient travaillées et les horaires de travail, fixés quotidiennement de 10 h 30 à 13 h 00 et de 14 à 19 h 18.

Par lettre recommandée du 31 octobre suivant, Monsieur X a refusé cette proposition estimant qu’étant à la disposition permanente de l’entreprise depuis 1993, il devait êre intégré en contrat à durée indéterminée à temps complet, avec un salaire de base (hors prime d’ancienneté) de 68.000 € bruts annuels ; qu’en conclusion de sa correspondance,
Monsieur X indiquait saisir le conseil de prud’hommes afin de voir requalifier en ce sens ses divers contrats à durée déterminée ;

En effet, le 3 novembre 2014, Monsieur X a introduit devant la juridiction prud’homale, une action en requalification de ses divers contrats à durée déterminée, principalement, en une relation indéterminée à temps complet, avec paiement d’un rappel de salaire pour les périodes intercalaires et, subsidiairement, en une relation à durée indéterminée, égale à 70 % d’un temps complet, avec rappel de salaire en conséquence, outre des demandes, tendant à voir condamner la société France Télévision à lui accorder divers rappels, au titre des avantages alloués aux salariés permanents de l’entreprise.

Par jugement entrepris, le conseil de prud’hommes a accueilli la demande de
Monsieur X, quant à la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée ; qu’il a condamné la société France Télévision à payer à Monsieur X la somme de 10.000 € à titre d’indemnité de requalification et la somme de 1.500 € en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile -les premiers juges déboutant, en revanche, Monsieur X de ses autres demandes, au motif qu’il n’apportait pas la preuve de s’être tenu à disposition permanente de l’employeur.

En cours de procédure, la société France Télévision a intégré Monsieur X dans
ses effectifs, après avoir conclu avec lui un contrat à durée indéterminée à temps complet, le 1er janvier 2016.

Au soutien de son appel, Monsieur X reprend ses demandes formées en première instance, visant à l’octroi, d’une part, d’un rappel de salaire pour la période du 31 octobre 2009 au 31 août 2015, -calculé, en principal, sur une durée de travail à temps complet et, subsidiairement, sur une durée égale à 70 % d’un temps complet- d’autre part, des primes et autres avantages cités en tête du présent arrêt, dont bénéficient les salariés permanents de la société France Télévision.

Formant appel incident, la société France Télévision prie la cour de rejeter la demande de requalification formée par Monsieur X et accueillie par le conseil de prud’hommes, au motif, selon elle, qu’elle n’a jamais fait appel à Monsieur X pour occuper un emploi permanent.

En tout état de cause, la société France Télévision soutient que la collaboration de
Monsieur X ne peut être qualifiée que de contrat à durée indéterminée à temps partiel (70% d’un temps complet), dès lors que les pièces aux débats démontrent que Monsieur X ne se tenait pas en permanence à sa disposition et que l’appelant ne prouve pas, comme il le doit, qu’il se maintenait à sa disposition durant les périodes non travaillées.

Dans 2 arrêts du 12 mars 2019 (Pôle 6 Chambre 8, RG 16/15391 et 16/15748), la Cour d’appel de Paris octroie au salarié intermittent du spectacle réalisateur son de France Télévisions les sommes suivantes :
- la somme de 75.680,35 €, outre 7.568, 03 € bruts à titre de congés payés afférents , à titre de rappel de salaire durant les périodes intercalaires entre le 31 octobre 2009 et le 31 décembre 2015 ;
- la somme de 20.000 € au titre de l’indemnité de requalification ;
- la somme de 26.388 € bruts au titre de rappel de prime d’ancienneté, outre 2.638,80 € bruts au titre des congés payés afférents ;
- la somme de 8.084 € bruts au titre de rappel de primes de fin d’année ;
- 2500 € en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au total, le salarié intermittent du spectacle obtient 142.858 euros bruts et son collègue obtient 102.917 euros bruts.

1) Sur la requalification en contrat à durée indéterminée de la relation de travail.

Conformément aux dispositions de l’article L 1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

C’est ainsi que figurent parmi les contrats à durée déterminée autorisés par l’article L
1242-2, les contrats à durée déterminée dits « d’usage », en vigueur dans le secteur de l’audiovisuel où les parties admettent qu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée pour l’emploi qu’occupait Monsieur X, en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de l’emploi ; qu’il résulte de ces dispositions que le recours aux contrats à durée déterminée d’usage, signés entre Monsieur X et la société France Télévision, suppose pour sa validité, que l’emploi exercé par l’appelant ait été, par nature, temporaire.

En l’espèce, les parties s’opposent sur ce point, Monsieur X prétendant que la société France Télévision et les diverses sociétés aux droits desquels celle-ci vient, lui ont confié, en réalité, un emploi permanent qui relevait de l’activité normale de la société, de sorte que la requalification de la relation contractuelle, en contrat à durée indéterminée, prévue, en ce cas, par l’article L 1245-1, s’impose -la société France Télévision prétendant le contraire.

Il y a lieu de rappeler que la preuve du caractère temporaire de l’emploi, objet du contrat à durée déterminée d’usage, incombe à l’employeur.

La société France Télévision invoque, seulement, à ce propos le nombre de jours de travail effectués par Monsieur X qui, certaines années ne représentait que 52 et 62 % d’un temps complet, ce qui démontrerait qu’elle n’a pas fait appel aux services de l’appelant afin de pourvoir un emploi permanent.

S’il n’est pas justifié, ni prétendu que Monsieur X ait travaillé à temps complet pour ses employeurs, aujourd’hui représentés par la société France Télévision, il n’est pas contestable que ces employeurs ont eu recours à Monsieur X de façon régulière, plusieurs jours par mois, pendant 21 ans, pour occuper des fonctions de réalisateur sonore, chargé en particulier des bandes-annonces des émissions diffusées sur les chaînes télévisées des diverses sociétés.

Qu’ainsi, les fonctions exercées par Monsieur X étaient étroitement liées à l’activité naturelle des chaînes de télévision exploitées par ses sociétés, puisque les bandes annonces ont pour objet d’illustrer synthétiquement l’ensemble des programmes télévisés proposés au public, pour mieux capter l’attention de celui-ci ; que les prestations de Monsieur X faisaient ainsi partie de l’activité permanente de la société France Télévision ou de ses prédécesseurs, avec laquelle elles s’identifiaient et se confondaient, la société France Télévision n’alléguant pas que Monsieur X ait présenté des talents ou compétences particulières, justifiant sa prédisposition à accomplir la réalisation de certaines bandesannonces plutôt que d’autres.

Les fonctions occupées par Monsieur X correspondaient bien à un emploi durable et permanent, lié à l’activité de la société France Télévision, et le fait que Monsieur X n’ait pas travaillé pour elle, tous les jours de l’année, comme l’objecte la société France Télévision, ne suffit pas à justifier que celle-ci n’avait pas besoin de recourir à lui, les jours où elle ne l’employait pas.

En effet, l’engagement du salarié en contrat à durée déterminée -et la durée de cet engagement- procédaient de l’initiative de l’employeur qui déterminait les conditions d’emploi de Monsieur X -combinées avec celles d’autres salariés, également embauchés en CDD d’usage- et Monsieur X -dont rien ne montre qu’il ait, une fois, refusé la proposition d’un C D D offert par la société France Télévision- ne décidait donc pas librement du régime et de la durée de son embauche.

En définitive, les dispositions précitées de l’article L 1245-1 doivent trouver application ; qu’il s’en suit que le conseil de prud’hommes doit être approuvé d’avoir requalifié la relation contractuelle entre les parties, en un contrat à durée indéterminée.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce premier point.

2) Requalification en contrat à temps complet avec rappel de salaires pendant les périodes intercalaires / interstitielles.

Il n’est ni contesté, ni contestable que les missions effectuées par Monsieur X en vertu de ses contrats à durée déterminée d’usage, conclus avec la société France Télévision et ses prédécesseurs, correspondaient à des emplois à temps partiel, pour lesquels le contrat de travail du salarié aurait dû, conformément aux dispositions de l’article L 3123-14 du code du travail , prévoir la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée seraient communiqués au salarié.

A défaut, le contrat doit être présumé avoir été conclu à temps complet ; que toutefois, la société France Télévision est en mesure de renverser cette présomption si elle démontre la durée exacte hebdomadaire convenue et si elle prouve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

Force est de constater qu’en l’espèce, la société France Télévision ne verse aux débats aucun élément susceptible de renverser la présomption de contrat à temps complet alors que, de son côté, Monsieur X affirme notamment, sans être contredit, que ses conditions de travail le conduisaient à être très tardivement informé de ces horaires et plannings de travail.

La qualification de contrat à durée indéterminée à temps complet revendiquée par
Monsieur X doit, dès lors, être retenue.

Il est vrai, que le caractère à temps complet de la durée contractuelle de travail, n’implique pas que doive, pour autant, être accueillie la demande de rappel de salaire faite par l’appelant, pour les périodes « intercalaires » -qui séparaient deux contrats à durée déterminée- ; qu’il appartient, en effet, à Monsieur X , cette fois, de démontrer qu’il était, durant cette période, dans l’obligation de se maintenir, à la disposition de son employeur.

Monsieur X justifie par la production des contrats et des tableaux non contestés, établis par ses soins, qu’il a pendant onze ans travaillé , en moyenne, chaque année, 145 jours pour le compte de la société France Télévision ou des sociétés qui ont précédé celle-ci.

Contrairement aux prétentions de la société France Télévision, les documents fiscaux versés aux débats démontrent que les revenus de l’appelant, provenant de son activité pour la société France Télévision, étaient quasiment les seuls, en dehors des allocations de chômage qui ne faisaient pas obstacle à son maintien à disposition de cette société.

De plus, contrairement à l’appréciation des premiers juges, il apparaît à la cour que les périodes intercalaires étaient trop courtes pour permettre à Monsieur X de rechercher un autre emploi et de s’engager auprès d’un autre employeur.

Compte tenu de la régularité et de l’ancienneté de ses engagements par la société
France Télévision, ces périodes font figure d’attentes imposées par cette société, à l’issue desquelles l’intéressé ne pouvait qu’espérer être à nouveau rapidement sollicité par France Télévision -étant précisé que cette dernière ne prouve pas, ni n’allègue que
Monsieur X lui ait opposé, en 21 ans de collaboration, le moindre refus à la conclusion des contrats d’usage qu’elle lui proposait ;

Dans ces conditions, il est établi que pendant les périodes intercalaires Monsieur X se tenait à la disposition de France Télévision, comme le confirment les déclarations de revenus de l’appelant démontrant que Monsieur X n’avait pas plus d’autres employeurs, durant ces périodes, qu’il n’en avait en période de contrat.

Il résulte des énonciations qui précèdent que le contrat à durée indéterminée existant depuis le 14 février 1993 doit être requalifié en contrat à durée indéterminée à temps complet, avec rappel de salaire à temps complet également, pour Monsieur X, durant les périodes intercalaires.

3) Sur les conséquences financières liées à la requalification des CDDU en CDI.

3.1) Sur l’indemnité de requalification.

L’indemnité de requalification justement requise doit tenir compte de la très longue durée de la collaboration entre les parties, durant laquelle, Monsieur X a été privé du bénéfice des avantages prévus en faveur des salariés permanents et soumis à une précarité professionnelle.

La cour juge insuffisante l’indemnisation du préjudice subséquent déterminée par le conseil de prud’hommes et évalue celle-ci à la somme de 20.000 €.

3.2) Sur la demande de rappel de salaire.

L’appelant sollicite, aussi, à bon droit le paiement d’un rappel de salaire, durant les périodes intercalaires, sur la base du salaire que lui a proposé la société France Télévision, elle-même, à l’occasion de la conclusion du contrat à durée indéterminée à temps complet qu’ils ont signé ensemble, avec effet à compter du 1er septembre 2015.

Compte tenu de ce salaire fixe mensuel de 4.200 €, la cour, entérinant les calculs et le tableau figurant dans les conclusions de Monsieur X, accueille donc la demande formée à titre principal par celui-ci, soit 75.680,35 € bruts majorée des congés payés afférents, 7.568,03 €.

3.3) Sur les avantages liés à la qualité de salarié permanent.

3.3.1) Sur le rappel de prime d’ancienneté.

Monsieur X réclame, pour la période de 2009 à 2012, le versement de la prime d’ancienneté prévue par les textes conventionnels régissant les salariés permanents de la société France Télévision.

En vertu des dispositions transitoires de cette loi, l’appelant invoque, cependant, à bon droit la prescription quinquennale de la loi du 17 juin 2008, en cours, pour le paiement des primes litigieuses, lors de la promulgation de la loi nouvelle du 14 juin 2013, le 17 juin 2013 ; que Monsieur X ayant saisi le conseil de prud’hommes le 3 novembre 2014, est dès lors recevable en sa demande.

S’agissant du montant de la somme due à l’appelant, la société France Télévision, sans être contredite, expose que jusqu’en 2013, la prime litigieuse était calculée sur le salaire de référence du groupe de qualification du salarié ; que selon ce calcul et dans l’hypothèse où la cour retiendrait la prescription quinquennale , Monsieur X ne peut prétendre qu’à la somme de 26.388 € et non à celle de 33.554,93 € qu’il réclame ;

La cour fait sienne cette argumentation de la société France Télévision, le calcul de Monsieur X apparaissant, lui, fondé sur les nouvelles modalités de calcul (en fonction du salaire minimum garanti du groupe de classification), applicables depuis 2013 seulement ;

Versée en contrepartie ou à l’occasion d’un travail, la prime d’ancienneté donne droit à l’acquisition de congés payés de sorte qu’outre la somme de 26 388 €, résultant
des conclusions de la société France Télévision, il sera alloué à Monsieur X la
somme de 2638, 80 € à titre de congés payés afférents.

3.3.2) Sur le rappel de prime de fin d’année :

Monsieur X doit également bénéficier de la prime de fin d’année applicable aux salariés relevant du statut des permanents ; que le montant de cette prime ressort des écritures de l’appelant que ne contredit pas utilement la société France Télévision.

Il y a lieu d’ordonner à la société France Télévision de remettre à
Monsieur X les bulletins de salaire rectifiés, conformes à la présente décision ; que l’astreinte requise à ce titre, ne s’impose pas.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum