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L’épargne salariale - Vue croisée de deux professionnels. Par Sophie Hochard, Avocat et Lambert Debus, Conseiller en Gestion de Patrimoine.
Parution : vendredi 5 avril 2019
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Le toilettage de l’épargne salariale dans les PME à l’ère de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) 2019 : dépoussiérage saisonnier ou grand ménage de printemps ?

L’épargne salariale est une solution souple et performante pour fidéliser vos salariés et les inciter à se constituer une épargne de précaution, dont la flexibilité séduit de plus en plus de sociétés.

Le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE) a été pensé pour donner aux entreprises les moyens d’innover, de créer des emplois, mais également de fidéliser les salariés par le biais d’un outils de motivation dont la refonte et la simplification était un dispositif phare de la loi PACTE : l’épargne salariale.

Selon les données statistiques publiées par le Ministères de l’économie et des finances, seuls 16 % des salariés des entreprises de moins de 50 salariés sont couverts par au moins un dispositif d’épargne salariale. S’agissant de l’intéressement, c’est le cas de seulement 20 % des salariés des entreprises de 50 à 99 salariés et de 35 % des salariés des entreprises de 100 à 249 salariés.

Ces chiffres sont particulièrement alarmants si on en juge de la hâte avec laquelle la suppression du forfait social, initialement prévue par la loi PACTE a été décidée, de façon anticipée, à compter du 1erjanvier 2019, cela en noyant cette mesure dans le flot des nouveautés contenues par la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de Financement de la Sécurité Sociale pour 2019 publiée au JORF du 23 décembre 2018.

L’intégration à la LFSS 2019 permet ainsi une application dès le 1erjanvier 2019 des dispositions relatives à l’intéressement, la participation et l’épargne salariale initialement prévue dans le projet de loi PACTE.

Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno LEMAIRE, a manifestement pensé cette réforme de façon constructive en mettant en place des mesures finalement destinées à faire tomber les barrières législatives ou réglementaires qui auraient pu décourager employeurs et salariés à investir de concert pour leur avenir commun.

1 - Dispositifs envisageables.

1-1 - Dispositifs possibles avec ou sans PEE (Plan Epargne Entreprise) /PERCO (Plan Epargne Retraite COllective).

- L’intéressement(le partage de la croissance).

L’intéressement est une forme particulière de rémunération du travail, obligatoire dans certains cas, utilisée pour motiver le personnel et l’intéresser à l’accroissement de la performance de la société. Il est conditionné à un (des) objectif (s) à atteindre pour l’entreprise (chiffre d’affaires, bénéfice, etc.). A déterminer en fonction de chaque cas particulier.

- La Participation (le partage des bénéfices).

La participation est un dispositif prévoyant la redistribution d’une partie des bénéfices de l’entreprise au profit des salariés. Elle est également obligatoire dans certains cas. Le salarié perçoit une prime dont le montant dépend des règles fixées par l’accord de participation.

1-2 - Dispositif possible un PEE/PERCO.

- L’abondement (la fidélisation).

L’entreprise est libre d’encourager la constitution de l’épargne salariale. Cette aide, appelée abondement, est attribuée en fonction des sommes versées par les bénéficiaires des plans (salariés, chef d’entreprise ou son conjoint) dans leurs plans d’épargne salariale.

Exemple

Montant versé par le salarié Montant "abondé" par l’entreprise Particularités
1000 euros 3000% = 3000 euros Somme non- imposable

Disponibilités, 5 ans ou avant sous conditions

2 - Comparaison primes versus épargne salariale.

2-1 La suppression du forfait social.

Pour mémoire, la protection sociale du salarié est financée par des cotisations et contributions qui sont calculées à partir du salaire brut (ou des avantages divers). En l’occurrence, jusqu’au 1erjanvier 2019, c’est à l’employeur que revenait la lourde tâche de contribuer au financement de la sécurité sociale par le biais du forfait social en matière d’épargne salariale.

On comprend dès lors les conséquences néfastes du nouveau dispositif : il permet effectivement aux sociétés de rémunérer leurs salariés de manière beaucoup plus avantageuse en privilégiant la voie de l’épargne salariale, laquelle est désormais totalement exonérée de cotisations sociales.

L’article 16-1 de la LFSS [1] met en place, pour les entreprises de moins de 50 salariés et qui, ainsi, ne sont pas dans l’obligation d’instaurer une participation des salariés aux résultats, une exonération de forfait social pour les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement, ainsi que sur les abondements des sociétés aux plans d’épargne salariale.

Sont visés les Plans d’Epargne Entreprises (PEE), les Plans d’Epargne Interentreprises (PEI) et les Plans d’Epargne de Retraites Collectifs (PERCO (I)).

Les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 249 salariés n’ont pas été oubliées : pour ces dernières, le forfait social est également supprimé, mais uniquement en ce qui concerne les sommes versées au titre de l’intéressement.

Cette exonération remplace le dispositif du taux réduit du forfait social dans les entreprises de mois de 50 [2]Jusqu’ici, ces entreprises, qui mettaient pour la première dois en place une participation ou un intéressement ou dont le denier accord datait de plus de 5 ans, bénéficiaient d’un taux de forfait social réduit à 8 % au lieu de 20%.

Pour ces entreprises, l’exonération est désormais totale. A première vue, tout porte à croire qu’on ne peut que se féliciter de cette uniformisation.

L’article 16-1 poursuit pourtant en précisant qu’un taux de forfait social de 10 % (au lieu de 20 % antérieurement au 1erjanvier 2019) serait appliqué pour toutes les entreprises sur les abondements de l’employeur à un PEE qui augmente la contribution des salariés (Actionnariat salarié).

Attention, car ce taux réduit sera appliqué avec réserve : les sommes visées doivent effectivement être affectées à l’acquisition des titres d’une entreprise ou d’une entreprise incluses dans le même périmètre de consolidation des comptes annuels.

2-2 L’impact concret chiffré.

Montant versé par le salarié ou le dirigeant dans son PEE 1.000€
Montant abondé par l’entreprise 3.000€ (taux 300%)
Dépense entreprise 3.000€
Le salarié ou dirigeant perçoit : (sommes non imposables) entreprise 2.709€(Csg déduite 9,7%)
Taux d’efficacité 90%
A titre de comparaison:Une prime fiscalisée [3] Coût entreprise : 4.200€
Salariés : 1.575 €
Taux d’efficacité 37,5%
Gain sur 3.000 € Entreprise : 1.200 € / Salarié : 1.134 €

3 - Évolution des dispositifs.

La loi PACTE ambitionne de créer un nouveau produit permettant de regrouper l’ensemble des dispositifs connus sous les noms de PERP, Madelin, PERE (Article 83), PERCO. Le législateur essai de prendre en compte les grands défis de demain, en particulier, ceux de la constitution d’une épargne retraite : par répartition (modèle français) et par capitalisation (modèle anglosaxon).

- Offrir de meilleures perspectives de rendement.

Généralisation de la gestion pilotée qui devient l’option par défaut sans choix émis par l’épargnant

- Améliorer l’attractivité dans un contexte de mobilité des salariés.

Simplification et transfert possible des produits d’Epargne Retraite entre eux & Homogénéisation des produits pour une meilleure compréhension.

- Généraliser les règles de sortie du PERCO aux autres produits de l’Épargne Retraite.

Sortie possible en capital ou rente au choix des épargnants & Sortie anticipée pour l’achat de la résidence principale

Schéma
Le nouveau dispositif sera scindé en deux blocs :
- La partie Individuelle (PERP / Madelin)
- La partie Collective (PERCO/PERE)

Chaque dispositif disposera de trois compartiments :
1 - Versements Volontaires (y compris CET-PERCO)
2 - Epargne Salariale (Intéressement, participation et abondement)
3 - Cotisations obligatoires (employeurs et salariés) permettant la transférabilité

Les dispositifs PREFON, Article 39. sont également concernés.

4 - Les vigilances.

La mise en place des accords.

Les PME n’ayant pas les moyens juridiques de mettre en place un dispositif de participation, d’intéressement ou un plan d’épargne salariale pourront opter pour l’application de l’accord-type négocié au niveau de la branche.

Ces accords doivent être négociés par les branches au plus tard le 31 Décembre 2020.

Le risque d’une optimisation mal maitrisée.

Si le dispositif a été pensé de sorte à renforcer l’attractivité des PME et augmenter le pouvoir d’achat des salariés, il est à craindre un risque de contournement du financement de la sécurité sociale.

Celui-ci s’effectue normalement par le biais des cotisations prélevées sur les salaires.

Ce dispositif est un dispositif - Collectif - il est préférable de s’en souvenir.

Le sujet des Indemnités de Fin de Carrière (IFC).

Vaste sujet de société, fiscal, comptable : Il est très loin d’être traité par les parties prenantes, ne comprenant pas forcément l’ampleur du problème sous-jacent.

Le manque de communication aux salariés.

Quid des modalités d’information du salarié et des sanctions en cas de méconnaissance ?

Depuis la loi MACRON, et surtout, depuis les ordonnances, le droit du travail est beaucoup plus basé sur les conventions et les accords d’entreprises.

Pour cause, si l’on prend l’exemple de l’information des salariés de leur droit à constituer une épargne, seulement vaguement évoquée dans la LFSS 2019.

Conséquence simple, voire simpliste, une PME qui, forte de sa volonté de mettre en place un système incitatif, se contenterait d’informer à l’oral les épargnants potentiels de a faculté qui leur est offerte, se verraient, si contentieux s’en suit, condamné sur le fondement du manquement au droit à l’information, ou pire, serait passible de sanctions pénales.

Exemple d’une relation de travail relevant de la convention collective de la banque du 10 janvier 2000, à laquelle est attaché l’accord du 17 septembre 2007 relatif au plan d’épargne collectif inter-entreprise (PERCOI de branche) :

L’objectif (louable !) de l’accord permettra aux salariés de la profession bancaire, qui ne bénéficient pas d’un tel dispositif dans leur entreprise, d’épargner pour leur retraite (sous réserve des dispositions des articles suivants) en complément, notamment, du plan d’épargne interentreprises (PEI) de branche ou du plan d’épargne de leur entreprise (PEE), le présent accord a pour objet la mise en place d’un dispositif d’épargne retraite (plan d’épargne retraite collectif interentreprises : PERCO-I) propre à la branche professionnelle de la banque (en application des dispositions légales).

L’article 12 de l’accord opportunément intitulé "information des bénéficiaires" dispose :
"Les entreprises proposant un dispositif d’épargne (notamment le PERCO-I) remettent à tout salarié, lors de son embauche (quel que soit le type de contrat de travail dont il est titulaire) un livret d’épargne salariale présentant l’ensemble de leurs dispositifs d’épargne salariale.
Elles communiquent également à chacun de leurs salariés le contenu du PERCO-I, en particulier les diverses formes de placement offertes et leurs caractéristiques en terme d’actifs détenus, de rendement et de risque. L’information doit être suffisante pour éclairer le choix de placement du salarié, conformément à la réglementation en vigueur(...)
"

Au delà des modalités d’information spécifiques à chaque secteur d’activité, l’employeur doit donc déterminer le degré d’information à donner afin que le salarié soit, selon la formule consacrée, "suffisamment éclairé"...

Le manque de compétitivité des acteurs de l’épargne.

Après avoir sécurisé vos dispositifs sur le plan juridique (Mise en place d’accords d’intéressement, de participation, d’abondement), il conviendra de sélectionner les meilleurs prestataires financiers, selon un cahier des charges précis :

- Nombre et qualité de fonds disponibles.

La plupart des établissements bancaires proposent leur solution "maison", relativement pauvre : 4 Fonds disponibles, contre plus de 30 FCPE pour certains prestataires

- Accessibilité des processus de versements, retraits, arbitrages.

La digitalisation doit faciliter le travail de vos équipes RH sur le sujet. Ces dispositifs doivent être un outil plutôt qu’une contrainte.

- Qualité du dépositaire.

Certains peuvent vous aider dans la mise en place d’actionnariat salariat. possibilité de contracter un prêt sur la base des actifs déposés.

- Structure de frais.

Sujet incontournable de la performance. Si les actifs sont de moins en moins rentables par rapport à la situation économique actuelle (Politique monétaire accommodante, OAT 10 ans à 0,4%...) il convient d’être vigilant à ce point sinon l’optimisation sera profitable à votre établissement bancaire plutôt qu’à vous ou vos salariés.

- Accompagnement et suivi.

Les prestataires se rémunèrent sur la base des actifs sous gestion (de 0,2% à plus de 1%). Vous pouvez exiger une qualité de service à la hauteur de ces rémunérations.

Conclusion.

Il faudra donc conquérir beaucoup de coeurs pour continuer à faire croître les encours et finir par atteindre le seuil de compétitivité manifestement souhaité par le législateur.

Premières actrices de la LFSS 2019, tout comme de la loi PACTE, les PME risquent donc également d’en devenir les première victimes si elles n’utilisent pas ce dispositif avec rigueur.

Il appartient donc à chaque dirigeant ou délégataire d’assurer en amont la promotion interne du dispositif de l’épargne salariale et de sa compréhension.Le Plan d’Epargne Entreprise dispose d’un cadre fiscal très avantageux, similaire au Plan d’Epargne en Action.

La promotion d’une épargne de marché ne doit toutefois pas conduire à la mise en place d’un marché aux épargnes, qui risquerait d’amoindrir très largement les bénéfices relationnels (et financiers) escomptés, ainsi que la promotion du nouveau capitalisme à la française ardemment souhaitée par nos dirigeants.

Sophie Hochard Avocat au Barreau de MARSEILLE [->sophiehochard.avocat@gmail.com]

[2salariés

[3Hypothèse:Charges patronales:40 %, Charges salariales : 25 %, Impôt sur le Revenu (TMI:30%}.