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Présentation du projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique (taxe GAFA). Par Thibaud Esteve, Avocat.
Parution : vendredi 5 avril 2019
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Le projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique (le « projet de loi GAFA ») a été présenté par le gouvernement le 6 mars 2019. Le texte sera discuté à l’Assemblée nationale à partir du 8 avril 2019 et sera susceptible de modifications.

Si l’Union européenne étudie actuellement une proposition de directive portant sur la création d’une taxe sur les services numériques (Proposition COM/2018/148), l’accord de l’ensemble des États membres semble néanmoins loin d’être trouvé.

En attendant de parvenir à un tel accord, le gouvernement souhaite mettre en place rapidement une taxe sur le chiffre d’affaires tiré de certains services numériques (« taxe GAFA »), dont les principales caractéristiques sont explicitées ci-dessous.

Champ d’application de la taxe GAFA.

Tous les services numériques ne sont pas concernés. Seuls deux types de services caractérisés notamment par une participation importante des internautes entrent dans le champ d’application de la taxe GAFA :
• les services d’intermédiation entre internautes : les prestations qui sont visées ici sont celles mettant en relation deux utilisateurs qui partagent des intérêts complémentaires, par exemple un acheteur et un vendeur, qu’ils soient professionnels (BtoB), particuliers (CtoC), ou les deux (BtoC). Il peut s’agir par exemple d’un site de rencontres, d’un magasin d’application ou encore d’une place de marché. Des entreprises telles qu’Ebay, Amazon ou encore Alibaba pourraient être concernées.

• la fourniture de prestations de ciblage publicitaire : sont ici ciblées les prestations permettant à des annonceurs de placer un message publicitaire ou un lien commercial sur une page internet en fonction des données individuelles collectées sur les internautes. Cela est notamment rendu possible grâce aux mots clefs renseignés par l’utilisateur sur un moteur de recherche. Des entreprises telles que Criteo, Twitter, ou encore Facebook pourraient être concernées.

En conséquence, selon le projet de loi GAFA, ne seraient pas imposables à la taxe GAFA la vente directe de biens ou services en ligne.

Territorialité de la taxe GAFA.

Le lieu de situation du siège du redevable importe peu. Ainsi, un redevable ayant son siège dans un État tiers est susceptible d’être imposable à la taxe GAFA au même titre qu’un redevable ayant son siège situé en France. Le critère déterminant est la localisation de la prestation de services. En effet, seuls les services fournis en France seront taxés.

Est considéré comme fourni en France un service qui repose sur l’activité d’internautes localisés en France, quand bien même ils seraient minoritaires au sein du public destinataire du service. Les redevables de la taxe pourront notamment localiser la connexion en France au moyen de l’adresse IP de l’utilisateur, ou par tout autre indice permettant de le faire.

Les activités d’internautes en France pouvant être difficiles à caractériser, le législateur envisage des règles de rattachement au territoire national spécifiques selon la catégorie de services :
• ainsi, un service d’intermédiation entre internautes est considéré comme fourni en France si, au cours d’une année civile, au moins une transaction réalisée concerne un utilisateur localisé en France (acheteur ou vendeur) ;
• un service de ciblage publicitaire est considéré comme fourni en France, si, au cours d’une année civile, au moins un message publicitaire est affiché auprès d’un internaute localisé en France, quelles que soient les nationalités respectives de l’acheteur et du vendeur de service de publicité.

Seuils d’assujettissement à la taxe GAFA.

Le projet de loi GAFA prévoit que seules sont imposées à la taxe GAFA les entreprises dont les sommes encaissées en contrepartie des services taxables précédemment définis, excèdent au cours d’une année civile les seuils cumulatifs suivants :
• 750 millions d’euros au titre des prestations de services rendues au niveau mondial ;
• 25 millions d’euros au titre des prestations de services rendues en France.

Redevable de la taxe GAFA.

Le redevable de la taxe GAFA est la personne qui encaisse les sommes en contrepartie des services numériques taxables tels que précédemment définis.

Base imposable de la taxe GAFA.

Il est envisagé une assiette constituée par le montant hors TVA de l’ensemble des sommes encaissées en contrepartie de services taxables. Une fois ce montant déterminé, il est ensuite prévu d’appliquer un pourcentage correspondant à la part des services rendus en France.

À nouveau, le texte prévoit des règles spécifiques de détermination du pourcentage selon la catégorie de services :
• ainsi, pour les services d’intermédiation entre internautes, le pourcentage est déterminé en fonction de la proportion des opérations impliquant un utilisateur localisé en France (acheteur ou vendeur) ;
• ou encore, pour les services de ciblage publicitaire, le pourcentage est déterminé en fonction de la proportion des messages publicitaires réalisés auprès d’internautes localisés en France.

Taux de la taxe GAFA.

Le taux de la taxe GAFA est fixé à 3%. A noter que ce taux est identique à celui prévu par la proposition de directive portant sur la création d’une taxe sur les services numériques (Proposition COM/2018/148).

Déductibilité de la taxe GAFA.

Si le projet de loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques quant à la déductibilité de la taxe GAFA, celle-ci devrait être en principe déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

Fait générateur et exigibilité de la taxe GAFA.

Le fait générateur et l’exigibilité de la taxe GAFA interviendraient au moment de l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle le prestataire du service numérique a encaissé des sommes en contrepartie de services numériques taxables et localisés en France.

Déclaration de la taxe GAFA.

La taxe GAFA étant une taxe sur le chiffre d’affaires, le projet de loi GAFA prévoit des modalités de déclaration mutualisées avec celles de la TVA, qui est la principale taxe sur le chiffre d’affaires. Deux situations doivent être distinguées selon que les redevables sont identifiés à la TVA en France ou non :
• pour les redevables identifiés à la TVA, la taxe GAFA fera l’objet d’une déclaration annuelle concomitamment à la déclaration de la TVA effectuée au mois de mars de l’année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible ; et

• pour les redevables non-identifiés à la TVA, la taxe GAFA fera l’objet d’une déclaration annuelle avant le 25 avril de l’année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible.

Le texte prévoit en outre que deux acomptes seront versés au cours de l’année d’imposition, chacun égal à la moitié des montants dus au titre de l’année précédente :
• le premier acompte interviendra lors de la déclaration de la taxe GAFA due au titre de l’année précédente ; et
• le second acompte interviendra au mois d’octobre de la même année.

Afin que les redevables soient en mesure d’acquitter l’impôt dans de bonnes conditions, le projet de loi GAFA prévoit, qu’en 2019, un seul acompte égal au montant qui aurait été dû sur la base des revenus taxables de 2018, sera dû en fin d’année.

La taxe GAFA fera ensuite l’objet d’une régularisation au moment de la déclaration, l’année suivante.

Par ailleurs, est également envisagée la situation des entreprises membres d’un groupe. Ces dernières pourront désigner au sein de leur groupe un représentant chargé de la déclaration et de l’acquittement de la taxe GAFA pour l’ensemble des membres du groupe. Cela prendrait la forme d’une option valable au moins trois années. Par exemple, pour le cas où le projet de loi GAFA serait adopté, et s’agissant de la taxe GAFA due au titre de l’année 2019, l’option devrait être exercée avant le 30 septembre 2019.

Modalités de contrôle et de sanction de la taxe GAFA.

À nouveau, la taxe GAFA étant une taxe sur le chiffre d’affaires, le législateur prévoit des modalités de contrôle et de sanction identiques à celles en vigueur à la TVA. Les prestataires de services numériques doivent conserver l’ensemble des éléments comptables concernant les sommes encaissées en contrepartie de services taxables et particulièrement ceux se rapportant à des services rendus en France. Les redevables devront être diligents car l’administration pourra leur demander des justifications sur tous les éléments servant de base à la détermination et au calcul de la taxe GAFA.

Le législateur envisage de créer un nouvel article spécifique dans le Livre des procédures fiscales (l’article L16 C) pour codifier cette demande de justifications. Il est important de souligner qu’une réponse jugée insuffisante ou tout simplement une absence de réponse du redevable entraînera la mise en œuvre de la procédure de taxation d’office. Celle-ci devrait être encadrée à travers le nouvel article L70 A du Livre des procédures fiscales.
Par ailleurs, le projet de loi GAFA prévoit que les redevables non-établis dans un État de l’Union européenne ou dans tout autre État partie à l’accord sur l’Espace Économique Européen ayant conclu avec la France une convention qui contient une clause d’assistance administrative en matière de recouvrement de l’impôt seront tenus de désigner un représentant fiscal assujetti à la TVA et accrédité par les services des impôts. Ce représentant fiscal effectuera les formalités au nom et pour le compte du redevable, et le cas échéant acquittera la taxe GAFA à sa place.

Entrée en vigueur de la taxe GAFA.

Comme l’a précisé le Conseil d’État le 28 février 2019 dans le cadre de son avis sur le projet de loi GAFA (avis n°396878 du Conseil d’État), le texte ne comporte pas de dispositions concernant la date d’entrée en vigueur de la taxe GAFA.
Présenté à l’Assemblée Nationale le 8 avril 2019, le texte devrait en principe être adopté en 2019. Le cas échéant, la taxe GAFA serait applicable aux sommes encaissées en contrepartie de services taxables par les prestataires de services numériques dès le 1er janvier 2019.

Caractère provisoire de la taxe GAFA.

Il est clairement souligné dans le projet de loi que la taxe GAFA n’a vocation à s’appliquer que de manière temporaire et qu’elle devrait être abrogée lorsqu’un accord au niveau international, et à défaut un accord au niveau européen, sera trouvé sur l’imposition des revenus tirés de services numériques. Toutefois, un tel accord ne devrait pas être trouvé avant quelques années…

Thibaud ESTEVE, Avocat
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