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Tableau d’avancement dans la police et syndicalistes : pas de coupe file ! Par Jean-Yves Trennec, Avocat.
Parution : lundi 8 avril 2019
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Les tableaux d’avancement dans la police nourrissent un copieux contentieux.
Alors que la comparaison des mérites respectifs des fonctionnaires est bien souvent le critérium de la légalité de ces tableaux, l’originalité du jugement commenté tient à ce qu’il examine les conditions statutaires permettant cette inscription et particulièrement celles auxquelles doivent satisfaire les fonctionnaires bénéficiant d’un mandat syndical et d’une décharge de toute activité.

Dans un jugement en date du 14 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a annulé le tableau annuel d’avancement au grade de major de police au titre de l’année 2017 à la demande d’un brigadier-chef dont l’administration avait refusé la promotion.
Les nominations de neuf fonctionnaires mis en cause ont été annulées par voie de conséquence [1].

Deux points du jugement méritent d’attirer l’attention.

En premier lieu, l’un des défendeurs soulevait l’irrecevabilité de la requête au motif que celle-ci avait été introduite avant même que l’arrêté portant tableau d’avancement eût été publié.
Le Tribunal administratif écarte cette fin de non-recevoir en indiquant qu’il n’est pas interdit de présenter une requête contre une décision qui n’est pas encore née, dès lors que l’intervention de la décision attaquée prématurément intervient en cours d’instance [2].

En la matière, mieux vaut donc trop tôt que jamais. L’astuce en gestion des contentieux qui consiste à déférer au Tribunal administratif une décision future est très utile. Elle permet, en effet, d’éviter d’attendre la matérialisation des actes que l’on entend critiquer et leur connaissance par la voie de la notification ou de la publication. Lorsque la publication n’est pas aisément accessible, ce qui est le cas de la publication des arrêtés portant tableau d’avancement, le recours prématuré permet de prévenir l’irrecevabilité de la requête qui serait la sanction d’un recours tardif, lui-même provoqué par la vaine recherche de la date de publication de l’acte administratif.

Le second point du jugement qui mérite un commentaire concerne la situation des fonctionnaires bénéficiant d’un mandat syndical et les conditions auxquelles ces personnels doivent satisfaire pour être inscrits au tableau d’avancement.

Traditionnellement, et le juge le rappelle au point 6 de son jugement, la légalité des tableaux d’avancement repose surtout sur la vérification par le tribunal du fait que le choix de l’administration s’est porté sur les fonctionnaires dont les mérites comparatifs l’emportaient sur ceux de leurs collègues. Le contrôle exercé est un contrôle normal, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Autrement dit, le juge se refuse à annuler un tableau d’avancement s’il ressort des pièces du dossier que la différence de mérites entre le requérant et ses collègues inscrits au tableau est trop ténue pour être considérée comme significative.

Au cas particulier, le Tribunal administratif a eu à examiner un autre critère conditionnant l’inscription au tableau d’avancement et qui tient au respect des conditions statutaires.
Le requérant ayant contesté l’inscription au tableau d’avancement au grade de major de deux fonctionnaires bénéficiant d’un mandat syndical et déchargés de toute activité, il importait de vérifier si les conditions particulières requises pour que cette catégorie de fonctionnaires soit inscrite au tableau d’avancement étaient réunies.
Les fonctionnaires syndicalistes déchargés totalement d’activité ne peuvent voir leurs mérites appréciés aux mêmes conditions que ceux de leurs collègues qui exercent normalement leurs fonctions. S’il en était autrement, les termes de comparaison seraient faussés.

Aussi, afin de ne pas pénaliser l’exercice d’une activité syndicale, le décret du 28 mai 1982 a prescrit que le droit à avancement d’un syndicaliste déchargé de toute fonction s’appréciait par comparaison avec l’avancement moyen des fonctionnaires du corps auquel il appartient.
Pour opérer cette comparaison l’administration doit prendre en compte les tableaux d’avancement précédant celui auquel le syndicaliste demande son inscription.

Dans le cas de l’affaire à juger, le tribunal a constaté que l’ancienneté moyenne des collègues ayant accédé au grade de major était de 10 ans et 10 mois alors que les deux syndicalistes inscrits pour bénéficier d’une promotion ne pouvaient prétendre qu’à la moitié de cette ancienneté.
Le tableau d’avancement a été annulé pour ce motif et les fonctionnaires mis en cause ont vu leur nomination rétroactivement anéantie.

Donner ainsi un coup de pouce à la carrière de certains fonctionnaires en les inscrivant indûment au tableau d’avancement est bien entendu contraire au respect du principe d’égalité. De plus, ces coups de piston ne peuvent que contribuer à nourrir le ressentiment de beaucoup de fonctionnaires de police qui ont l’impression que les promotions répondent à d’autres critères que celui du droit et du mérite.

Jean-Yves Trennec, Avocat, Barreau de Seine-Saint-Denis [->contact@scp-arents-trennec.com]

[1TA de Paris, 14 mars 2019, req. n°1708101.

[2CE, 25 mars 1988, req. n°54411.

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