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Opposition et mainlevée d’opposition à un chèque, la nouvelle position de la Cour de cassation. Par Alexandre Peron, Avocat.
Parution : jeudi 11 avril 2019
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Lorsqu’il est fait opposition au paiement d’un chèque, la banque tirée a l’obligation de geler la provision nécessaire au paiement du chèque, et ce, jusqu’à la décision judiciaire statuant sur la validité de l’opposition. Une fois que le juge des référés, disposant d’un pouvoir exclusif en la matière, a prononcé la mainlevée de cette opposition, elle doit alors débloquer la provision afin que le bénéficiaire du chèque puisse en obtenir paiement dès présentation.

« C’est ceux qui signent les chèques qui fixent les règles ».

Si nous pouvons imaginer qu’en littérature ou encore dans les relations d’affaires, cela puisse être démontré, est-ce véritablement le cas en matière juridique ? D’un point de vue légal stricto sensu, c’est bien évidemment le législateur qui édicte les règles applicables et non pas le détenteur du moyen de paiement que représente le chèque.
Toutefois, la rigidité de certaines règles ou bien une jurisprudence non évolutive ont pu pendant un certain temps laisser penser que le signataire d’un chèque pouvait s’accommoder des règles applicables en la matière.

Historiquement, le terme de « chèque » est une adaptation d’un anglicisme dont l’orthographe diffère, à savoir « check ». Étymologiquement parlant, le terme trouve son origine dans le mot arabe « sakk » désignant un paiement qui doit être signé, qui permettait ainsi de sécuriser les transferts de fonds entre le VIIIe et XIIIe siècle.

En France, c’est en 1742 que le chèque apparaît pour la première fois afin de faire face à l’impossibilité d’émettre des billets en raison du monopole de l’émission des billets de banque détenu à cette époque par la banque d’Angleterre. Mais c’est véritablement à partir de 1865, à la faveur des pouvoirs publics que le chèque commence à être utilisé comme moyen de paiement à part entière.

Aujourd’hui, le chèque demeure encore utilisé, même s’il tend à se raréfier au profit des nouveaux modes de paiement électroniques. Il est toutefois important de préciser que le chèque est un écrit par lequel une personne, appelée le « tireur », va donner l’ordre à un organisme de crédit (une banque le plus souvent), qui est appelé « tiré », de payer une somme d’argent à une tierce personne appelée le « bénéficiaire », ou bien à son ordre. Il est donc considéré juridiquement comme étant un titre de paiement, et non de crédit.

Le droit du chèque en France est issu d’un décret-loi du 30 octobre 1935 ayant introduit dans la législation un encadrement uniforme de ce nouveau moyen de paiement.
Depuis, de nombreuses interventions législatives sont venues préciser et encadrer l’utilisation du chèque et notamment prévoir les cas d’opposition et de mainlevée à cette opposition.
Les articles L. 131-1 à L. 131-88 du Code monétaire et financier (CMF) codifient désormais l’ensemble des dispositions légales applicables.

Toutefois, malgré les dispositions légales très théoriques du CMF, la jurisprudence de la Cour de cassation a fait preuve d’innovation alors que la constance de son raisonnement sur les points cruciaux que sont le droit d’opposition au chèque et la mainlevée de cette opposition ne présageait rien de tel et ce, en dépit de nombreuses solutions rendues ne reflétant plus la pratique.

Ainsi, dans un premier arrêt en date du 21 novembre 2018, la Cour de cassation, en cassant l’arrêt rendu en appel, s’est prononcée de manière inédite sur la responsabilité de la banque tirée, qui en l’espèce n’avait pas bloqué la provision au profit du bénéficiaire du chèque après l’ordonnance de mainlevée de l’opposition.

Dans un second arrêt en date du 5 décembre 2018, soit moins d’un mois après l’arrêt cité ci-dessus, la chambre commerciale a pris position pour la première fois en matière de compétence d’attribution dans les cas de mainlevée d’opposition à un chèque, en précisant que le juge des référés dispose d’un « monopole » en la matière.

Quel est donc aujourd’hui l’état de la jurisprudence de la Haute cour et comment la pratique et les juridictions de premier degré vont-elles s’adapter et/ou être impactées ?

I. L’application stricte du cadre légal du droit d’opposition au chèque.

A. Les articles L. 131-1 et suivants du CMF et leurs limites.

Ces articles encadrent aujourd’hui le régime applicable au moyen de paiement que représente le chèque. Au regard de l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 21 novembre 2018, il est nécessaire de s’attarder sur les dispositions de l’article L. 131-35, alinéa 2 du CMF qui dispose des cas d’opposition recevable au paiement d’un chèque, dont notamment le vol, la perte ou l’utilisation frauduleuse ou encore la mise sous sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire du porteur. Dans ce dernier cas, l’opposition ne peut plus être admise s’il est établi que le chèque en cause a été remis à son liquidateur judiciaire.

Dans pareille situation, le banquier tiré est soumis à une obligation d’immobilisation de la provision du chèque, sans toutefois que le législateur n’en est précisé la durée, et cela pose un premier problème.
De fait, pendant un certain temps la multiplication de décisions non uniformes de la part des juridictions de premier degré a été constatée jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé. Ainsi, il est établi que la banque tirée d’un chèque frappé d’opposition est tenue d’en immobiliser la provision jusqu’à décision judiciaire statuant sur la validité de l’opposition, si elle a été mise en cause dans l’instance en référé engagée à cette fin, ou, sinon, pendant une année suivant l’expiration du délai de présentation du chèque.

Dans l’affaire ayant donné lieu à cassation le 21 novembre 2018, une société civile avait émis deux chèques tirés sur son compte bancaire à l’ordre d’une autre société. Remis à l’encaissement, ces derniers avaient été rejetés bien que provisionnés, et ce en raison de l’opposition faite à leur paiement par la société émettrice. Par voie d’ordonnance, le juge des référés avait ordonné la mainlevée de l’opposition au motif que celle-ci avait été faite pour des raisons inopérantes ne respectant pas les dispositions de l’article L. 131-35, alinéa 2 du CMF.

Le juge des référés a rendu ici une décision strictement conforme aux dispositions légales applicables, permettant dès lors au bénéficiaire des chèques de les présenter une deuxième fois au paiement, ce qu’il fit. Or l’un des deux chèques fut rejeté pour insuffisance de provision.

C’est ainsi qu’apparait la limite flagrante d’une stricte application des textes au regard de la pratique, car d’une part, le bénéficiaire après avoir été obligé de saisir le juge des référés afin d’obtenir la mainlevée de l’opposition irrégulière des chèques, doit dans un second temps assigner la banque au fond afin de soulever le non-respect de son obligation d’immobilisation de la provision des chèques.

Mais sur quel fondement l’assigner puisque le bénéficiaire n’est pas lié contractuellement à la banque tirée ? En la matière, le législateur reste muet.

D’autre part, en cas d’opposition à un chèque, même si la banque est tenue d’informer l’émetteur des sanctions encourues en cas d’opposition fondée sur une autre cause que celles légalement prévues, elle n’est pas tenue de vérifier la véracité du motif d’opposition invoqué. Dès lors les abus sont possibles et avérés, et ceci au détriment du bénéficiaire du chèque qui se trouve doublement pénalisé puisqu’il ne peut obtenir le paiement des titres et doit en sus engager des procédures judiciaires alors même que le porteur d’un chèque devrait jouir d’un droit « naturel » au paiement dudit chèque.

Enfin, l’application des textes est parfois complexe et cela est constaté dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 novembre 2018, puisque la cour d’appel a en effet rejeté la demande du porteur du chèque, en précisant que la responsabilité de la banque en matière de maintien de la provision d’un chèque frappé d’opposition doit courir jusqu’à l’expiration du délai de prescription du chèque, dans l’hypothèse où la mainlevée de l’opposition n’a pas été ordonnée avant cette date, soit jusqu’à la signification d’une décision exécutoire ordonnant la mainlevée de l’opposition, si une telle décision
intervient avant l’expiration du délai de prescription du chèque.

Cet argumentaire dont les fondements restent encore à ce jour inconnus, avaient donné lieu à des calculs savants de dates, et ce, au détriment du bénéficiaire du chèque qui s’était vu débouté de son action en responsabilité contre la banque.

B. Des règles d’attribution de compétence critiquées.

L’article L. 131-35, alinéa 4 du CMF dispose que « quand le tireur fait une opposition pour d’autres causes, le juge des référés, même dans le cas où une instance au principal est engagée, doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l’opposition ».
Le principe semble donc très clair, mais a été remis en cause dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation en date du 5 décembre 2018.

En l’espèce, des individus avaient porté leur demande de mainlevée d’opposition au paiement d’un chèque devant le Tribunal de grande instance (TGI), et s’étaient vu déboutés au motif que le TGI était incompétent en la matière, et qu’au regard des dispositions de l’article L. 131-35, alinéa 4 du CMF, le juge des référés était le seul à pouvoir ordonner la mainlevée.

Le « référé » est une procédure rapide par devant un juge unique qui rend une décision par voie d’ordonnance ayant un caractère provisoire et donc susceptible de modifications ultérieures.
Il s’agit donc là d’une justice provisoire, bien que la multiplication des cas où le législateur à octroyer au juge des référés des pouvoirs toujours plus importants, nous amène à nous interroger sur le fait de savoir si ce juge ne serait pas susceptible, dans bon nombre de cas, d’être considéré comme un juge du fond.

En matière de demande de mainlevée d’opposition au paiement d’un chèque, la compétence du juge des référés semble être naturellement indiquée pour une raison simple, à savoir l’urgence de la situation. En effet, le porteur du chèque peut avoir intérêt à en obtenir le paiement le plus rapidement possible. Dès lors, l’urgence caractérisée est une condition première ; l’absence de contestation sérieuse ou l’existence d’un différend forment la seconde condition cumulative à la précédente.

En l’espèce, au soutien de leur pourvoi, les demandeurs expliquent que si le juge des référés est seul compétent pour ordonner la mainlevée d’une opposition au paiement d’un chèque, sa décision n’est que provisoire. Ainsi, cela ne devrait pas pour autant empêcher le TGI de statuer au fond sur une telle demande, permettant dès lors d’obtenir une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée. En conséquence de quoi, ils ont considéré que les dispositions de l’article L. 211-3 du code de l’organisation judiciaire avait été violées par la Cour d’appel.

Cet article dispose que « le Tribunal de grande instance connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction ».
C’est en rapprochant cet article de la possibilité offerte par le législateur en de multiples
hypothèses, à des juges n’étant pas de véritables juges des référés de statuer « en la forme des référés », que l’argumentaire trouve tout son sens.

En effet, pourquoi ne pas avoir simplement débouté la partie demanderesse en première instance en l’invitant à mieux se pourvoir en saisissant le président du TGI en la forme des référés ? L’avantage aurait été double puisque cela aurait permis à la demanderesse de gagner du temps, comme au service public de la justice par ailleurs, ce dernier économisant également de l’énergie et de l’argent.

Cette réflexion est également intéressante au regard de la lettre de l’article L. 131-35, alinéa 4 du CMF. En effet, le législateur utilise le terme « juge des référés » sans qu’il soit certain qu’il ait expressément exclu de cette notion les juges statuant en la forme des référés.

La Cour de cassation saisie de cette question dans cette affaire, et de la question de l’opposition et du rôle du banquier dans la première affaire présenté ci-dessus, a finalement apporté des précisions et des modifications indispensables.

II. Des précisions et aménagements novateurs insufflés par la Cour de cassation.

A. Le droit processuel encadrant la mainlevée.

La fiabilité et l’efficacité d’un chèque en qualité de moyen de paiement ne trouve son sens que si l’ordre de paiement adressé par le tireur à la banque tirée est irrévocable. En effet, dans le cas contraire, quel serait l’attrait d’un paiement par chèque ?

Toutefois, et nous l’avons vu, la loi autorise le tireur dans des cas spécifiques et strictement encadrés, à paralyser le paiement en formant opposition.
Le porteur du chèque, en cas d’opposition, est le premier pénalisé et l’article L. 131-35, alinéa 4 du CMF prévoit spécifiquement la possibilité pour ce dernier de demander la mainlevée de l’opposition, et ce devant le juge des référés.

La rédaction du texte ne laisse guère de place au doute mais la Cour de cassation est tout de même venue rappeler la compétence de principe du juge des référés en matière de mainlevée d’opposition au paiement d’un chèque, dans l’arrêt du 5 décembre 2018.

C’est la première fois que la Haute cour prend position sur ce sujet et c’est au travers d’un attendu de principe précis qu’elle affirme avec des mots lourds de sens que : « le juge des référés dispose d’un monopole en matière de mainlevée ».
Le terme « monopole » n’est pas anodin ici car il vient mettre fin à tout débat ultérieur et met également fin à toute interprétation possible, du moins en théorie. Cette précision du cadre légal est novatrice dans la mesure où rarement la Cour de cassation n’utilise de termes aussi forts que celui de « monopole » en matière de compétence d’attribution.

En faisant une application stricte et littérale du texte, la chambre commerciale ne répond néanmoins pas à d’autres interrogations possibles et exposées ci-dessus, notamment sur la question de savoir si tout juge statuant en la forme des référés ne seraient pas susceptible de pouvoir traiter une requête en mainlevée d’opposition.

Toutefois, et comme nous l’avons déjà vu, la position de la Cour se veut logique malgré tout. En effet, la rédaction du texte n’est pas ambiguë et ne laisse pas de place au doute d’une part ; l’urgence de la situation dans laquelle se trouve le porteur du chèque rend justifiable le fait que le juge des référés soit compétent pour connaître de ces demandes d’autre part.
Néanmoins, Quid des situations non urgentes ou présentant une contestation sérieuse ? Le juge des référés dans ces hypothèses ne peut se prononcer. Ainsi, comment et auprès de qui le porteur du chèque doit demander la mainlevée de l’opposition ? Le peut-il tout simplement ?

B. La banque face au droit d’opposition du client.

L’arrêt rendu le 21 novembre 2018 est un véritable tournant en matière de responsabilité de la banque tirée dans les cas précis ou le tireur fait opposition au chèque.
Si nous avons vu précédemment que la banque est soumise à l’obligation de bloquer la provision du chèque, il n’en demeure pas moins que de nombreuses affaires ont données lieu à des contentieux car la banque ne respectait pas son obligation et parfois parce que les délais durant lesquels cette provision doit être bloquée n’étaient pas forcément précis.
En effet, le législateur n’a pas répondu à cette question mais la jurisprudence pallie ce vide juridique dans cette affaire, en précisant que l’immobilisation de la provision doit être effective jusqu’à la décision judiciaire statuant sur la validité de l’opposition, si la banque a été mise en cause dans l’instance en référé engagée à cette fin, ou, sinon, pendant une année suivant l’expiration du délai de présentation du chèque.

À la lecture de la jurisprudence, nous relevons immédiatement que ces deux règles ne sont qu’alternatives. Et cela pose problème dans le cadre de la première hypothèse, car si l’ordonnance rendue par le juge autorise la mainlevée de l’opposition, le porteur du chèque peut dès lors le présenter à nouveau à l’encaissement, mais sous quels délais ? Rien n’est précisé, et sans doute que la précision de ce point, en invoquant par exemple et à minima un délai raisonnable, aurait été judicieux.
Ce point met également en difficulté la banque, qui dès lors, ne sait pas non plus si l’immobilisation de la provision doit perdurer.

C’est justement ce dernier point qui a donné lieu à une position nouvelle de la Cour de cassation dans l’arrêt de novembre.
Après avoir obtenu une ordonnance de mainlevée d’opposition, le porteur du chèque avait représenté au paiement le titre, en vain, car la provision n’était pas suffisante. Il a donc assigné la banque en paiement du chèque et de dommages intérêts sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
Ce fondement est novateur et logique car, par essence, le bénéficiaire du chèque n’a pas de lien contractuel avec la banque tirée. L’action en elle-même est novatrice car elle met en exergue le fait que la banque avait levé la provision le jour ou l’ordonnance de mainlevée lui avait été signifiée, soit deux jours seulement après que la décision ait été rendue.
Ainsi, est ce que deux jours était suffisant au porteur du chèque pour représenter le titre au paiement ? Il semble évident que non.
Ce dernier, ayant déjà eu à se soumettre à de nombreuses procédures afin de faire lever une opposition abusive du chèque en vue d’obtenir le paiement, devait-il en plus être contraint d’agir à la hâte pour présenter le chèque une deuxième fois au paiement ? L’équité voudrait que non et c’est bien en ce sens que la Haute cour s’est positionnée.

En effet, elle a, d’une part et pour la première fois, retenu la faute de la banque sur le fondement de la responsabilité délictuelle 19.
Ceci constitue une avancée majeure permettant désormais au bénéficiaire d’un chèque d’attaquer la banque avec la certitude (si les conditions sont réunies) d’obtenir gain de cause et surtout de ne pas se voir débouté sur le fondement d’absence d’intérêt à agir.

D’autre part, la chambre commerciale précise que c’est donc la nouvelle présentation au paiement du chèque, et elle seule, qui met fin à l’immobilisation de la provision. Ce détail est crucial car protecteur du bénéficiaire, mais aussi de la banque qui désormais connait le délai durant lequel elle doit maintenir l’immobilisation de la provision, limitant ainsi le risque de se voir condamner a posteriori.

Si le chèque est un moyen de paiement en perte de vitesse dans le monde, y compris en France, il n’en demeure pas moins que le secteur bancaire français reste une exception au phénomène.
En effet, en 2015, 2,5 milliards de chèques étaient encore signés. Malgré les tentatives du Gouvernement Valls en 2016 de réduire la durée de validité des chèques de moitié, les Parlementaires s’y sont opposés. Ainsi, ces précisions majeures que vient de livrer la Cour de cassation présentent un intérêt fondamental.

Alexandre PERON Avocat à la Cour