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Délivrance de permis de conduire : l’administré n’a pas à pallier l’erreur de l’administration. Par Xavier Bouillot, Avocat.
Parution : jeudi 18 avril 2019
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Le juge des référés administratifs du Tribunal de Paris a rendu une ordonnance dont l’intérêt principal est de rappeler que l’administration, lorsqu’elle a commis une erreur matérielle dans le traitement d’une demande, n’a pas à exiger que l’administré introduise une nouvelle demande, mais est au contraire tenue de réparer cette erreur.

En l’espèce, un conducteur, déjà titulaire du permis B (auto), avait passé avec succès l’examen du permis A (moto), en novembre 2016. N’ayant pas reçu son permis de conduire dans les quatre mois, il avait accompli plusieurs démarches auprès de la préfecture qui, après quelques renvois entre services, avait fini par le diriger vers l’agence nationale des titres sécurisés (ANTS).

Cette agence a pour mission de concevoir, de gérer et d’éditer les titres sécurisés émis par l’Etat, au rang desquels les passeports, les cartes d’identités et, naturellement, les permis de conduire.

Après la saisine du requérant, l’ANTS avait délivré, en février 2018, un titre erroné, puisque celui-ci ne portait pas la mention du permis A, soit le permis moto.

Après s’être ouvert de cette erreur auprès de la préfecture en octobre 2018, et sans réponse de cette dernière, le requérant n’avait eu d’autre choix que de saisir le juge administratif, dans le cadre d’un référé dit « mesures utiles », régi par l’article L. 521-3 du code de justice administrative, afin de ne plus subir l’inertie administrative.

Tout d’abord, le juge des référés retient que la préfecture, qui est l’autorité officielle de délivrance du permis, mais non celle d’émission du titre, aurait dû transmettre la réclamation d’octobre 2018 à l’ANTS.
L’article L. 114-2 du Code des relations entre le public et l’administration dispose en effet que lorsqu’une réclamation est adressée à une administration incompétente, celle-ci doit aiguiller cette réclamation vers la bonne administration, et en informer le réclamant.

Rien de tout ceci n’avait été fait, puisque sa réclamation était restée lettre morte.

Ensuite, le juge des référés, saisi en février 2019, a reconnu que les délais anormalement longs d’émission du titre conféraient à la demande du requérant un caractère d’urgence et d’utilité, deux critères légaux indispensables au succès d’un recours en référé.

En cela, il a suivi sa jurisprudence constante [1], laquelle se fonde sur le fait que conduire sans permis constitue une infraction pénale, ce qui rend nécessairement urgente et utile la demande d’un administré n’ayant pas reçu, après un certain délai, un titre auquel il a droit.

Enfin, et c’est là probablement le point le plus intéressant de l’ordonnance, le juge a conclu, pour ordonner la délivrance du titre sous huit jours, que l’ANTS ne justifiait d’aucune démarche entreprise afin de réparer l’erreur commise par elle dans la délivrance du titre erroné.

Durant l’instruction, l’ANTS, comme au demeurant la préfecture, avaient cru bon d’arguer de l’inutilité de la demande, dès lors qu’il était loisible au requérant d’introduire une nouvelle demande.
Face à cette défense quelque peu aisée, le requérant n’a pas manqué de rappeler au juge qu’il ne lui appartenait pas de corriger les erreurs de l’administration, en accomplissant telle ou telle diligence, et qu’il ne disposait au demeurant d’aucune garantie quant à l’émission d’un titre en bonne et due forme.

Le juge des référés a fait droit à cette argumentation :
« Cette dernière (l’ANTS) n’a fourni aucune autre explication sur sa carence à réparer l’erreur commise par elle et à produire matériellement le permis de conduire sollicité par M. X. Ainsi, la demande de M. X ne se heurte à aucune contestation sérieuse. »

En somme, il n’appartient pas à un administré de réparer l’erreur commise par l’administration dans le traitement de sa demande, en introduisant une nouvelle demande.

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’administration se serait efforcée de corriger le tir, dans des délais raisonnables, qu’elle pourrait éventuellement demander au juge des référés de rejeter une telle demande.

Si la simplification et la dématérialisation des démarches administratives ont conduit dans les dernières années à une nette amélioration de certaines formalités, il n’en demeure pas moins que, lorsque la machine s’enraye, l’administré peut parfois faire face à un parcours du combattant.

Cette ordonnance constitue, par conséquent, une référence utile pour ceux qui, confrontés aux dérobades de l’administration face à ses propres erreurs, finissent par se tourner vers le juge pour obtenir satisfaction.

Référence de la décision : Juge des référés du Tribunal administratif de Paris, ordonnance N°1902459/9 du 29 mars 2019.

Principaux extraits de la décision :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 février 2019 et le 7 mars 2019, M. X, représenté par Me B., demande au juge des référés :
1°) d’ordonner à l’Agence nationale des titres sécurisés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, de lui délivrer matériellement son permis de conduire comportant la catégorie A dans un délai de huit jours à compter de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de l’Agence nationale des titres sécurisés la somme de 1.500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l’urgence est établie dès lors qu’en dépit de ses multiples démarches, il ne dispose toujours pas de son permis de conduire mentionnant la catégorie A et est privé de la possibilité de conduire la moto qu’il a acquise ;
- il a satisfait à l’examen du permis « catégorie A » le 28 novembre 2016 et a accompli toutes les démarches en vue de l’obtention de ce titre, auprès de la préfecture puis de l’ANTS, qui est l’autorité chargée d’établir matériellement le titre et de lui transmettre.
Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2019, l’Agence nationale des titres sécurisés conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :
- la condition de l’urgence n’est pas remplie dans la mesure où M. X ne l’a pas informée de l’erreur commise sur le permis de conduire transmis le 23 février 2018 ;
- la demande est mal dirigée dès lors qu’elle n’est pas l’autorité compétente pour délivrer le permis de conduire.

Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2019, le préfet des Hauts-de-Seine informe le tribunal que M. X a la possibilité de faire rectifier l’erreur commise sur le permis de conduire établi le 28 février 2018 en déposant une demande auprès de l’Agence nationale des titres sécurisés.
(…)

3. M.X, déjà titulaire d’un permis de conduire de catégorie B, a, le 28 novembre 2016, réussi les épreuves de l’examen du permis de conduire de catégorie A présentées au centre de Villacoublay (Yvelines). N’ayant pas reçu son titre dans le délai de quatre mois qui lui avait été annoncé, il a entrepris des démarches auprès de la préfecture des Yvelines, puis, selon les indications de cette dernière, de la préfecture des Hauts-de-Seine, puis de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) vers laquelle il a finalement été dirigé. Le 12 janvier 2018, un permis de conduire ne comportant pas la mention de la catégorie A est édité et remis à M. X. Par un courrier du 24 octobre 2018 resté sans réponse, le requérant a signalé l’erreur commise au préfet des Yvelines. M. X demande au tribunal, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’ANTS de lui délivrer matériellement son permis de conduire comportant la catégorie A.

4. D’une part, aux termes du II de l’article R. 221-1-1 du code de la route : « Le permis de conduire est délivré à tout candidat qui a satisfait aux épreuves d’examen prévues au présent chapitre par le préfet du département de sa résidence ou par le préfet du département dans lequel ces épreuves ont été subies ».

5. D’autre part, aux termes de l’article 2 du décret n° 2007-240 du 22 février 2007 portant création de l’Agence nationale des titres sécurisés : « L’agence a pour mission de répondre aux besoins des administrations de l’Etat de conception, de gestion, de production de titres sécurisés et des transmissions de données qui leurs sont associées. Ces titres sont des documents délivrés par l’Etat et faisant l’objet d’une procédure d’édition et de contrôle sécurisée. / Sans préjudice des dispositions relatives au système d’information et de communication de l’Etat, pour l’accomplissement de ces missions, l’agence est chargée notamment de : / (...) 2° Assurer ou faire assurer, la mise en œuvre de services en ligne, de moyens d’identification électronique et de transmissions de données associée à la délivrance et à la gestion des titres sécurisés ; / (...) 6° Développer et mettre en œuvre des plates-formes d’échanges sécurisés des données dans le cadre du 1° et 2° ci-dessus. / L’agence exerce ses missions conformément aux conventions prévues à l’avant-dernier alinéa du présent article. / La liste des titres sécurisés est fixée par décret. / L’agence accomplit sa mission dans le respect des orientations générales arrêtées par l’Etat en matière de titres sécurisés et dans le cadre de la coopération européenne et internationale. Sa mission exclut l’instruction des demandes et la délivrance des titres. Avec l’accord du ministre responsable de la délivrance des titres et dans les conditions fixées par la convention prévue au treizième alinéa, l’agence peut être autorisée à gérer pour le compte des administrations de l’Etat les traitements automatisés correspondants. / (...) Les modalités d’intervention de l’agence pour le compte d’une administration de l’Etat sont précisées dans une convention qui peut prévoir, à la demande de l’administration intéressée, et à titre onéreux, la mise à disposition puis l’adaptation de services développés par l’agence dans le cadre du 1° et 2° ci-dessus. / (...) ».
Les missions confiées à l’ANTS par ces dispositions s’exercent pour le permis de conduire, ainsi qu’il résulte du 11° de l’article 2 du décret n° 2007-255 du 27 février 2007.

6. Enfin, dans le cadre du plan « Préfectures nouvelle génération », L’ANTS est chargée de mettre en œuvre les procédures dématérialisées pour le ministère de l’intérieur et a la responsabilité de la production des titres, notamment le permis de conduire.

7. M. X, qui demande au tribunal d’enjoindre à l’ANTS de lui délivrer matériellement son permis de conduire comportant la catégorie A, doit être regardé comme sollicitant la production de ce titre. Par suite, eu égard aux modalités d’intervention de l’ANTS pour le compte du ministère de l’intérieur, l’agence n’est pas fondée à soutenir que les conclusions de M. X sont mal dirigées.

8. Il résulte de l’instruction que M. X est privé de la possibilité de conduire une moto nécessitant la détention d’un permis de conduire de catégorie A depuis le mois d’avril 2016. Eu égard au délai anormalement long qui s’est écoulé depuis cette date et alors que le fait de conduire sans permis constitue une infraction pénale et que l’intéressé est dans l’impossibilité de conduire la moto qu’il a acquise en décembre 2016, sa demande doit être regardée comme présentant un caractère urgent et utile.

9. Il est constant que M. X a obtenu un permis de conduire de catégorie A à l’issue des épreuves d’examen du 28 novembre 2016 et qu’il a accompli les démarches nécessaires auprès de l’ANTS afin d’obtenir ce titre. Il est également constant que le titre qui lui a été remis par l’ANTS le 28 février 2018 est erroné en ce qu’il ne comporte pas la mention de la « catégorie A ». Contrairement à ce qui est soutenu en défense, M. X a signalé cette erreur le 26 octobre 2018 au préfet des Yvelines, préfet du département dans lequel il avait passé les épreuves d’examen, qui, en vertu des dispositions de l’article L. 114-2 du code des relations entre le public et l’administration, avait l’obligation de transmettre la réclamation du requérant à l’ANTS. Cette dernière n’a fourni aucune autre explication sur sa carence à réparer l’erreur commise par elle et à produire matériellement le permis de conduire sollicité par M. X. Ainsi, la demande de M. X ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

10. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre à l’ANTS d’éditer le permis de conduire portant la mention « catégorie A » de M. X dans un délai de huit jours. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Agence nationale des titres sécurisés le versement à M. X d’une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ordonne :
Article 1er : Il est enjoint à l’Agence nationale des titres sécurisés d’éditer le permis de conduire portant la mention « catégorie A » de M. X dans un délai de huit jours.
Article 2 : L’Agence nationale des titres sécurisés versera à M. X une somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Xavier Bouillot, avocat au barreau de Paris [->https://www.xbouillot-avocat.com/publications]

[1Par exemple, TA Paris, ordonnance du 20 juin 2018, n°1808737/9.

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