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Absence de contractualisation : le pari gagnant du dispositif d’intéressement. Par Sophie Hochard, Avocat.
Parution : vendredi 19 avril 2019
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Alors que l’Assemblée Nationale vient d’adopter définitivement la loi PACTE ce 11 avril, la question de l’épargne salariale n’a décidément pas fini de faire parler d’elle.
Aux termes d’un arrêt du 6 mars 2019 (n°18-18-10615) résonnant comme un écho à l’actualité législative de ce début d’année, la Cour de Cassation a énoncé que la référence dans le contrat de travail d’un salarié aux modalités de calcul de la prime d’intéressement telles que prévues par l’accord collectif en vigueur n’emporte pas contractualisation au profit du salarié de ce mode de calcul.

Préambule : l’intéressement, qu’est-ce-que c’est ?

Atout majeur de toute entreprise dans le déploiement d’une politique de fidélisation des salariés, la prime d’intéressement a pour objet d’associer les salariés aux performances de leur entreprise.

A l’inverse de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise (obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés), l’intéressement est un dispositif d’épargne salariale facultatif, défini comme suit par l’article L 3312-1 du code du travail :
« L’intéressement a pour objet d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise.
Il présente un caractère aléatoire et résulte d’une formule de calcul liée à ces résultats ou performances.
Il est facultatif. »

En d’autres termes, lorsque l’accord d’intéressement est en place, le salarié perçoit une prime dont le montant et les conditions de versement sont définis par l’accord d’intéressement.

Les sommes versées sont immédiatement disponibles.

Le salarié bénéficiaire peut toutefois choisir de les placer sur un plan d’épargne salarial ou un compte épargne-temps.

L’intéressement résulte d’une formule de calcul liée aux résultats ou aux performances de l’entreprise, cette dernière devant conférer à l’intéressement un caractère variable et incertain.

Le versement de primes, en l’absence de résultat ou de performance, ou reflétant la simple activité de l’entreprise, est interdit.

A. La référence obligatoire de la formule de calcul de l’intéressement dans l’accord collectif en vigueur.

La formule de calcul de l’intéressement doit être mentionnée dans l’accord, la formule de calcul étant basée sur les résultats et/ou les performances de l’entreprise [1].

Le montant de l’intéressement est calculé librement.

La formule peut prendre en compte des variables d’exploitation ou d’ailleurs toute autre variable mesurable de manière fiable, les variables de calcul retenues ne devant pas nécessairement être liées au niveau de productivité des salariés.

Rappelons que le montant des primes d’intéressement est individuellement plafonné.

Quant au mode de répartition de l’intéressement, il est obligatoirement :
- Egalitaire, tout le monde touche la même prime.
- ou Proportionnel au salaire versé.

Le Ministère du Travail y accorde d’ailleurs une telle importance que depuis le 7 février 2019, il a mis à disposition des entreprises un modèle d’accord d’intéressement contenant une fiche à destination des TPE-PME.

exemple pratique :

Formule sur le résultat :

- Un pourcentage du résultat courant avant impôts (RCAI),
- L’attribution d’un pourcentage du RCAI en fonction de la tranche de résultat atteinte (ex : 0% sur la tranche de RCAI comprise entre 1 euros et 200.000 euros, 5 où sur la tranche comprise entre 200.001 euros et 400.000 euros etc…),
- Un pourcentage brut d’exploitation.

Il est naturellement possible d’inclure un plafond, en précisant par exemple que les sommes perçues au titre de l’intéressement ne sauraient être supérieures à X euros, ou à X mois de salaires,

B – La référence superfétatoire de la formule de calcul de l’intéressement dans le contrat de travail.

Le motif adopté par la Cour de Cassation dans son arrêt du 6 mars 2019 ne lasse guère de doute quant à l’interprétation de l’arrêt, et cela, notamment grâce aux visas conjoints des articles L3312-2et L3313-2 du code du travail.

Le litige portait sur les modalités de calcul de l’intéressement : en l’espèce, un salarié avait adhéré à un dispositif de cessation anticipée d’activité prévue par un accord collectif datant de 2009, et avait dans ce cadre régularisé un avenant avec son employeur le 29 mars 2012.

Le salarié avait ensuite sollicité du Conseil de Prud’hommes une demande en rappel de prime d’intéressement pour les années 2012 et 2013 en se fondant sur les modalités de calcul de l’intéressement contenues dans son avenant au contrat de travail, lesquels étaient plus favorables que les modalités de calculs contenues dans l’accord collectif adopté par l’entreprise le 29 juin 2012, soit ultérieurement à la régularisation de l’avenant.

Le salarié se fondait pour cela sur les stipulations contenues dans son avenant au contrat de travail et sur le fait que la rémunération contractuelle ne pouvait être modifiée sans son accord préalable.

La Cour d’Appel, pour débouter le demandeur de ses prétentions, avait constaté que l’accord d’intéressement du 29 juin 2012 s’était substitué à celui en vigueur au moment de la signature de l’avenant au contrat de travail du salarié.

Par un Attendu lapidaire, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par le salarié et retenu que la dénonciation de l’accord d’intéressement dont le salarié sollicitait l’application était intervenue de façon régulière et que les stipulations de l’accord d’intéressement du 29 juin 2012 lui étaient donc parfaitement opposables.
Conséquence logique, la référence dans le contrat de travail de salarié aux modalités de calcul de la prime d’intéressement telles que prévues par l’accord collectif alors en vigueur n’emporte pas contractualisation au profit du salarié de ce mode de calcul.

Conclusion :

Interprétation illusoire du principe de faveur ou application effective de la législation en vigueur en matière d’accord d’intéressement ? La Cour de Cassation a tranché.

Si l’arrêt présente l’inconvénient d’écarter des dispositions contractuelles plus favorables au salarié que l’accord collectif, il doit être accueilli favorablement en ce qu’il représente un nouvel encouragement à l’actionnement de leviers particulièrement incitatifs permettant de développer un partenariat constructif entre employeurs et salariés.

Une fois n’est pas coutume, cet arrêt s’inscrit dans une visée résolument moderne, et, semble-t-il, en tous point conforme au vaste chantier qu’est la modernisation de la justice.

Sophie Hochard Avocat au Barreau de MARSEILLE [->sophiehochard.avocat@gmail.com]