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Nouvelles mesures européennes anti-blanchiment d’argent. Par Zahra Reqba, Docteur en droit.
Parution : mardi 23 avril 2019
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L’éclatement récent d’une série noire d’affaires de blanchiment d’argent en Europe (dont le scandale de Danske Bank en Estonie) a mis à l’épreuve l’efficience du cadre juridique européen de lutte contre le blanchiment d’argent et a relancé le débat sur sa réforme.

Particulièrement exposé au risque de blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, le circuit financier est pourtant bien encadré par le droit européen qui dispose d’un solide cadre juridique en la matière à travers les différentes directives européennes qui ont été adoptées en la matière depuis 2015 dont la dernière est la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 (dite 4ème directive) relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE. Sa révision un mois plus tard a donné naissance à la 5ème directive anti-blanchiment qui a été adoptée le 19 juin 2018.

Aux dispositions de ces directives se juxtaposent les recommandations du GAFI (Groupe d’Action Financière), groupe intergouvernemental créé en 1989 par les ministres des États membres pour élaborer des normes et des politiques pour lutter contre le blanchiment des capitaux) dont la dernière révision remonte à 2012.

C’est dire que l’activité bancaire et financière est soumise à un contrôle restreint de la part des autorités de surveillance de leur État d’établissement (en particulier les cellules de renseignement financier) et s’exposent à des sanctions disciplinaires voire pénales en cas de manquement à leur obligation de vigilance en omettant de signaler une opération suspecte. Une obligation qui a été renforcée suite aux différents attentats terroristes qui ont été perpétrés en Europe et qui a été étendue à de nombreux professionnels en dehors du circuit bancaire (conseillers fiscaux, experts- comptables, agents immobiliers..).

Me diriez-vous, comment se fait-il que des scandales de blanchiment d’argent puissent toujours se produire malgré l’existence d’un tel cadre juridique ? Le Conseil européen s’est penché sur cette question, et l’a introduite comme un objectif à atteindre dans le cadre de conclusions qu’il a adoptées fin 2018 afin de mettre en évidence les facteurs qui ont conduit à la survenance des récentes affaires de blanchiment.

A notre avis, la réponse peut s’expliquer notamment, (comme c’est le cas en matière de cybersécurité), par le manque de transposition des directives en matière de blanchiment d’argent par les certains États membres dans les délais impartis par la Commission européenne, ce qui a conduit à une absence d’harmonisation de règles de surveillance dans les États membres et partant, à un manque d’application effective des dispositions des directives dans ces États.

Comme l’a souligné Věra Jourova, commissaire chargée la Justice, des consommateurs et de l’égalité des genres : "L’Europe a les règles d’anti-blanchiment les plus strictes du monde. Mais les cas récents dans le secteur bancaire ont montré que leur application et le contrôle de leur application n’étaient pas toujours effectuées selon les mêmes normes élevées dans toute l’Union(...)".

Théoriquement, le cadre juridique européen existe, mais sans une transposition rigoureuse de la part des États membres, et sans une coopération efficace entre leurs différentes autorités de contrôle, non seulement ce cadre est fragilisé mais également le système bancaire et financier.

Face au risque auquel peut être exposé le secteur financier européen, aussi bien quant à sa solidité que sa réputation, les acteurs européens ont décidé d’agir. La Commission européenne a non seulement rappelé à l’ordre les États qui ont failli à leur devoir de transposition des directives européennes dans les délais impartis mais a également présenté au Conseil en septembre 2018 une proposition pour renforcer davantage le cadre européen en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. A la lumière de cette proposition, le Conseil a adopté des règles plus strictes en matière de blanchiment de capitaux.

La nouvelle stratégie européenne est axée sur les points suivants : le renforcement du rôle de l’Autorité bancaire européenne (I) et l’adoption de mesures non législatives dans le but de renforcer la surveillance des activités de lutte contre le blanchiment de capitaux et encourager la coopération entre les autorités compétentes des États membres (II).

I/Renforcement du rôle de l’Autorité bancaire européenne (ABE).

Le Conseil a arrêté sa position par rapport à la surveillance renforcée des banques en attribuant de nouveaux pouvoirs à l’Autorité bancaire européenne (ABE) concernant la surveillance des établissements financiers sur le plan anti-blanchiment et pour renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

L’ABE qui se contente actuellement uniquement de lancer des enquêtes « post-mortem », après les faits, se verrait attribuer les compétences suivantes :
• Collecter auprès des autorités nationales les informations sur les carences détectées dans le cadre de leur mission ;
• Consolider la surveillance prudentielle par la mise en place de normes communes sur le plan européen et le renforcement de la coopération entre les autorités nationales de surveillance ;
• Soumettre les autorités compétentes à des évaluations de risques pour mettre à l’épreuve leur stratégie en matière de gestion de risques émergents ;
• Faciliter la coopération avec les pays tiers ;
• Adopter des décisions adressées directement à des établissements bancaires.

II/ L’adoption de mesures non législatives dans le but de renforcer la surveillance des activités de lutte contre le blanchiment de capitaux et encourager la coopération entre les autorités compétentes des États membres.

En raison de l’absence d’un organe européen qui assure la surveillance anti-blanchiment, la lutte contre le blanchiment d’argent est essentiellement nationale. C’est la raison pour laquelle la Commission a proposé au Conseil de renforcer la coopération entre les autorités nationales de contrôle.

en outre, le Conseil a décidé d’analyser en profondeur les affaires de blanchiment de capitaux qui ont récemment éclaté dans les banques européennes, afin d’en déceler les facteurs, et d’élaborer de nouvelles mesures en conséquence.

Ces mesures poursuivent les objectifs suivants :
• cartographier les risques pertinents en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ainsi que les meilleures pratiques de surveillance prudentielle pour y parer ;
• renforcer la surveillance prudentielle, et particulièrement les aspects liés à la lutte contre le blanchiment des capitaux ;
• améliorer la surveillance, la coopération ainsi que l’échange d’informations entre les autorités compétentes ; partager les meilleures pratiques et trouver des possibilités de convergence entre les autorités nationales ;
• retrait de l’autorisation d’une banque en cas de violations graves de ses obligations.

Ces mesures sont en attente du sceau d’approbation du Parlement européen.

En parallèle de ces mesures axées sur le plan européen, et étant donné la dimension mondiale du risque de délinquance financière, la Commission européenne a publié le 13 février 2019 une nouvelle liste des pays tiers qui présentent des insuffisances stratégiques dans leur réglementation contre le blanchiment d’argent dans le but de protéger le système financier européen. A ce titre, tous les établissements du secteur financier européen sont tenus d’effectuer des contrôles renforcés pour les opérations financières des clients et des établissements de ces pays à haut risque. Une liste qui a été rejetée par les ministres des États membres « pour manque de transparence ».

Conclusion.

Dans ses conclusions, le Conseil n’a finalement pas retenu une idée qui a été défendue par Mr Mario Draghi, Président de la Banque centrale européenne ainsi que par certains pays européens dont la France qui consiste à créer une nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent. Cette idée n’a pas été partagée par la majorité de gouvernements nationaux qui ont préféré l’amélioration des attributions des organes existants en matière de surveillance plutôt que d’en créer un nouveau. Pourtant, établir une telle autorité aurait contribué à améliorer sensiblement le niveau de coordination et de coopération entre les États membres.

En somme, l’étude du cadre juridique européen de lutte contre le blanchiment d’argent ainsi que les facteurs de risque (dont le recours aux réseaux numériques) ne peut être cerné en quelques pages. Dans le présent article, il a été sujet uniquement de dresser un panorama des dernières propositions de la Commission et du Conseil européens.

Zahra REQBA, Docteur en droit