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Loi « Badinter » : actualité après l’arrêt du 18 avril 2019. Par Aurélien Dumas-Montadre, Élève-avocat.
Parution : mardi 23 avril 2019
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C’est la confirmation d’une application continue depuis la « loi Badinter » par le juge de cassation : nul besoin d’un contact entre deux véhicules terrestres à moteur (VTAM) pour que l’un soit impliqué dans l’accident subi par l’autre. (Arrêt n°573 du 18 avril 2019 (18-14.948) – Cour de cassation - Deuxième chambre civile.)

L’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation (dite « Loi Badinter) prévoit que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent […] aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur […] ».

Le Garde des Sceaux Robert Badinter, à l’origine de ce texte, avait indiqué que « s’agissant du terme impliqué, il est volontairement très large. C’est le fait qu’un véhicule terrestre à moteur soit intervenu, à quelque titre que ce soit, qui détermine l’application des règles contenues dans le texte […]. On ne devrait donc pas avoir à discuter du rôle causal ou non, actif ou passif, du véhicule pour déterminer son existence . »

C’est précisément ce principe que la Cour de cassation s’attache à maintenir dans cet arrêt.

La décision d’appel, rendue sur renvoi après cassation, a été prononcée par la Cour d’appel de Limoges le 15 février 2018.

Malgré la constance de la deuxième chambre civile sur cette thématique, les pourvois formés en ce domaine sont réguliers.

Les faits d’espèce sont d’une rare simplicité :

Le 31 août 2011, un motard circule sur la route. Ralenti dans sa conduite par un tracteur appartenant au conseil général du Territoire de Belfort qui fauche l’herbe bordant la voie, il entreprend de le dépasser. Le conducteur perdant alors le contrôle de sa moto, l’accident survient.

La discussion ne porte que sur un seul point : sur un plan juridique, doit-on considérer la gêne provoquée par le tracteur comme élément causal du dommage ? En d’autres termes, un véhicule, de par sa seule présence, peut-il être passivement tenu pour responsable d’un accident de la circulation ?

La Cour de cassation répond par l’affirmative.

Les magistrats considèrent que le tracteur du conseil général du Territoire de Belfort est impliqué, bien qu’aucun contact ne soit intervenu entre le motard et lui.

La lente allure du tracteur a justifié le dépassement ; dépassement qui est la cause de l’accident.

1/ Sur la notion d’implication du véhicule.

L’implication est déterminante : sans elle, aucune responsabilité n’est engagée.

Cette notion d’implication est excessivement large, à tel point qu’Aurélien Bandé, pour savoir si le VTM est impliqué, précise que « cela suppose simplement de se demander si, sans la présence du véhicule, l’accident serait ou non survenu sans pour autant que ce véhicule ait eu un rôle perturbateur.  »

Les juges de cassation s’appliquent à faire respecter ce principe : la victime d’un accident de la circulation peut se retourner contre tout véhicule ayant été impliqué. Le conducteur du véhicule impliqué ne peut opposer ni l’absence de choc, ni la passivité de son véhicule lors de l’accident. [1].

Cette position est fixe et est notamment expressément reprise dans un arrêt de 2000 : « Attendu qu’est impliqué tout véhicule qui est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident ». [2]

Le professeur Philippe Malaurie précise encore au sujet de cet arrêt que "si la victime ne convainc pas les juges que le véhicule du défendeur est impliqué, elle est déboutée". [3]

C’est finalement la seule tâche de la victime : démontrer l’implication, chose relativement aisée eu égard aux arrêts rendus en la matière…

2/ Sur les conséquences de l’implication.

La conséquence de l’implication est simple : dès que le conducteur d’un VTAM est jugé impliqué, il est présumé responsable du dommage subi par la victime, en tout cas lorsque le dommage est survenu simultanément à l’accident. [4]

Il s’agit à l’évidence d’une logique indemnitaire : tout véhicule qui intervient à quelque titre que ce soit (même à titre passif) dans un accident est impliqué.

Lorsqu’il est impliqué, le conducteur est présumé responsable et est obligé à réparation.

Nulle question de faute, d’imprudence ou négligence de la part du conducteur qui se retrouve obligé.

La loi Badinter tendant à « l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation » permet d’assurer à la victime une indemnisation effectivement facilitée.

L’implication étant une notion très vaste, plusieurs véhicules peuvent être considérés comme impliqués dans un accident de la circulation.

Y compris des véhicules qui, au premier abord, auraient pu ne pas être mis en cause.

La victime se trouve donc, grâce à la loi de 1985, face à de nombreux débiteurs.

Cette multiplicité de responsables assure une réparation aisée à la victime de son dommage.

Ce n’est donc « que » l’esprit du texte qui est respecté par les magistrats de la deuxième chambre civile.

Aurélien DUMAS-MONTADRE Avocat au Barreau de Roanne

[1Civ. 2e, 4 déc. 1985, Bull. civ. II, n° 186, 16 déc. 1985, Bull. civ. II, n° 196, 19 févr. 1986, Bull. civ. II, n° 19, 14 oct. 1987, Bull. civ. II, n° 192, 20 janv. 1993, n° 91-15.707, Bull. civ. II, n° 19, Civ. 2e, 27 sept. 2001, n° 99-18.978 ; Civ. 2e, 11 juill. 2002, n° 01-01.666, Bull. civ. II, n° 160

[2Cass. civ. 2e, 18 mai 2000, 98-10.190, Bull. civ. II, 2000, N° 79 p. 55.

[3Droit des obligations, Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Philippe Stoffel-Munck, LGDJ Lextenso, 8ème édition, p. 169.

[4Cass. civ. 2ème, 16 octobre 1991, Bull. civ. II, n° 253, JCP G 1992, "le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établi que cet accident est sans relation avec le dommage".