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Accident d’un élève pendant les temps scolaires : qui est responsable ? Par David Amanou, Avocat.
Parution : jeudi 25 avril 2019
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Lorsqu’un accident survient pendant les temps scolaires et qu’un élève est blessé, se pose immédiatement la question du responsable. Et cette interrogation juridique, qui pourrait de prime abord sembler simple, est en réalité plus ardue qu’il n’y paraît.
S’entremêlent en effet plusieurs dispositifs de responsabilités publics ou privés, selon qu’il s’agisse de la faute personnelle d’un ou plusieurs membres de l’équipe scolaire caractérisant un défaut de surveillance (I) ou d’une carence d’organisation plus globale de l’établissement (II). Quant à la faute de l’élève (III), elle ne sera que rarement prise en compte pour exonérer les potentiels responsables, notamment lorsqu’il s’agit d’un enfant en bas-âge.

I. Le défaut de surveillance.

A) Les éléments caractéristiques d’un défaut de surveillance.

L’article D321-12 du Code de l’Education dispose que :
« La surveillance des élèves durant les heures d’activité scolaire doit être continue et leur sécurité doit être constamment assurée en tenant compte de l’état de la distribution des locaux et du matériel scolaires et de la nature des activités proposées ».

La circulaire n°97-178 du 18 septembre 1997 précise dans son préambule que « L’institution scolaire assume la responsabilité des élèves qui lui sont confiés. Elle doit veiller à ce que les élèves ne soient pas exposés à subir des dommages et n’en causent pas à autrui. […] En cas d’accident, la responsabilité de l’institution scolaire risque d’être engagée tant que les élèves sont placés sous sa garde. Il en résulte une obligation de surveillance qui ne se limite pas à l’enceinte scolaire. Elle vaut pour l’ensemble des activités prises en charge par l’école qu’elles soient obligatoires ou facultatives et en quelque lieu qu’elles se déroulent ».

Le § I. 1. de ladite circulaire énonce que «  L’obligation de surveillance doit être exercée de manière effective et vigilante pendant la totalité du temps scolaire, c’est-à-dire pendant toute la durée au cours de laquelle l’élève est confié à l’institution scolaire. La surveillance est continue quelle que soit l’activité effectuée et le lieu où elle s’exerce. Ce service de surveillance s’exerce partout où les élèves ont accès, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des locaux scolaires, dans les cours de récréation, les aires de jeux et autres lieux d’accueil. Leur sécurité est constamment assurée soit par les enseignants, soit par des intervenants extérieurs lorsqu’un groupe d’élèves leur est confié après que les maîtres ont pris toutes les mesures garantissant la sécurité de leurs élèves… ».

Il appert donc que la réglementation met en place une obligation de surveillance a priori assez lourde et complète qui a vocation à s’appliquer continûment, pendant tout le temps scolaire (enseignements, récréations, cantine etc.), à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement, notamment donc en cas de sorties scolaires.

Cela étant, en pratique, il s’avère que les juges sont beaucoup moins sévères qu’il pourrait y paraître, se montrant généralement peu enclins à sanctionner un défaut de surveillance.

En effet, plusieurs critères relatifs à la caractérisation de la faute de l’enseignant sont cumulativement requis.

La faute devra tout d’abord être particulièrement grossière.

Ensuite elle sera évaluée en fonction d’une pluralité de critères non exhaustifs comme le type d’activité, l’âge des enfants, leur état de santé, le nombre de surveillants présents au moment des faits etc.

A titre d’illustrations, la mise en place par un professeur d’éducation physique d’un jeu de combat sans aucun équipement adéquat (Civ. 2e, 3 juill. 2003, n° 02-15.696, Bull. civ. II, n°230), la chute d’une jeune fille de quinze ans, pendant un exercice à la poutre durant un cours d’éducation physique sans tapis de protection (Civ. 2e, 5 novembre 1998, 96-16662) ou la présence d’un rouleau de flotteurs au bord d’une piscine présentant un danger certain pour les élèves en cours de natation sans que l’instituteur ne s’en préoccupe (Civ. 2e, 23 oct. 2003, n°02-14.359, D. 2004. 728, note Petit et Dagorne-Labbe) peuvent engager la responsabilité de l’Etat.

A l’inverse, ne commet pas une faute l’instituteur qui n’a pas exercé une surveillance constante sur chacun de ses élèves, au cours d’une randonnée pédestre ayant conduit à un accident, compte tenu de la nature de la randonnée, de l’âge des enfants et de leur nombre (Civ. 1re, 7 mars 1989, Bull. civ. I, no 116).

Enfin, elle devra être directement imputable à l’action, l’inertie ou l’imprudence d’un ou plusieurs surveillants en particulier et non liée à la structuration du service de surveillance dans sa globalité (nombre de surveillants insuffisant, mauvaises gestion ou affectation etc.).

Dans cette hypothèse, il s’agirait alors d’un défaut d’organisation du service.

B) L’entité responsable.

Aux termes de l’article L 911-4 du Code de l’Education, « Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l’enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l’occasion d’un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l’Etat est substituée à celle desdits membres de l’enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.
Il en est ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d’enseignement ou d’éducation physique, non interdit par les règlements, les élèves et les étudiants confiés ainsi aux membres de l’enseignement public se trouvent sous la surveillance de ces derniers.
L’action récursoire peut être exercée par l’Etat soit contre le membre de l’enseignement public, soit contre les tiers, conformément au droit commun
 ».

Généralement, dans le cadre d’un défaut de surveillance, c’est donc la responsabilité de l’Etat (en la personne du Préfet du département), substituée à celle des instituteurs et surveillants, qui doit être recherchée.

Ce sont alors les tribunaux civils, en l’occurrence les Tribunaux de Grande Instance, qui doivent être saisis.

Dans le cas où l’Etat est finalement condamné, il dispose d’une action dite « récursoire » devant les tribunaux administratifs qui lui permet de se retourner ensuite contre l’enseignant ou le surveillant personnellement fautif.

Il pourra ainsi réclamer la restitution de l’indemnisation qu’il aura avancée pour son compte.

Si ces dispositions sont applicables par principe, quelques exceptions notables subsistent.

La première, lorsque l’accident a lieu pendant le temps du déjeuner.

En effet, par dérogation aux dispositions du Code de l’Education, l’article 5 de la Circulaire n°97-178 du 18 septembre 1997 précise :« Pendant le service de cantine scolaire […] les personnes chargées de la surveillance des élèves peuvent être des agents communaux ; dans ce cas […] les directeurs d’école et les enseignants n’ont donc de responsabilité à assumer en matière de surveillance que s’ils ont accepté cette mission que la commune leur aura proposée ».

Ainsi, dans cette hypothèse, il faudra rechercher si l’établissement a passé contrat ou non avec la Mairie pour qu’elle organise les services de cantine.

Dans l’affirmative, c’est de la commune, et non l’Etat, qui devra être mise en cause.

Dans le cas contraire, ce sont les dispositions de l’article L 911-4 qui s’appliqueront et c’est donc la responsabilité de l’Etat, comme de coutume, qui devra être recherchée.

Par ailleurs, si l’accident survient dans un établissement dit d’enseignement technique, à savoir notamment les collèges et lycée professionnels, l’affaire doit être portée devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale territorialement compétent, et non devant le Tribunal de Grande Instance, en vertu de l’article 412-8-2 alinéa 2 du Code de Sécurité Sociale.

Les temps passés dans l’établissement, y compris les enseignements généraux, sont en effet alors assimilés à des temps professionnels et non à des temps scolaires.

A noter enfin que l’action engagée sur le fondement du défaut de surveillance est enfermée dans un délai de prescription abrégée de 3 ans à compter du jour du dommage, ce délai étant suspendu tant que la victime est mineure.

II. Le défaut d’organisation du service public.

A) Les éléments caractéristiques d’une carence dans l’organisation du service public.

Contrairement au défaut de surveillance qui trouve sa source dans une attitude fautive d’un enseignant, le manque d’organisation du service résulte d’une carence organisationnelle globale de l’établissement.

D’une manière générale, il s’agit d’un déficit de moyens humains ou matériels, voire d’une mauvaise répartition desdits moyens.

Le défaut d’organisation est notamment retenu lorsqu’un seul agent municipal était chargé de la surveillance de cinquante enfants en maternelle à l’heure du déjeuner (CAA Lyon, 25 mai 1989), quand deux agents doivent surveiller 118 élèves pendant la cantine (TA de Melun, 12 juin 2008, req. n°0502600-6) ou lorsque les allées et venues des enfants au sein d’un établissement n’étaient pas surveillées (CAA Versailles, 21 décembre 2006).

Si le défaut de surveillance est retenu avec parcimonie par les magistrats, la carence d’organisation du service public a vocation à prospérer plus fréquemment.

Le rapport d’incident, contresigné notamment par l’établissement, est souvent un élément essentiel dans la caractérisation du défaut d’organisation.

B) L’entité responsable.

La compétence du juge judiciaire est écartée lorsque le préjudice subi est indépendant du fait de l’agent.

Ainsi, en cas de défaut d’organisation du service public, c’est l’administration en la personne du Recteur d’académie qui sera responsable.

C’est alors le Tribunal administratif territorialement compétent qui doit être saisi.

III. La faute de l’élève.

Principe classique du droit, la faute de la victime peut constituer une cause d’atténuation voire d’exonération de responsabilité de l’auteur.

Outre un acte positif, la négligence ou l’imprudence coupables peuvent conduire les juges à opérer a minima un partage de responsabilité entre l’administration et l’administré (CE, 10 mars 1978, n° 04454, CE, 27 juin 1990, n° 22873 ; CAA Bordeaux, 3e ch., 4 mars 2008, n° 06BX01168…).

Ainsi, il est envisageable que, dans l’hypothèse où un élève a délibérément manqué de vigilance, une ventilation des responsabilités soit opérée par les magistrats.

Toutefois, la faute, même grossière, ne pourra qu’être difficilement invoquée par l’administration dans le cas d’enfants en bas-âge, compte tenu de leurs faibles capacités de conscience et de discernement (CA Grenoble, 2ème chambre civile, 12 mai 2009, n° 07/01901).

Un jugement fort instructif a ainsi été rendu par le Tribunal administratif de MELUN (TA de Melun 12 juin 2008 req. n°0502600-6 Monsieur ou Madame C c/commune de La Ferté-sous-Jouarre) : « Si ladite commune soutient en outre que l’enfant a commis une imprudence en escaladant ce grillage, malgré les interdictions répétées du personnel de surveillance de l’école, constitutive d’une faute de nature à l’exonérer de sa responsabilité, une telle faute, eu égard à la qualité de la victime, seulement âgée de cinq ans, n’est de nature à exonérer la commune de la Ferté-sous-Jouarre de sa responsabilité qu’à concurrence d’un dixième des conséquences dommageables de cet accident. »

Maître David AMANOU Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine ldda-avocats.fr
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