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Prescription en matière civile : l’impossibilité d’agir n’empêche pas le délai de courir. Par Julien Audier-Soria, Élève-avocat.
Parution : jeudi 25 avril 2019
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« Les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme ». Cette maxime de Marcel Proust se trouve parfaitement illustrée par un arrêt rendu le 13 mars 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui est venu préciser la portée de la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d’agir.

Une personne engagée par une société d’intérim pour y effectuer plusieurs missions en qualité de manutentionnaire exécutait six contrats successifs conclus les 4, 7, 8, 15, 18 et 21 octobre 2002.

L’intérimaire, soutenant que les contrats n’avaient donnés lieux à aucun écrit signé par lui, saisissait la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir leur requalification en contrat de travail à durée indéterminée et le paiement de diverses indemnités.

Par arrêt confirmatif du 13 janvier 2005 la Cour d’appel de Versailles rejetait l’ensemble de ces demandes.

En réaction, le salarié intérimaire donnait mandat à une SCP de former un pourvoi près le Cour de cassation.

Le pourvoi était déclaré non admis par décision du 16 janvier 2007.

Mécontent de cette décision l’intérimaire reprochait à la SCP de lui avoir fait perdre une chance sérieuse d’obtenir la censure de l’arrêt d’appel à défaut d’avoir invoqué un moyen fondé sur la violation de l’article 1352 du Code civil. En contestation, celui-ci demandait à ce que soit retenue la responsabilité de la SCP et à ce qu’elle soit condamnée à lui payer la somme de 7.211 euros au titre de son préjudice. L’intérimaire soumettait à la Cour une requête en indemnisation.

Pour la déclarer irrecevable celle-ci rappelait qu’en application de l’article 2225 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’action en responsabilité dont disposait le salarié intérimaire contre la SCP, qui avait achevé sa mission antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi précitée, se prescrivait par cinq ans à compter du 19 juin 2008 et se trouvait donc prescrite le 19 juin 2013.

L’intérimaire au soutien de sa cause avait indiqué avoir subi deux périodes successives d’hospitalisation en 2002, du 23 mai au 24 juillet inclus et du 8 au 18 août inclus, celui-ci avançait que cela avait eu pour effet de reporter la date de prescription au 31 août 2013, de telle sorte que sa requête, présentée le 18 août 2013 au conseil de l’ordre, était recevable.

Avec la plus grande placidité et en toute logique la Cour de cassation rappelait que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d’agir ne s’appliquait pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, à la cessation de l’empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription ; elle en déduisait donc de manière syllogistique que, l’hospitalisation du demandeur ayant cessé en août 2012, soit plusieurs mois avant l’expiration du délai de prescription, la requête était irrecevable comme prescrite.

Nous le savons, la prescription est une présomption dont l’effet est, tantôt extinctif, tantôt créatif d’un droit et détermine de facto les possibilités de poursuites qui ne sont plus recevables.

En l’état actuel du droit il existe plusieurs cas de suspensions de la prescription. Ainsi, le délai ne court pas ou est suspendu contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure , contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, entre époux, entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité, contre l’héritier acceptant à concurrence de l’actif net, à l’égard des créances qu’il a contre la succession.

Cet arrêt réaffirme un principe fondamental selon lequel : contra non valentem agere non currit praescriptio (la prescription ne court pas contre celui qui a été empêché d’agir) et en précise les modalités d’application et les contours.

La Cour de cassation fait œuvre de logique en ce qu’elle s’inscrit ici dans une parfaite continuité ; ce principe ayant déjà été affirmé par le passé par la Chambre commerciale dans un arrêt du 11 janvier 1994.

Julien AUDIER-SORIA Élève-avocat