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Aperçu de la réforme des procédures d’instruction des accidents du travail et maladies professionnelles du régime général. Par Christophe Martin, Juriste.
Parution : lundi 29 avril 2019
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Le décret tant attendu venant entériner les 18 mois de travaux réalisés par un groupe de travail constitué de représentants des Partenaires Sociaux, Direction de la Sécurité Sociale et Direction des Risques Professionnelles, a été enfin publié au journal officiel du 25 avril 2019 pour une entrée en vigueur au 1er décembre 2019. [1]. Ce texte, sans générer de réels chamboulements, d’une part, encadre et séquence une phase d’instruction contradictoire sujette à un abondant contentieux et d’autre part, répond aux difficultés structurelles des Caisses et des CRRMP en allongeant les délais d’instruction des dossiers de maladie professionnelle instruits selon la procédure complémentaire. En voici les lignes de force.

Les réserves motivées.

La question des réserves motivées émises par l’employeur au moment de la déclaration d’accident est cruciale pour la suite de la procédure d’instruction, comme nous avons pu l’expliquer dans un précédent article.

En effet, l’expression de telles réserves au moment de la déclaration, oblige la Caisse à ouvrir une instruction.

En l’absence de réserve motivée et lorsque la Caisse s’estime suffisamment informée, une décision de prise en charge peut être prononcée d’emblée, c’est-à-dire dès les jours suivant la réception de la déclaration de maladie professionnelle et du certificat médical initial.

En d’autres termes, si l’employeur ne fait pas de réserve motivée au moment de la déclaration, il prend le risque de voir cet accident pris en charge sans pouvoir bénéficier d’une instruction contradictoire et sans droit de regard.

Il convient de préciser qu’en la matière, les Caisses peuvent d’ailleurs se montrer particulièrement diligentes en prononçant une décision de prise en charge quelques jours seulement après réception de la déclaration, y compris dans des espèces où la matérialité pourrait donner lieu à débats.

Désormais, l’article R. 441-6 modifié du code de la sécurité sociale, aménage au bénéfice de l’employeur un délai de 10 jours francs à compter de la déclaration, au cours duquel ce dernier peut exprimer des réserves motivées.

La Caisse dispose quant à elle d’un délai de 30 jours francs à compter de la réception des deux éléments de la déclaration d’accident de travail, soit pour prendre en charge d’emblée en l’absence de réserve motivée, soit pour engager une instruction.
En toute logique, on est en droit de penser qu’en réalité, elle dispose d’un délai de 20 jours francs à compter de l’expiration du délai de réserve motivée, pour prononcer une décision de prise en charge d’emblée, en cas de silence de l’employeur ou de réserves qualifiées de non-motivées.

Ce délai accordé aux employeurs présente un intérêt non négligeable sachant que les déclarations d’accident de travail souvent faites sous la dictée du salarié, ne permettent pas à l’entreprise de réagir sur le champ de manière utile.

On pourra cependant regretter que le texte n’ait pas pris soin de donner toute précision utile quant à la définition des réserves motivées, celle-ci étant toujours laissée à la libre appréciation du juge.

Cette appréciation, pour ouvrir une petite parenthèse opportune, est d’ailleurs parfois très extensive, comme en témoigne un dernier arrêt de la Cour de Cassation du 4 avril 2019 (Cass. Civ2 - 4 avril 2019 n° 18-11778).

Nous demeurerons donc dans cette incertitude.

Délais d’instruction d’un accident de travail.

Le texte, en modifiant l’article R. 441-8 du même code, prévoit un délai global de 90 jours pour instruire un dossier d’accident de travail.
On pourrait penser qu’il s’agit d’une grande modification par rapport au régime actuel en vigueur qui prévoit un délai initial de 30 jours et un délai complémentaire de 60 jours en cas d’instruction. Pour autant, il n’en est rien.

En effet, comme nous l’avons vu, dans le cadre de ce nouveau régime, ce délai initial de 30 jours existe encore bel et bien, soit pour prendre en charge d’emblée, soit pour engager une instruction qui devra être achevée dans un délai de 90 jours francs suivant réception de la déclaration.

Il n’y a donc pas de réelles nouveautés, si ne n’est l’économie faite du courrier d’information prévu par l’article R.441-14 actuel.

Délai de consultation du dossier accident de travail et observations des parties.

Ce stade marque le terme de l’instruction du dossier et la possibilité tant pour l’employeur que pour le salarié, de consulter le dossier constitué par la Caisse.
Le régime actuel accorde déjà un délai de 10 jours à chacune des parties pour consulter le dossier.

Le Décret opère ici un véritable séquençage de cette phase de consultation/ observation en mettant en place un calendrier particulièrement complexe et ambigu qui ne manquera pas d’amplifier un contentieux déjà particulièrement abondant.

En effet, l’article R.441-8 II/ nouveau, énonce qu’à l’issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur. Ceux-ci disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.

La caisse informe la victime ou ses représentants et l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.

L’ambiguïté réside dans l’imbrication des délais fixés par le Décret, car on sait :
•que la Caisse doit statuer dans les 90 jours de la réception de la déclaration et du certificat médical initial, (point de départ que l’on désignera comme « jour J », pour les besoins de l’explication) ;
• mais qu’elle doit informer les parties de la fin d’instruction et des différents délais de consultation/ observation au plus tard 60 jours francs après le jour J ;
• que le délai de consultation et d’observation commencera à courir au plus tard 70 jours francs après le jour J pour s’achever 10 jours francs plus tard ;
• que les parties pourront néanmoins continuer, après ce premier délai de 10 jours, à consulter ce dossier sans toutefois pouvoir formuler d’observation.

La grande innovation de ce nouveau dispositif est de permettre une consultation du dossier en ligne, moyen beaucoup plus efficient que le mode de consultation actuel dans les locaux de la Caisse.

Il y a donc fort à parier que les parties seront plus enclines à consulter les dossiers et à formuler des observations utiles.

Pour autant, les Caisses devront à l’évidence se montrer particulièrement vigilantes par rapport à la computation des délais.

En outre, on peut s’interroger sur les motivations de cette prolongation de délai de consultation (au-delà des 10 jours), sachant que le texte n’en prévoit pas de terme.
Aussi, les parties pourront encore consulter le dossier pendant encore 10 jours suivant le premier délai de consultation/ observation et ce, alors que la Caisse devra parallèlement, pour respecter le délai d’instruction de 90 jours, notifier sa décision dans ce même délai de 10 jours…

Ce nouveau calendrier, au lieu de rendre lisible une procédure complexe, annonce d’ores et déjà de sérieux télescopages.

Délais d’instruction d’une maladie professionnelle.

Les dispositions de l’article R.461-9 nouveau du code de la sécurité sociale, présentent un schéma procédural comparable à celui des accidents de travail, en prévoyant un délai d’instruction global, ponctué de délais de consultation/ observation précédemment détaillés.

Nous retrouvons d’ailleurs au III de l’article R.469-9 nouveau, les mêmes diligences à la charge de la Caisse que celles prescrites au II alinéa 2 de l’article R.441-8 nouveau pour les accidents de travail, s’agissant de l’information faite aux parties sur le calendrier de consultation.

Sur le fond, le délai d’instruction d’un dossier soumis à l’article 2 de l’article 461-1 du code de la sécurité sociale, dossiers qui représentent 80% du flux traité par les services instructeurs, reste identique au régime actuel.

En revanche, la modification est notable s’agissant des dossiers instruits selon la procédure complémentaire, c’est-à-dire sur la base des alinéas 3 et 4 de ce même article.
Concernant ces dossiers et notamment pour les demandes « hors tableau », l’article R.461-10 nouveau fait courir un délai d’instruction supplémentaire de 120 jours francs à compter de la saisine du CRRMP.

Ce calendrier d’instruction est à l’évidence plus réaliste compte tenu des difficultés structurelles des CRRMP et des Services instructeurs à tenir les délais impartis.
Ce nouveau schéma procédural permettra à ces dernières de faire l’économie des « notifications de refus provisoire », pratique mise en œuvre par les Caisse pour pallier les retards dans l’instruction des dossiers et de se donner un peu plus de temps dans l’attente de l’avis du CRRMP.

Pour autant, alors que l’objectif affiché est de donner une plus grande marge de manœuvre tant pour les Caisses que pour les CRRMP, on peut s’interroger sur la décomposition de ce nouveau délai de 120 jours.

En effet, à compter de la saisine du CRRMP, chacune des parties a de nouveau la possibilité de consulter le dossier pendant 40 jours et de l’enrichir pendant les 30 premiers jours de ce même délai et ce, alors qu’une phase de consultation/ observation leur avait été précédemment offerte.

On imagine donc qu’aucun avis, ni même de réelle instruction ne peut être envisagée avant l’expiration de ce délai de 40 jours.

En définitive, le CRRMP et la Caisse ne disposera en réalité que des 80 jours restants pour, respectivement, donner un avis et rendre une décision.

En conclusion.

Ce bref aperçu de cette réforme permet d’évaluer les effets attendus dans l’instruction des dossiers d’accident de travail et de maladie professionnelle, ainsi que d’augurer ses effets collatéraux sur le plan contentieux.

En définitive, en dehors des dossiers donnant lieu à saisine du CRRMP, il n’est pas certain que les services instructeurs trouvent leur compte dans le fruit de ce nouveau texte car on ne peut parler, et c’est un euphémisme, de simplification et de sécurisation de ces procédures.

Les Caisses, les parties et les juges devront donc essuyer les plâtres de cette réforme qui, au demeurant n’en est pas une en réalité.

Au lieu de simplement faire bouger les curseurs, une procédure plus en profondeur, plus ambitieuse et plus adaptée aux réalités de terrain, aurait été appréciée pour sécuriser une procédure tout en garantissant le respect du principe du contradictoire.

Christophe MARTIN - Juriste conseil et contentieux

[1Décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles du régime général