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Quand un juriste s’engage dans la lutte contre la haine sur Internet.
Parution : mercredi 21 octobre 2020
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Deux mains, une bleue une blanche pour marquer la diversité, se rejoignent pour former un coeur, tel est le logo de l’association Respect Zone. Peut-être ce symbole ne vous est-il pas inconnu ? En effet depuis 2014, il fleurit sur les sites internet qui s’associent à la démarche de l’association de lutter contre les cyberviolences et la haine sur le Web.

Dans le cadre de sa chronique régulière valorisant le rôle d’acteur de la société que le juriste peut avoir, au-delà de son métier spécifique (et de toutes considérations commerciales), le Village de la Justice s’est entretenu avec Philippe Coen, créateur de Respect Zone.
Directeur des affaires Juridiques et Publiques dans le secteur privé, il a à coeur de lutter contre les discriminations et la violence où qu’elles soient. Et pour ce faire, il a utilisé le droit des marques pour créer cette association et ainsi préserver la dignité humaine numérique. Et il y a urgence à agir...

Retrouvez les autres chroniques "Ces juristes qui s’engagent dans la société" en bas d’article.

Village de la Justice : Vous êtes à l’origine de l’ONG Respect Zone, quelles ont été vos motivations pour créer cette association ?

Philippe Coen : "Je n’ai pas cessé, pour ma part, depuis l’ « âge de raison » de m’interroger au sujet des discriminations et depuis mon adolescence à comment lutter contre les contenus haineux.
On peut être juriste d’affaires et sensible aux droits de l’Homme et à l’éthique du Droit.
Le « mix » des deux intérêts est aisément compatible.

"Le droit peut bien plus que la répression des méfaits en ligne (...)"

Comme tous les juristes, j’ai un souci avec l’injustice. Le fléau des violences en ligne est en permanente augmentation. Nous vivons une crise sanitaire numérique. L’impact des souffrances est global et le fléau des cyberviolences touche de fait l’essentiel les individus connectés. Personne n’est épargné. Que l’on soit victime ou témoin impuissant. Je dirai même que les auteurs de violences en lignes sont exposés par effet boomerang à avoir aussi à vivre avec l‘ineffacabilité de leurs forfaits ; cette absence en pratique du droit à l’oubli est aussi troublant.

Respect Zone est né du constat que la répression ne suffit pas à endiguer les cyberviolences, le droit peut bien plus que la répression des méfaits en ligne déjà commis, le droit a aussi une fonction d’invitation, de prévention et d’éducation."

A propos de l’association Respect Zone... En 2014, naît Respect Zone sous l’impulsion de Philippe Coen, avocat de formation, actuellement Directeur des affaires Juridiques et Publiques dans le secteur privé.

Cette ONG française à but non lucratif a pour objectif de promouvoir le respect sur Internet.
L’association propose un label qui encourage des internautes à modérer leurs commentaires et les protège contre le discours de haine qui envahit la toile. Ce label, est accessible tant aux individus, aux entreprises qu’aux institutions.

Par l’apposition du symbole Respect Zone sur un site, blog, profil..., les utilisateurs marquent ainsi leur souhait de garder leurs échanges en ligne paisibles et respectueux de toutes et tous. En utilisant ce label, chaque personne ou entité s’engage à respecter la charte de Zone de Respect.

En 2017 vous avez écrit le "Livre Internet contre Internhate" dans lequel vous faisiez 50 propositions pour détoxer les réseaux sociaux, deux ans après pensez-vous qu’elles ont été entendues de façon générale et plus spécifiquement dans le monde du droit ?

"Entendues en France oui, mises en œuvre, pas encore.
Cela prend du temps de convertir des propositions en résultats concrets. 18 mois plus tard, notre approche a été si bien entendue que le rapport « Avia, Amellal, Taieb » 20 septembre 2018, visant à renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, nous cite dans le corpus de ses propositions et reprend nommément des propositions éducatives, ce rapport a inspiré la proposition de loi Avia que nous venons de commenter à fins d’enrichissement car il manque encore des pans importants des champs de lutte législative.

La Commission européenne soutient Respect Zone pour produire un MOOC pour éduquer les community managers.

Des grandes entreprises ont affirmé leur soutien concret à l’initiative en intégrant les outils Respect Zone dans leur ergonomie numérique. Le Défenseur des Droits a choisi Respect Zone pour figurer sur sa plateforme Egalité contre le racisme et l’UNESCO, pour ne citer qu’eux, utilise notre outil sur toutes les pages de ses sites internet et met en avant Respect Zone comme mode d’emploi des réseaux sociaux.

Le Ministère de l’Education Nationale nous intègre dans sa plateforme #Nonauharcelement, de même que la Paris Games Week chaque année et la plateforme Pedagojeu.
L’ Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) , l’Union des Fabriquants (UNIFAB), le Barreau de Paris, tout récemment le Conseil National des Barreaux, l’Association des Praticiens du Droit des Marques et des Modèles (APRAM) nous ont rejoint.
Et surtout 55 établissements scolaires et 5 municipalités dont Paris et Angers ont rejoint notre programme de recours à nos outils pour lutter au quotidien."

La RSE numérique a un impact sur l’engagement citoyen.

Cette création de juristes, de droit souple, de recours au droit des marques pour préserver la dignité humaine numérique manifeste l’impact que peut avoir la RSE numérique aujourd’hui sur l’engagement citoyen rendu concret.

Votre engagement dans la société au titre de la lutte contre la haine sur Internet a-t-il une incidence sur votre manière de fonctionner sur le plan professionnel ?

"Etre juriste est une éthique globale, que ce soit au service de ses clients ou d’une association, ou au service de la profession ou de la citoyenneté. Je ne crois pas à des éthiques à plusieurs vitesses.
Nos professions de juristes sont empreintes d’une éthique intrinsèque à la passion du droit et de la solution.

"J’ai appris que la mobilisation citoyenne, éthique et l’innovation juridique peuvent ne faire qu’un."

Cette expérience associative est avant tout une expérience humaine et l’idée que tout juriste peut aider à remédier à la société en se mobilisant pour ses semblables. J’ai appris que la mobilisation citoyenne, éthique et l’innovation juridique peuvent ne faire qu’un ; et qu’il y a beaucoup de juristes d’affaires qui rêvent en France et ailleurs à donner de leur savoir-faire pour faire du sens, de l’impact et aider la société, les entreprises et les justiciables à aller moins mal pour permettre aux générations futures de trouver face à elles un monde numérique compatible avec la dignité humaine."

Selon vous, les gens de droit ont-ils une responsabilité à se saisir des sujets de société ?

"La Loi et la justice ne peuvent pas tout... Autant de raisons de penser que les juristes ont un rôle central à jouer dans la prévention et la lutte."

"La Loi et la justice ne peuvent pas tout, en plus la justice n’est saisie qu’une fois les méfaits qualifiés, circonstanciés et constatés ; autant de difficultés et lorsque le mal est fait, d’une certaine manière, c’est un échec pour la société. Autant de raisons de penser que les juristes au sens large ont un rôle central à jouer dans la prévention et la lutte.

Nous leur offrons de pouvoir exprimer leurs talents qu’ils exercent en droit des nouvelles technologies, en droit des données personnelles, du travail, pénal, administratif, de la propriété intellectuelle, etc.
Un grand nombre de compétences sont requises et surtout à construire pour ériger un nouveau secteur du droit à constitutionnaliser : le droit au respect humain numérique et la lutte contre l’exclusion numérique avec une reconnaissance du droit des victimes à ne pas se faire discriminer ni harceler ni menacer."

Comment les professionnels du droit peuvent-ils, à titre personnel, s’engager auprès de Respect Zone ?

"Ce dont nous pouvons nous réjouir aussi est la constitution spontanée du Cercle des Juristes Respect Zone, ouvert à tous les juristes, praticiens, enseignants, etc. pour animer ensemble notamment la cellule d’assistance et d’information juridique gratuite pour les victimes de cyberviolences. Cette cellule comme la Respect Zone Squad qui réagit positivement pour porter secours aux victimes objet de bashing en ligne, ou le E-Loquence Respect Zone Challenge (le premier Challenge a eu lieu en ligne et à Paris le 24 juin 2019) rencontrent un ferme succès et nous recrutons des talents bénévoles pour les animer."

Propos recueillis par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.
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