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Le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : le barème « Macron » en sursis ? Par Xavière Caporal, Avocat et Samir Laabouki, Elève-avocat.
Parution : jeudi 2 mai 2019
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Tout licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse par un Conseil de Prud’hommes soulève aujourd’hui le problème de son indemnisation.

L’instauration, en septembre 2017, d’un barème d’indemnisation pour les salariés ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse fait débat.

Certains Conseils de Prud’hommes ont suivi l’argumentation des salariés et de leurs avocats et ont décidé d’écarter l’application de ce barème.

Une telle fronde envers ces dispositions a fait réagir et l’Etat, via le ministère de la Justice, s’est même immiscé dans ce débat

1) Le principe.

Un barème d’indemnisation du préjudice des salariés a été institué pour les cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse par les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017 [1].

Ce barème est fixé à l’article L. 1235-3 du Code du travail et prévoit des montants minimaux et maximaux d’indemnité calculés en mois de salaire, selon l’ancienneté du salarié.

Aussi, pour tout licenciement prononcé à compter du 22 septembre 2017, dès lors que le juge constate l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement d’un salarié, il doit appliquer le barème d’indemnisation [2]

Seules les entreprises de plus de 11 salariés sont concernées par l’application d’un montant maximum. En effet, pour les petites entreprises de moins de 11 salariés, le barème ne prévoit que des montants minimaux.

2) Les contestations.

L’instauration de ce barème a très rapidement vu naître une vague de contestations des salariés et de leurs avocats, fondée notamment sur la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui affirment le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à recevoir une « indemnité adéquate ou (…) une autre réparation appropriée ».

En effet, l’argumentation principale soulevée contre l’application dudit barème réside dans le fait qu’un tel plafonnement ne permet pas à un salarié d’obtenir réparation de son entier préjudice dans la mesure où il exclut la possibilité pour le juge d’évaluer et reconnaitre un dommage plus élevé que celui prévu par le barème lorsqu’il est subi par le travailleur en raison de son licenciement.

Enfin, l’argumentation se fonde sur une décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS), chargé de veiller au respect de la Charte sociale européenne qui a condamné le recours à un dispositif instauré en Finlande, très similaire au barème institué par l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Le CEDS avait estimé que « Les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient : le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ; la possibilité de réintégration ; des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime » [3].

Dans le cas d’espèce, le CEDS avait estimé que « le plafonnement de l’indemnisation prévu par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi ».

Concernant le barème « Macron », le CEDS a été saisi par les syndicats FO (le 26 mars 2018) et CGT (le 24 septembre 2018), mais compte tenu du délai de traitement des affaires par le CEDS, la Cour de cassation se sera très certainement prononcée avant le Comité.

Le sens de la solution que prendra le CEDS est par ailleurs incertain dans la mesure où l’affaire concernant la Finlande comportait un certain nombre de différences avec le barème français.

3) La fronde de certains Conseils de prud’hommes.

Différents Conseils de prud’hommes ont eu à se prononcer sur la compatibilité du barème avec le droit international.

Le premier a été le Conseil de prud’hommes du Mans, qui a considéré, par jugement du 26 septembre 2018 (n°17/00538), que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail mettant en œuvre un barème d’indemnisation n’étaient pas contraires à la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail.

En revanche, de nombreux Conseils de prud’hommes ont par la suite remis en cause l’application de ce barème, se référant à la Convention 158 de l’OIT et à la Charte sociale européenne [4].

La décision d’un juge professionnel était particulièrement attendue et est intervenue par jugement du Juge départiteur du Conseil de Prud’hommes d’Agen du 5 février 2019.

Ce dernier a écarté l’application du barème de l’article L. 1235-3 aux motifs qu’il « ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, ne prévoyant pas des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié ».

A l’inverse, pour justifier l’application du barème un jugement du Juge départiteur du Conseil de Prud’hommes de Caen en date du 18 décembre 2018 (n°17/00193) s’est fondé sur la décision du Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel a considéré que l’indemnisation prévue par le barème répondait à l’exigence de réparation « adéquate » en cas de licenciement injustifié ».

A ce jour aucune Cour d’appel n’a encore eu l’occasion de se prononcer sur le sujet. La Cour d’appel de Reims est cependant saisie de cette question et l’issue de sa décision est d’ores et déjà très attendue.

Nul doute que, quel que soit le sens de celle-ci, la Cour de cassation sera saisie et aura à se prononcer sur l’application du barème.

4) La réponse du Gouvernement.

Le ministère de la Justice a réagi à la fronde de certains Conseils de prud’hommes et a adressé une circulaire aux Procureurs leur demandant de les informer « des décisions rendues dans [leur] ressort ayant écarté le moyen d’inconventionnalité des dispositions indemnitaires fixées par l’article L. 1235-3 précité ainsi que des décisions ayant, au contraire, retenu cette inconventionnalité ».

De plus, la circulaire précise que chaque décision faisant l’objet d’un appel devra également être communiquée afin que le parquet général intervienne en qualité de partie jointe pour émettre son avis.

La Circulaire rappelle également que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la conformité du barème à la Constitution, et que le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré que ce barème n’était pas en contradiction avec la convention n°158 de l’OIT ni avec la Charte sociale européenne.

Via cette demande de communication, le ministère de la Justice semble vouloir garder le contrôle en cherchant à intervenir en qualité de partie jointe via l’avis du parquet général.

Or, cette intervention du ministère de la Justice pose une véritable problématique, puisque l’on se trouve à la frontière de la séparation des pouvoirs.

Maître Xavière CAPORAL - AVOLEX AVOCATS xcaporal@avolex-avocats.com 26, rue du Boccage - 44000 NANTES Samir LAABOUKI, Stagiaire élève-avocat.

[1Ordonnances n°2017-1387.

[3Aff. Finish Society of Social Rights c/ Finlande, 8 sept. 2016.

[4CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036 ; CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/00040 ; CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° 18/01238 ; CPH Angers, 17 janvier 2019 n°18/00046 ; CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n°18/00989.