Village de la Justice www.village-justice.com

Peut-on être licencié pour avoir insulté son employeur ou son collègue ? Par Marie-Sophie Vincent, Avocat.
Parution : mercredi 1er mai 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/peut-etre-licencie-pour-avoir-insulte-son-employeur-son-collegue-les-limites,31372.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les limites de la liberté d’expression des salariés. Quelques exemples jurisprudentiels récents montrent la difficulté de distinguer parmi les propos du salarié ce qui relève de la liberté d’expression ou de son abus.

Par principe, le salarié bénéficie d’une liberté d’expression et ne peut pas être licencié en raison de critiques qu’il a portées contre la société (article L1121-1du code du travail).

Parce que la liberté d’expression est une liberté fondamentale, protégée par l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’Homme, le salarié licencié en violation de cette liberté peut solliciter la nullité de son licenciement et sa réintégration dans l’emploi.

Toutefois, le salarié ne doit pas abuser de sa liberté d’expression.

Les contours de ce qui relève de la liberté d’expression ou de son abus sont parfois difficiles à cerner.

Pour retenir ou non un abus de la liberté d’expression, les juges vont rechercher :
- si les propos reprochés à un salarié présentent un caractère diffamatoire injurieux ou excessif ;
- tenir compte du contexte dans lequel les propos ont été tenus ;
- et apprécier la publicité qu’en a fait le salarié.

Exemples de propos caractérisant un abus de la liberté d’expression.

Dépasse sa liberté d’expression en utilisant des propos excessifs le salarié traitant ouvertement son supérieur hiérarchique de « tronche de cake », de « bordélique qui perd tous ses papiers », attitude qui a été ressentie de façon négative par d’autres salariés. (Soc 6 mars 2019 pourvoi N° 18-12449).

Ou encore celui qui écrit que le directeur mentait « effrontément », que la « bonne foi » du président n’était pas « parfaite », que le directeur jouait « au caporal », qu’il n’entendait pas « accourir ventre à terre pour répondre à l’injonction hiérarchique bête et méchante ». (Soc 13 février 2019 pourvoi n°17-15928).

De même, abuse de sa liberté d’expression celui qui écrit, à propos d’une directrice des ressources humaines : « c’est comme nommer un cannibale pour diriger l’AVF (Association Végétarienne de France » (Cour d’appel de Bordeaux 24 mai 2017 /Soc 6 mars 2019 n° 17-21936).

Situations permettant l’exercice de la libre expression de critiques.

Relève de sa liberté d’expression, sans aucun abus, le fait pour un salarié de critiquer la nomination du directeur administratif et financier retenu (Soc 19 janvier 2019 N° 17-16655).

Un cadre dirigeant n’abuse pas de sa liberté d’expression lorsqu’il profère dans un cercle restreint des critiques, même vives, concernant une nouvelle organisation (Soc 14 décembre 1999 n°97.41 995).

Appréciation par le juge de la publicité faite aux propos du salarié.

Une salariée avait tenu des propos injurieux à l’égard de son employeur dans un groupe Facebook fermé dénommé « extermination des directrices chieuses ».

La Cour de Cassation a considéré que le licenciement prononcé à son égard était sans cause réelle et sérieuse, car les propos diffusés sur le compte ouvert par la salariée sur le site Facebook n’avaient été accessibles qu’à un groupe restreint et fermé de 14 personnes (Soc 12 septembre 2018 pourvoi n° 16-11690).

En revanche, une cour d’appel a dit justifié par une faute grave le licenciement d’une salariée pour avoir échangé des propos présentant un caractère raciste et visant un supérieur hiérarchique sur son compte Facebook, accessible à quiconque par le biais d’une connexion internet car la salariée n’avait pas restreint l’accès à son compte Facebook (CA Paris 6.8 , 2 avril 2019 N°17/02130).

Appréciation par le juge du contexte dans lequel les propos ont été tenus.

L’appréciation de l’éventuel abus dans l’exercice de la liberté d’expression du salarié doit se faire in concreto, au regard des responsabilités qui lui sont confiées, du contexte des propos incriminés, de la tolérance dont il a jusqu’alors pu être fait preuve, ou du franc-parler en usage dans l’entreprise.

Ainsi, la Cour de Cassation a considéré que l’expression « cancer orchestré par le PDG et son staff », contenue dans un tract, certes outrancière et sans doute aussi dérisoire, ne caractérisait pas une injure publique, le contexte d’une fin de conflit social aigu autorisant à recourir à « une certaine dose d’exagération voire de provocation c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré » dans les propos. (Crim 11 décembre 2018 N° 18-80220)

De même, l’expression « direction autiste », contenue dans un tract, qui doit s’entendre au sens figuré comme un déni de réalité qui pousse à s’isoler et à refuser de communiquer et d’écouter autrui, n’excède pas plus les limites de la liberté d’expression autorisée dans un contexte faisant suite à un conflit social sévère. (Crim 11 décembre 2018 N° 18-80220)

Il apparaît ainsi que les juges s’efforcent, dans chaque cas, de caractériser l’existence, par l’emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs d’un abus dans la liberté d’expression dont jouit tout salarié : pour cela, ils constateront de manière concrète quels propos ont effectivement été tenus, le contexte et en quoi ils présentent un caractère diffamatoire, injurieux ou excessif.

Marie-Sophie Vincent Avocat à la Cour Spécialiste en droit social [->www.vincent-avocat.paris]
Comentaires: