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Mutation : puis-je la refuser ou non ? Nouvelle illustration du critère du secteur géographique. Par Aurélie Arnaud, Avocat.
Parution : samedi 11 mai 2019
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La Cour de Cassation a rappelé, dans un arrêt du 20 février 2019 (n°17-24094 F-D) qu’en l’absence de clause de mobilité, le salarié peut refuser sa mutation dans un autre bassin d’emploi.

Rappel des règles en matière de mutation/mobilité.

En l’absence de mention particulière dans le contrat relative au lieu d’exécution du travail, la jurisprudence a créé la notion de secteur géographique pour apprécier la portée d’un changement du lieu de travail : tout changement à l’intérieur d’un même secteur n’entraîne pas modification du contrat. Dès l’accord du salarié n’est pas nécessaire.

La question de la portée du changement du lieu de travail est résolue de la manière suivante par la jurisprudence :
- la nouvelle affectation du salarié constitue un simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction de l’employeur, dès lors qu’elle se situe dans le même secteur géographique que la précédente,
- il y a en revanche modification du contrat, soumise à l’accord préalable du salarié, lorsque cette nouvelle affectation n’est pas située dans le même secteur géographique.
 [1]

Ce critère doit être apprécié de manière objective, c’est-à-dire de façon identique pour tous les salariés compris dans le même secteur géographique et non d’une façon subjective par rapport à la situation de chaque salarié considéré individuellement.

Peu importent donc les incidences personnelles dès lors que le transfert du lieu de travail s’effectue à l’intérieur d’un même secteur géographique, l’accord préalable du salarié n’est pas requis.

Les juges du fond amenés à se prononcer sur cette notion examinent les facilités de transport dans la zone considérée. Ils ont également pris en compte le temps de trajet supplémentaire, la distance entre les deux lieux de travail mais également les fonctions occupées par le salarié

A titre d’exemples.

- Cas de modification du contrat reconnue : Mutation de Bercy à Champs-sur-Marne, les deux sites étant distants de 18 km. L’intéressé n’est pas titulaire du permis de conduire et le trajet entre les deux lieux de travail nécessite l’utilisation de 3 moyens de transport en commun sur une durée minimale de 45 minutes (CA Paris 13-1-2011 n° 09-03.225, Pôle 6 ch. 5, SA NC Numéricable c/ N.).

- Simple changement des conditions de travail : Transfert du lieu de travail consécutif au déplacement de l’entreprise de Malakoff à Courbevoie (Cass. soc. 20-10-1998 n° 96-40.757 (n° 4198 P), B. c/ Sté Jelt CM)

- Simple changement des conditions de travail : Mutation de Clichy aux abords de Vélizy et de Trappes, lieux situés dans la région parisienne (CA Versailles 27-5-2008 n° 06-01805, 11e ch., A. c/ SA Aspheria).

- Cas de modification du contrat reconnue : Mutation de Marseille à Roquefort-la-Bédoule, villes situées dans deux bassins d’emploi différents. Le temps de trajet du salarié, au moyen de transports en commun, est allongé de près de 5 heures par jour en raison de l’absence d’une desserte suffisante (Cass. soc. 26-1-2011 n° 09-40.286),

- Cas de modification du contrat reconnue : Mutation du salarié de Paris à Roissy dans le Val-d’Oise, la cour d’appel s’étant fondée, pour conclure à la modification du contrat de travail, sur la desserte en moyens de transports de chacun des deux lieux de travail (pour se rendre à Roissy, il est nécessaire d’emprunter le métro ou le RER A, puis le RER B, et enfin une navette d’autobus (Cass. soc. 15-6-2004 n° 01-44.707 (n° 1028 FP-D),

- Cas de modification du contrat reconnue : Nouveau lieu de travail distant de 58 km (Cass. soc. 4-1-2000 n° 97-45.647)

- Simple changement des conditions de travail : Nouveau lieu de travail distant d’une trentaine de kilomètres de l’ancien (Cass. soc. 28-11-2007 n° 06-45.130)

Dans un récent arrêt du 20 février 2019, la Cour de Cassation juge que si le nouveau lieu de travail du salarié, distant de 80 kilomètres du précédent et n’appartenant pas au même bassin d’emploi, ne se situe pas dans le même secteur géographique, son licenciement pour refus de rejoindre sa nouvelle affectation est sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, il semble que la distance (80 kms entre le nouveau et l’ancien lieu de travail) et le bassin d’emploi ont été déterminants dans la décision des juges d’appel pour conclure à un changement de secteur géographique, décision approuvée par la Cour de Cassation.

Il sera enfin rappelé que La mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d’information à moins qu’il soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Cass. soc. 2-4-2014 n° 13-11.922 (n° 730 F-D)).

Aurélie ARNAUD Avocat à la Cour www.2a-avocat.com

[1Cass. soc. 15-12-2010 n° 09-42.221 (n° 2535 F-D), Tebbal c/ Sté Groupe Helios.
Cass. soc. 4-7-2012 n° 11-14.960 (n° 1665 F-D), Sté Paramat c/ C. : RJS 10/12 n° 771.