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Prostitution : la loi pénalisant les clients jugée conforme par le Conseil constitutionnel, une pénalisation artificielle ? Par Sarah Saldmann, Avocat.
Parution : mardi 14 mai 2019
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La loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à « renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » serait un tournant pour la protection des prostituées. Toutefois certaines dispositions de cette loi étaient contestées. Parmi celles-ci, l’article relatif à « L’infraction de recours à l’achat d’actes sexuels » était soumis au Conseil constitutionnel.

Si cette disposition était controversée, cela était parce qu’elle aurait porté atteinte aux droits et libertés des personnes prostituées. Dès lors, les non-partisans de cette loi n’ont pas hésité à déposer une Question Prioritaire de Constitutionnalité (Ci-après « QPC ») relative à cette disposition. Cette QPC visait les trois points suivants :
- « Droit à la vie privée et à l’autonomie personnelle » ;
- « Droit à la liberté d’entreprendre » ;
- « Principe de nécessité et de proportionnalité des peines ».

Pourtant, le 1er février 2019, les Sages du Conseil constitutionnel affirmaient le contraire en déclarant que la loi pénalisant les clients n’était pas anticonstitutionnelle.

Néanmoins, cette loi qui sanctionne les clients pénalise plutôt les prostituées (I) et la mise en pratique de ladite loi semble complexe (II).

I – Une loi pénalisant davantage les prostituées que les clients.

En pénalisant les clients, cela pose la question de la conciliation de la liberté d’entreprendre et de la dignité humaine des prostituées (A). De plus, l’adoption de cette loi précarise davantage les prostituées que leurs clients (B).

A – La conciliation de la liberté d’entreprendre et de la dignité humaine.

Dans l’inconscient collectif, la prostitution est parfois considérée comme « le plus vieux métier du monde », il n’en demeure pas moins que la prostitution recouvre des réalités hétérogènes.

Si certaines prostituées sont contraintes de se prostituer et de reverser une partie de l’argent à un proxénète, d’autres se livrent à la prostitution en toute connaissance de cause et pour leur propre compte. À titre illustratif, il en est ainsi de la prostitution occasionnelle ou de certains cas de prostitution étudiante. Dans ces configurations, la prostitution résulte uniquement de la liberté individuelle des prostituées et de leur droit de disposer de leur corps. La prostitution est dans cette hypothèse un rapport sexuel entre adultes consentants moyennant rémunération. La loi du 13 avril 2016 limite donc la liberté individuelle des clients comme des prostituées au nom de la dignité humaine. Toutefois, ladite loi a aussi pour effet d’accentuer la précarisation des prostituées.

B – La précarisation croissante de la prostitution.

Cette loi isole les prostitués mais ne les protège pas. En effet, rares sont les prostituées qui dénoncent un client, pourtant les dérives et autres maltraitantes ne sont quant à elles pas si rares. Les quelques prostituées qui souhaiteraient dénoncer un client risquent d’être découragées par la crainte des représailles. Cela ne fait que conforter le rapport asymétrique entre prostituées et clients où ces-derniers sont en position de force.

De plus, les revenus des prostituées étant exclusivement composés de l’argent des clients, cela risque d’engendrer une baisse pécuniaire. L’enquête menée auprès de onze associations et plus de 500 prostituées le confirme : les clients se sentent menacés et estiment prendre des risques. Par conséquent, ils n’hésitent pas à demander que les prix des prostituées soient diminués voire littéralement bradés. Les prostituées, accusant une baisse de clientèle, acceptent.

Néanmoins bien que le risque de sanction soit réel, la mise en pratique de ces sanctions est difficile à mettre en œuvre.

II - Une mise en pratique législative difficile.

La répression des « relations tarifées » vide de sens la notion de prostitution (A) d’autant plus que les sanctions pénales sont mises en œuvre de façon relative (B).

A – La prostitution sans client, un non-sens.

De prime abord, les prostituées semblent être juridiquement mieux protégées : le délit de racolage est supprimé et les clients sont sanctionnés. Elles passeraient donc, schématiquement, de coupables à victimes.

Si la prostitution n’est pas reconnue en tant que profession en France, il n’en demeure pas moins que la prostitution sans client ne peut exister. En effet, l’essence même de la prostitution est la contrepartie financière donnée par le client en échange d’un service sexuel. Sans cette contrepartie, il n’y a plus de prostitution possible. Cela n’est donc pas cohérent car interdire d’avoir recours à la prostitution revient à interdire indirectement la prostitution en elle-même.

B – La mise en œuvre relative des sanctions pénales.

De plus en plus de prostituées ont recours à des locations saisonnières ou utilisent des appartements financés par des proxénètes. La discrétion est toujours de mise ce qui rend difficilement identifiables les clients qui ont recours à la prostitution.

Le but du client étant de rester le plus discret possible, seule une dénonciation anonyme pourrait permettre d’identifier les clients. Cela restera donc marginal.

Il convient également de souligner que la peine fixée est contraventionnelle (1.500 euros et 3.750 euros en cas de récidive ). Par conséquent, pour certains clients, cela peut sembler moins dissuasif par rapport à une peine de prison. Pour d’autres, la sanction est au contraire très dissuasive mais cela les incite à davantage de discrétion et non au renoncement de la prostitution.

Sarah SALDMANN Avocat à la Cour