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Arrêt des traitements : Comment la procédure collégiale doit-elle être menée ? Par Audrey Uzel, Avocat.
Parution : jeudi 16 mai 2019
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Nouvel épisode dans l’affaire Vincent Lambert qui dure depuis 2012… Souvenez-vous…
Vincent LAMBERT a été victime d’un accident de la circulation en 2008 qui l’a rendu tétraplégique. Une guerre familiale a éclaté pour savoir s’il fallait mettre un terme aux traitements permettant de le maintenir en vie. Les nombreuses procédures intentées ont permis d’éclairer le mécanisme de la procédure collégiale.

1er épisode judiciaire.

En 2012, des membres du personnel soignant du CHU de Reims, où est hospitalisé Vincent LAMBERT, ont constaté chez lui des manifestations comportementales dont ils ont pensé qu’elles pouvaient être interprétées comme traduisant une opposition aux soins pratiqués. Compte tenu de ces constats et de l’absence d’évolution neurologique favorable, le Dr K., alors chef du pôle Autonomie et santé du CHU et, à ce titre, responsable du service prenant en charge le patient, a engagé la procédure collégiale prévue par l’article R. 4127-37 du code de la santé publique afin d’apprécier si la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de Vincent Lambert était le résultat d’une obstination déraisonnable, au sens de l’article L. 1110-5 du même code.

Le Dr K. prend, en 2014, une décision d’arrêt de l’alimentation artificielle et de diminution de l’hydratation de Vincent Lambert.

Contestant cette décision, les parents de Vincent LAMBERT et certains proches, ont saisi le juge des référés d’une demande de suspension de la décision du Dr K. Si le tribunal administratif avait suspendu, le Conseil d’Etat avait au contraire jugé la décision légale. Les parents avaient alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur le fondement du droit à la vie. Le recours a été rejeté en 2015.

Ce premier épisode judiciaire passé, le neveu de M. LAMBERT avait donc demandé que la décision d’arrêt de l’alimentation prise en 2014 par le Dr K. soit mise en œuvre.

Mais le Dr K. avait quitté le service. Le Docteur D., chef de service au sein de l’unité pour patients en état pauci-relationnel du CHU et médecin en charge de M. LAMBERT, avait alors engagé une nouvelle procédure collégiale, avant de la suspendre estimant que « les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure tant pour Vincent L. que pour l’équipe soignante ne sont pas réunies ».

2ème épisode judiciaire.

Le neveu de M. LAMBERT avait donc saisi la justice pour que la décision de 2014 soit mise en œuvre. Si le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n’y a pas fait droit, la cour administrative d’appel a enjoint, en 2016, au CHU de poursuivre la procédure collégiale.

Celle-ci a donc été relancée par le Dr M., chef de service et responsable du service de soins palliatifs du CHU, ce qui a donné lieu au troisième épisode judiciaire…

3ème épisode judiciaire.

En effet, par décision du 9 avril 2018, le Dr M. avait décidé d’arrêter la nutrition et l’hydratation artificielles de M. V. L. et d’assortir l’arrêt de ce traitement d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie à tous les traitements de support requis.

Une nouvelle fois, les parents de Vincent LAMBERT se sont opposés à cette décision et ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en vue d’obtenir notamment la suspension de la décision, et à défaut, la tenue d’une nouvelle expertise en vue de déterminer la situation médicale de Vincent LAMBERT.

Après expertise, le juge des référés a rejeté la requête des parents de Vincent LAMBERT en janvier 2019.

Dans son ordonnance du 24 avril 2019, le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant en formation de trois juges confirme le rejet de la requête présentée par les parents de Vincent LAMBERT.

La question centrale était de savoir si la procédure collégiale avait été respectée et menée correctement.

Selon le code de santé publique, il appartient au médecin en charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.

Comme le fait qu’un patient soit tributaire d’une alimentation et d’une hydratation artificielle ne suffit pas à caractériser une obstination déraisonnable, il faut mettre en œuvre une procédure collégiale destinée à l’éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt du traitement, et dans le respect des directives anticipées du patient. Cette décision doit être notifiée à la personne de confiance désignée par le patient.

Enfin, le médecin ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les personnes concernées, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire ou obtenir une décision de sa part.

Le Conseil d’Etat revient plus précisément sur le déroulé de la procédure collégiale, et donne une méthodologie pour apprécier si les conditions d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d’alimentation et d’hydratation.

Ainsi, « le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité ». Son examen doit être guidé « par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard ».

-  Les éléments médicaux : ils doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique ;

-  Les éléments non médicaux : « le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et le sens ». S’il n’a pas exprimé sa volonté, le médecin doit prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs, en s’efforçant de dégager une position consensuelle.

Il s’agit donc de mettre en balance des éléments objectifs et subjectifs, sans que les éléments objectifs (car médicaux) ne supplantent foncièrement les éléments subjectifs.

Dans l’appréciation de la procédure poursuivie, le Conseil d’Etat relève que le Dr M. s’était fondé sur des éléments médicaux mais aussi non médicaux, à savoir des témoignages de membres de la famille du patient qui dessinaient « une personnalité libre, indépendante, qui n’aurait pu se résoudre à l’idée d’une perte d’autonomie » ainsi que « des témoignages concordants retraçant sa probable volonté de ne pas être maintenu en vie en situation de grande dépendance physique ».

Concernant les éléments médicaux, ils étaient particulièrement étoffés et le Dr M. avait également pris le soin de disposer d’avis récents de professionnels de santé permettant d’apprécier l’évolution de l’état de santé de M. LAMBERT.

Il avait également entrepris des entretiens bilatéraux avec la famille du patient, « de façon à recueillir leur avis sur un éventuel arrêt de traitement ainsi que les éléments dont ils auraient connaissance permettant de reconstituer la volonté de M. L. quant à une telle décision ».

Une réunion collégiale des professionnels de santé s’était également tenue en janvier 2018, en présence d’un médecin conseil désigné par les parents de Vincent.

Au regard du caractère particulièrement étoffé de la motivation retenue par le Dr M., on pouvait penser que la procédure collégiale avait été parfaitement respectée.

Cependant, pour les parents de Vincent, la procédure suivie n’était pas suffisante. En effet, depuis 2016, Vincent LAMBERT est sous tutelle de son épouse (tutrice) et de l’UDAF (subrogé tuteur). Pour les parents de Vincent, la prise de position de son épouse en faveur de l’arrêt du traitement aurait dû conduire le médecin à interroger le subrogé-tuteur. Faute de consultation du subrogé-tuteur, les parents de Vincent estimaient que la procédure collégiale était viciée.

Pour le Conseil d’Etat, la procédure collégiale vise à « recueillir l’avis des personnes les plus proches du patient et non de le représenter ». Par conséquent, le médecin de Vincent Lambert n’a pas méconnu les articles 454 et 459 du code civil en consultant son épouse et tutrice et non l’association désignée subrogé tuteur et en ne sollicitant pas l’autorisation du juge des tutelles

Ainsi, les juges concluent que « les différentes conditions exigées par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement [...] peuvent être regardées, dans le cas de M. Lambert et au vu de l’instruction contradictoire conduite dans le cadre de la présente instance, comme réunies ».

Est-ce à dire que le Conseil d’Etat met un coup d’arrêt à l’affaire Vincent LAMBERT ? Oui…et non, puisque cet épisode n’est certainement pas le dernier de la guerre familiale autour du sort de Vincent puisque ses parents ont à nouveau saisi la Cour européenne des droits de l’Homme qui a rejeté leur demande de mesures provisoires le 30 avril.

Source : CE, ordonnance, 24 avril 2019, n° 428117

Maître Audrey UZEL Cabinet KOS AVOCATS - Barreau de Paris