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Location Airbnb : Les juges de l’Union européenne sont-ils liés par l’avis de l’avocat général à la CJUE du 30 avril 2019 ? Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : mercredi 15 mai 2019
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La Cour de justice de l’Union européenne est saisie de plusieurs questions préjudicielles.
Dans un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour de Cassation a sursis à statuer jusqu’au 19 décembre 2019 en acceptant de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) portant sur la conformité de l’article L631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation à la directive européenne 2016/123/CE relative aux services dans le marché intérieur.
Dans une autre affaire, un jugement rendu le 6 juin 2018, le Juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris a décidé de soumettre deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg, portant sur la conformité de la loi Hoguet à la directive européenne 2016/123/CE relative aux services dans le marché intérieur pour déterminer s’il était possible de reprocher à Airbnb des infractions aux règles imposées en France aux agents immobiliers.
L’avis de l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne est que la plateforme de location touristique ne peut pas être soumise en France aux règles de la profession d’agent immobilier. Les juges de la Cour de Justice de l’Union Européenne doivent, par la suite, délibérer de l’affaire. Ces derniers sont-ils liés par le contenu et la solution proposée par l’avocat général ? La CJUE doit rendre son arrêt avant le mois de septembre 2019.

La société Airbnb Ireland qui gère les activités de la plateforme en Europe considère que la mise en relation électronique constitue un service de la société de l’information et que les dispositions nationales sont incompatibles avec les règles des "services de l’information " de la directive service dans l’Union européenne.

I- La Cour de justice de l’Union européenne est saisie de plusieurs questions préjudicielles.

1° - Par la Cour de Cassation.

La Cour de Cassation a saisi d’une question préjudicielle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) portant sur la conformité de l’article L631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation à la directive européenne 2016/123/CE relative aux services dans le marché intérieur.

Dans un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour de Cassation a sursis à statuer jusqu’au 19 décembre 2019 en acceptant de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) portant sur la conformité de l’article L631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation à la directive européenne 2016/123/CE relative aux services dans le marché intérieur.
Cette directive pose le principe de la liberté de circulation des prestations de services et la liberté d’établissement.

Il s’agit de savoir si le régime d’autorisation préalable est trop restrictif et conduit à restreindre cette liberté. La question est déterminante car elle pourrait amener le législateur français à repenser entièrement le système des sanctions pour les locations Airbnb y compris s’agissant des résidences principales.

La CJUE devra d’abord dire si de telles locations sur Airbnb sont concernées par la directive services. Dans l’affirmative, elle devra ensuite dire si la lutte contre la pénurie de logements à louer, l’un des objectifs de la loi française, constitue ou non une raison impérieuse justifiant de soumettre à autorisation préalable ses locations Airbnb et si cette mesure est proportionnée.

Si la CJUE estime que la loi française n’est pas conforme à cette directive, et plus largement au principe européen de libre prestation de services, les loueurs échapperont par voie de conséquence à toute amende. Dans ce cas, la loi ne peut s’appliquer si le dispositif français est illégal, tous les tribunaux devront écarter la loi française.

Prenant acte de cette suspension par la Cour de Cassation, le Tribunal de Grande Instance de Paris a suspendu les demandes de condamnation de la Ville de Paris dont il était saisi dans l’attente de la décision de la CJUE.

2°- Par le Juge d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris à la suite d’une plainte de l’Association pour un Hébergement et un tourisme professionnel (AHTOP).

Dans une autre affaire, un jugement rendu le 6 juin 2018, le Juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris a décidé de soumettre deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg, portant sur la conformité de la loi Hoguet à la directive européenne 2016/123/CE relative aux services dans le marché intérieur pour déterminer s’il était possible de reprocher à Airbnb des infractions aux règles imposées en France aux agents immobiliers.

Il s’agit de savoir si les prestations fournies en France par Airbnb Ireland UC via sa plateforme électronique bénéficient de la liberté de prestations de services prévue par l’article 3 de la directive services.

La CJUE devra d’abord dire si de telles prestations sur Airbnb sont concernées par la directive services et doivent être considérées comme "un service de l’information" au sens de la directive 2000/31 du 8 juin 2008.

Dans l’affirmative, elle devra ensuite dire si les exigences de la loi Hoguet relatives à l’exercice de la profession d’agent immobilier sont opposables à Airbnb en tant que prestataires de services de la société de l’information, et si ces règles restrictives de la loi française constituent ou non une raison impérieuse justifiant de soumettre Airbnb, et si cette mesure est proportionnée.

Si la CJUE estime que la loi française n’est pas conforme à cette directive, et plus largement au principe européen de libre prestation de services, Airbnb échappera par voie de conséquence à la loi Hoguet. Dans ce cas, la loi ne peut s’appliquer si le dispositif français est illégal, tous les tribunaux devront écarter la loi française.

II- L’avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne et sa portée.

1° - L’avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne à la suite d’une plainte de l’Association pour un Hébergement et un tourisme professionnel (AHTOP).

L’avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne est que la plateforme de location touristique ne peut pas être soumise en France aux règles de la profession d’agent immobilier. En clair, Airbnb ne peut pas être considéré comme une agence immobilière. Elle ne peut être soumise en France aux règles de la profession d’agent immobilier.

Airbnb salue l’avis de l’avocat général qui rappelle que :

- Airbnb n’exerce pas une activité d’agent immobilier ;

- les règles prévues pour cette profession en France sont incompatibles avec les règles des services de la société de l’information dans l’Union européenne ;

- l’ensemble des règles applicables aux plateformes collaboratives sont au bénéfice des consommateurs ;

Ainsi, la mise en relation électronique entre des locataires et des hôtes potentiels pour de courtes durées "constitue un service de la société de l’information dans l’Union européenne" quand la plateforme "n’exerce pas de contrôle sur les modalités essentielles" des prestations.

2° - Les juges de l’Union européenne ne sont en aucun cas liés par l’avis de l’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne.

L’avocat général la Cour de justice de l’Union européenne a prouvé, tout au long de son histoire, son rôle fondamental, en tant que gardien et serviteur de la Loi et du droit.

Pâtissant largement de l’ambigüité due à son appellation qui, pour le profane mais parfois aussi pour le juriste insuffisamment averti, renvoie à la figure de l’accusateur, l’avocat général n’est plus, au sein du parquet général de la Cour de justice de l’Union européenne, que le défenseur de la Loi.

Remplissant son rôle en toute indépendance, selon sa conscience, et dépourvu de tout intérêt au procès, il bénéficie, tout comme le rapporteur public devant le Conseil d’Etat, d’une parfaite liberté intellectuelle. Il est utile de le redire clairement : les avocats généraux n’exercent pas l’action publique et n’ont pas vocation à porter une quelconque accusation.

Oeuvrant, comme leurs collègues du siège, non seulement pour la qualité de la jurisprudence, en apportant leur double regard mais encore pour une meilleure compréhension de celle-ci par la communauté juridique, par la publication de leurs avis motivés, ils ne sont soumis, quant au sens ou à la motivation de leurs avis, à aucune autorité hiérarchique et travaillent dans une totale indépendance, qu’au demeurant personne ne conteste sérieusement.

L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne veille à ce que « la loi soit correctement appliquée lorsqu’elle est claire et correctement interprétée lorsqu’elle est ambiguë ». Il a une mission de sauvegarde du droit.

L’avocat général doit veiller « à la pureté des principes, à l’esprit des textes et à la cohérence des constructions juridiques. Il est le gardien de la juridicité et de la rationalité des décisions judiciaires, ce qui l’amène à défendre, non seulement le droit lui-même mais encore ce principe actif par lequel il est mis en oeuvre et qui s’appelle la raison ».

Cette approche, voulant qu’il y ait une concordance entre les conclusions et la décision des juges, a été très directement contredite dans une décision majeure : celle relative à l’examen de la compatibilité de l’accord d’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’Homme (CJUE, 18 déc. 2014, avis 2/13). La Cour a rejeté la compatibilité sous conclusions contraires.

Dès lors les conclusions doivent être appréhendées pour ce qu’elles sont, un excellent moyen de comprendre les enjeux du droit de l’Union et de définir plus clairement les problématiques juridiques, mais elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme un élément annonciateur du droit positif à venir et de la solution retenue. L’avocat général n’est pas le juge et il n’a aucun pouvoir hiérarchique ou moyen de pression sur lui.

Références
■ Article 252 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex-article 222 TCE)

■ Décis. du Conseil du 25 juin 2013 portant augmentation du nombre d’avocats généraux à la Cour de Justice de l’Union européenne (2013/336/UE).

■ Conclusions de l’avocat général du 14 janvier 2015 dans l’affaire C-62/14, Peter Gauweiler e.a. c/ Deutscher Bundestag.

■ CJUE, 18 déc. 2014, avis 2/13.

Benoit HENRY, Avocat [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau RECAMIER Membre de GEMME-MEDIATION https://www.facebook.com/ReseauRecamier/