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Première victoire contre les sites de trading en ligne concernant la suppression du seuil plancher EUR / CHF. Par Pascal-André Gerinier et William Mak, Avocats.
Parution : jeudi 16 mai 2019
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Alors que les contentieux relatifs à la suppression du seuil plancher EUR / CHF se multiplient en France, les Juridictions françaises ont rendu une première décision particulièrement importante puisqu’elles se sont estimées compétentes pour trancher les litiges opposant des particuliers victimes et le site de trading en ligne, FXCM. Elle ouvre la voie à l’indemnisation de l’ensemble des victimes sur l’EUR / CHF. Elle valide le principe d’actions groupées de victimes, permettant ainsi une mise en commun des moyens pour agir.

I. Contexte.

Le 15 janvier 2015, de nombreux particuliers, utilisateurs de site de trading en ligne, perdaient chacun des dizaines voire des centaines de milliers d’euros.

La cause ? La suppression du seuil plancher entre l’Euro et le Franc Suisse (CHF) à 1,20, faisant exploser la valeur du Franc suisse par rapport à l’Euro de près de 30% en l’espace de quelques minutes [1].

Les particuliers à qui l’on avait conseillé de miser sur la baisse du Franc suisse par rapport à l’euro, puisque la Banque Nationale Suisse (BNS) soutenait un taux plancher à 1,20 en deçà duquel il n’était soi-disant pas possible de tomber, se sont alors retrouvés avec d’importants soldes négatifs pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros chacun au surplus de la perte sèche de l’ensemble de leur capital investi.

En effet, l’afflux massif d’ordres de vente à la suite de l’effondrement de la paire EUR/CHF eut pour effet que les outils, présentés à tort comme censés sécuriser les pertes maximales en les limitant, n’ont pu fonctionner, générant ainsi des pertes abyssales et démultipliées du fait des effets leviers qui leur avaient été autorisés, sans contrôle.

Pourtant, les nombreux sites de trading en ligne vantaient les mérites d’un tel investissement, qui, à les suivre, était l’un des plus sûrs du marché sur devises et qui ne pouvait qu’engendrer des gains rapides.

Compte-tenu de ces manœuvres, et des manquements des différents sites de trading en ligne, certains utilisateurs de ces sites ont décidé de se retourner contre eux et de les assigner devant les juridictions françaises. [2]

Alors que de nombreux contentieux sont en cours actuellement, l’une de ces affaires vient de faire l’objet d’une première décision favorable de la Cour d’appel de Paris, qui juge que les juridictions françaises sont compétentes pour traiter de tels litiges [3].

II. Les motifs de la Cour d’appel pour juger les juridictions françaises compétentes.

Par une motivation assez brève, mais non dénuée d’intérêt la Cour d’appel de Paris a, le 11 février 2019, estimé que les juridictions françaises, et précisément le Tribunal de grande instance de Paris, étaient compétentes pour statuer sur le fond du litige.

Cette décision est importante et particulièrement intéressante pour des victimes françaises, puisqu’elle évite un dépaysement des contentieux en Grande Bretagne, voire aux Etats-Unis, ce qui aurait découragé les utilisateurs de ces sites de faire valoir leurs droits.

Plusieurs circonstances ont été retenues par la Cour d’appel :
- La présence d’une succursale de FXCM en France ;
- Les utilisateurs des sites de trading en ligne ne sont pas des commerçants ;
- Rien ne démontre l’acceptation par les utilisateurs de la clause attributive ;

A. La prise en compte de l’existence d’une succursale en France.

En cas de contentieux au sein de l’Union européenne, le principe est que la juridiction compétente est celle du lieu de domicile du défendeur. Ainsi si une personne est domiciliée dans un autre État, ce sont les juridictions de cet État qui sont naturellement compétentes.

Concernant les personnes morales, l’application combinée des articles 4 et 5 du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit « Bruxelles I ») permet d’attraire en justice une société étrangère devant la juridiction de l’Etat membre où est située l’une de ses succursales.

Or, la plupart des sites de trading en ligne qui bénéficient d’une autorisation de l’Autorité des marchés financiers pour proposer de tels services ont une filiale en France, souvent à Paris. Et c’est justement ce qu’a estimé la Cour d’appel dans sa décision.

B. L’exclusion de la clause attributive de compétence territoriale.

Même en présence d’une succursale en France, la compétence des juridictions françaises n’est pas absolue, puisque le droit français comme le droit européen prévoient la possibilité de déroger à une telle compétence en cas de clause attributive de compétence. Encore faut-il qu’elle soit valable ! Or, la plupart des sites tentent d’imposer une telle clause aux utilisateurs, souvent dissimulée dans leurs conditions générales d’utilisation.

En l’espèce, concernant FXCM, la Cour d’appel a relevé deux éléments :
- L’absence de démonstration de la qualité de commerçant des utilisateurs des sites de trading en ligne ;
- L’absence de démonstration de l’information et de l’acceptation d’une clause attributive de compétence.

En effet, une clause de compétence n’est valable en droit français que si les parties sont des commerçants. Or, la Cour relève que FXCM ne prouve nullement que ses utilisateurs seraient des commerçants, ce qui exclut naturellement une telle possibilité.

C. L’absence de démonstration de l’information et de l’acceptation d’une clause attributive de compétence.

La Cour relève aussi que FXCM ne démontre nullement en toute hypothèse que ses utilisateurs avaient bien été informés d’une telle clause au moment de leur inscription sur le site et qu’ils l’avaient bien acceptée.

Dès lors, une telle clause, à la supposer valable, ne peut être opposée aux utilisateurs de ce site.

III. Conclusion.

La motivation de la Cour d’appel montre qu’elle a été particulièrement attentive quant à l’effectivité des clauses attributives de compétence en faveur des juridictions étrangères, et que lorsqu’un tel moyen est soulevé, il doit être particulièrement motivé.

A défaut, comme c’est le cas en l’espèce, le juge peut condamner celui qui se prévaut à tort d’une telle clause à de fortes indemnités de procédure (en l’espèce, 36.000,00 € à l’ensemble des victimes).

Une telle position montre la volonté de la Cour d’appel de Paris de protéger les utilisateurs de ces sites en leur donnant la possibilité d’assigner devant leur juge naturel, le juge français.

Cette volonté est d’autant plus grande que la Cour, en refusant de dissocier l’étude de chaque dossier et en autorisant les particuliers à agir de concert contre la même plateforme de trading en ligne, ouvre la voie à des actions groupées de victimes, plus économiques du fait de la répartition des coûts de procédure.

Il est désormais question de statuer sur la responsabilité de ces sites quant aux pertes des particuliers lors des évènements du 15 janvier 2015 relatifs à la suppression du seuil plancher de l’EUR/CHF. Si une telle action aboutit, nul doute qu’elle marquera un coup d’arrêt en France à leurs pratiques, d’ailleurs critiquées par l’Autorité des marchés financiers.

Pascal-André GERINIER, Avocat associé & William MAK, Avocat.

[3Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 10, 11 Février 2019 – n° 18/14937