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Nécessité de nouvelles constitutions dans quelques Etats africains. Par Lamine Conde, Juriste.
Parution : mardi 21 mai 2019
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Le siège de la question se trouve dans l’article 154 de la constitution guinéenne du 07 mai 2010.
En principe il y a six formes d’intangibilité qui, sous réserve de quelques réciprocités sur la notion de l’état de droit, ne peuvent pas, en quelque sorte faire l’objet d’une révision constitutionnelle : la forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluraliste politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République.

La Vérité est que ce n’est pas les Etats africains qui doivent s’adapter à la notion de l’état de droit, c’est plutôt l’état de droit qui doit s’adapter aux réalités actuelles de l’Afrique, car la réalité en Afrique comme le disait un ami d’Afrique « c’est le développement qui ne va pas assez vite », c’est l’économie qui ne redémarre pas. Alors pour que l’économie puisse redémarrer et que le développement soit rapidement au rendez-vous, il faut trouver une certaine stabilité au sein des Etats africains. Il n’y a pas développement s’il y a des situations changeantes à chaque cinq (5).

Ainsi pour retrouver cette stabilité, la ligne ou la volonté politique à exprimer par les acteurs ou responsables politiques, est de penser à un toilettage du contrat social républicain (La Constitution), qui va en quelque sorte prémâcher l’adoption d’une nouvelle constitution à travers la seule et légitime voix du peuple « Le référendum ». La question n’est pas de savoir s’il faut outrepasser l’état de droit ?! Très loin de là, La réponse est Non, c’est une réelle adaptation de la notion de l’état de droit au service du développement en Afrique. Cette adaptation est un véritable défi dans mesure où, elle aura pour but de réconcilier l’état de droit avec son corollaire principal qui est la démocratie.

La question qu’on se pose, est-ce qu’il faut lever le verrou sur toutes les intangibilités ? La réponse est un non franc et ferme. Mais est-ce qu’il est possible de passer du quinquennat au septennat de façon tout à fait légitime ?! Est-ce qu’il est nécessaire de se poser une telle question ?!

En tout cas, il est judicieux de se poser une telle série de question dans la mesure où le septennat est beaucoup plus adapté aux réalités socio-économiques et socio-politiques des Etats africains. Compte tenu du fait que la quasi-totalité de ces Etats sont en voie de développement autrement dit ce sont des pays en chantier. Donc s’il y a une situation changeante à chaque cinq (5) ans, c’est la croissance économique qui sera au ralenti. Compte tenu de la situation économique sur le plan infrastructure, ainsi que des différents travaux publics en cours de réalisation, il sera opportun de penser à un tel mécanisme.

Nous reviendrons plus tard sur les arguments et mécanismes juridiques et judiciaires de ce passage au septennat. Mais il est important de préciser que la modification de la durée du mandat présidentiel n’est pas en quelque sorte tout à fait liée au nombre mandat. Par contre, il est de coutume, lorsqu’on modifie ou amende une constitution, et que dans cette modification on arrive à amender le nombre ou la durée du mandat présidentiel, le mandat actuel devient caduque ou neutre puisqu’il y a une nouvelle constitution qui va rentrer en vigueur. Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce détail technique qui mérite un éclaircissement et une profonde précision.

Ainsi pour mettre les barres sur les « T » et les points sur les « I », autrement dit dans notre jargon pour mettre de l’ordre dans nos idées, nous allons examiner dans un premier temps la portée matérielle et doctrinaire des intangibilités constitutionnelles et dans un second moment la nécessité de nouvelles constitutions dans quelques états africains.

I. Portée matérielle et doctrinaire des intangibilités constitutionnelles.

Norme fondamentale d’un Etat, la constitution a, de tout temps et en tout lieu, fait l’objet de strict encadrement d’abord par son élaboration et ensuite par sa révision. Selon Le Cornu, elle « est l’ensemble des règles suprêmes fondant l’autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses pouvoirs, et souvent aussi lui imposant des limitations […] » C’est, justement, sur quelques-unes de ces limitations, connues sous le vocable d’intangibilités constitutionnelles, que porte notre réflexion.

L’intangibilité désigne la qualité de ce qui est intangible. L’adjectif intangible lui-même, composé de ‘’in’’ (négatif) et de tangible, lequel dérive du latin ‘’tangibilis’’, du verbe ‘’tangere’’ qui veut dire toucher, frapper, s’emploie au sujet d’une chose dont on ne doit jamais s’écarter.Ainsi, l’intangibilité constitutionnelle ou mieux encore les intangibilités constitutionnelles s’entendent de l’ensemble des dispositions tirées de la constitution d’un pays.
Abordant la question des droits intangibles, un auteur écrit qu’il s’agit de : « Droits intangibles, droits interrogeables, clause d’éternité, limites matérielles de la révision, noyau constitutionnel, identité constitutionnelle, lesquels termes évoquent l’idée d’indisponibilité, d’immutabilité d’une partie de la Constitution, considérée comme étant l’essence ou la structure de base de celle-ci ».

De cette définition et cette approche doctrinaire de l’intangibilité constitutionnelle, deux (2) remarques pertinentes doivent être dégagées :
La première, si la notion d’intangibilité constitutionnelle est souvent au pluriel, c’est parce que la ou les constitutions contiennent plusieurs dispositions intangibles et qu’elles ne sont pas universelles ; mais varient d’un Etat à l’autre. Cette variation des intangibilités constitutionnelles dépend des réalités d’un Etat. Ce qui veut dire les réalités socio-politiques en France ne sont pas égales à celles de la Guinée, du Togo, de la côte d’Ivoire, Niger. Ainsi l’Etat de droit en France n’est pas égal à celle de la Guinée. Il est à retenir de cette analyse, que pour qu’il ait stabilité institutionnelle et politique dans nos Etats africains il faut un état de droit (intangibilités constitutionnelles) qui ressemble à nos réalités socio-politiques, il faut des constitutions qui nous ressemblent et qui nous rassemblent car nos constitutions sont caporalisées, rigides , centralisées et qui ne ressemblent en rien.

D’ailleurs l’article 154 de la constitution guinéenne actuelle qui se dit intangible, oublie de se verrouiller complètement, alors qu’il verrou l’article 1, 27 et tant d’autres articles majeurs. Cet article 154 est tout à fait révisable, c’est à l’image de l’article 59 révisé de la constitution togolaise car la brèche est carrément ouverte, il faut juste lire entre les lignes. Un second alinéa aurait suffi pour rendre cet article 154 complètement rigide et intangible, dans lequel on aurait pu expliquer « ni le premier, ni second alinéa de cet article ne peuvent faire l’objet d’une révision » comme c’est le cas dans constitution nigérienne.

Alors, revenant à la deuxième remarque de la problématique principale de notre réflexion, une série d’interrogations foisonne dans notre esprit. Elles peuvent être formulées comme suit : les intangibilités constitutionnelles sont-elles absolues ? Admettons qu’elles ne sont pas absolues, sous quelles conditions peuvent-elles perdre leur intangibilité ? Si, nous nous situons dans le contexte des Etats francophones d’Afrique, quelles raisons doivent justifier la modification de dispositions constitutionnelles dites intangibles ?
C’est autour de ces différentes questions que tournera la suite de notre réflexion.

II. La nécessité de nouvelles constitutions dans quelques états africains.

Pour mieux cerner la manifeste nécessité de nouvelles constitutions dans quelques états francophones d’Afrique, nous allons d’abord dégager une approche historique de la constitution.

A. Approche historique de la constitution.

Accompagnant toute organisation quelle qu’elle soit, le phénomène constitutionnel est universel et ne date pas d’hier. A la base « Constitutionnel » veut dire ‘’ce qui constitue’’ ; est donc constitutionnel tout ce qui a trait à la mise en ordre de ce qui ce qui constitue.

Le Constitutionnalisme, identifié comme le mouvement historique ayant permis la création de Constitutions comme barrières au pouvoir des gouvernements, a bien pris ses assises. Tous les Etats aujourd’hui (à quelques exceptions près) sont dotés d’une Constitution comme ‘’norme suprême’’, sur laquelle repose toute l’organisation et le fonctionnement de l’appareil étatique.

Appréhender dans son aspect matériel, la constitution s’entend toutes les règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir, sans qu’elles figurent nécessairement dans un texte écrit et sans que l’on se préoccupe exactement de l’auteur du texte ou du pouvoir qui l’a mise en place. Y entrent : le droit électoral, le droit parlementaire, et le statut des partis politiques.

Parce qu’elle est considérée comme la ‘’loi fondamentale’’, tout l’ordonnancement juridique étatique en dépend. Selon ‘’l’idéal étatique’’ que veux se construire l’Etat, les règles qui y sont inscrites dans la constitution peuvent être rigides ou souples de révision.
En règle générale, une Constitution est dite souple lorsqu’aucune règle ni aucun organe spécifique ne sont requis pour y apporter une modification. Autrement dit, ladite Constitution est souple parce qu’il suffira de procéder exactement comme pour créer ou modifier une loi ordinaire. En revanche, elle sera qualifiée de rigide lorsque sont exigés un organe spécifique et/ou une procédure plus contraignante que celle par laquelle on adopte, révise ou modifie une loi.

B. La nécessité de nouvelles constitutions proprement dite.

C’est au niveau de cet aspect particulier (rigide et souple) de la constitution que se situe toute la problématique africaine des nouvelles constitutions. On rencontre des constitutions dite plus ou moins rigide ou souple. Mais le constat général est que la plus part des constitutions africaines sont quasi rigides en quelque sorte c’est-à-dire centralisées, caporalisées et qui ne ressemblent en rien. D’où la nécessité de nouvelles constitutions qui tiennent compte des réalités d’évolution, d’adaptation et d’extinction de quelques notions qualifiées d’intangibilités constitutionnelles.
Les constitutions doivent être mallées à volonté par les Etats, au nom des impératifs de quête d’un Etat de droit, de stabilité et de développement.

Une citation célèbre du Professeur Etienne Chouard disait que « Ce n’est pas compliqué d’écrire une nouvelle constitution. Les politiciens disent que c’est compliqué car ils veulent l’écrire eux-mêmes. Ils veulent nous tenir à l’écart. » Cette célèbre assertion résume bien la problématique africaine actuelle des nouvelles constitutions.

Certaines interrogations légitimes semblent se poser cependant, quel modèle d’Etat de droit veulent les Etats africains à travers leurs constitutions ? Quel modèle de développement ? D’où vient le mal lié aux révisions constitutionnelles ? Faut-il repenser les intangibilités constitutionnelles ? Autant d’enjeux liés à la problématique des nouvelles constitutions et qui remettent la structure étatique en cause.

En réalité, ces nouvelles constitutions résolvent autant de problèmes qu’elles en créent de sorte qu’on peut se poser la question sur leur opportunité.

Note de l’auteur :
Cet article a été rédigé par le Collectif des Conseillers Juridiques d’Afrique (CCJA) est un collectif de jeunes juristes africains diplômés qui a pour but de rendre plus accessible la connaissance ou le savoir du droit, en faisant du conseil juridique à travers des conférences et des formations de par le monde, dans le cadre de la prévention des conflits liés à la vie quotidienne, à la vie civile et citoyenne ainsi qu’à la vie politique.

Ainsi pour répondre à l’ensemble des interrogations et réserves posées dans ce document, ce Collectif va organiser une conférence sur le thème de Nouvelle Constitution enjeux et perspectives dans la deuxième quinzaine du mois de juin.

Cette conférence aura pour objectif, le rapprochement ou l’adaptation aux réalités socio-culturelles, socio-économiques, socio-politiques des notions telles que l’Etat de Droit, le développement économique et la stabilité politique. En quelque sorte c’est la notion de l’état de droit au service du développement économique et de la stabilité politique.

Juriste, Doctorant, Président du Collectif des Conseillers Juridiques d\'Afrique (CCJA), Jeune Écrivain Juriste d’Entreprise
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