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Le sort de Vincent Lambert dépend-il réellement du droit international ? Par Matthieu Ragot, Avocat.
Parution : jeudi 23 mai 2019
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Bien que le juge des référés de la Cour d’appel de Paris fonde formellement sa décision de reprise de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert sur les demandes formulées par le Comité des droits des personnes handicapées institué par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, il ne s’est pas senti lié par celles-ci. Il se garde d’ailleurs bien de se prononcer sur la portée contraignante ou non de ces demandes. L’enjeu juridique de cet arrêt du 20 mai 2019 réside ailleurs : dans la répartition des compétences entre juge administratif et juge judiciaire.

La lecture de l’arrêt a de quoi étonner au regard des compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires. Les praticiens du droit pouvaient considérer, à juste titre, que le tracé de la frontière entre ces deux ordres juridictionnels était bien délimité depuis une décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013. Le juge judiciaire, jusqu’à présent absent des débats dans l’affaire Vincent Lambert, a semble-t-il voulu imprimer sa marque, au détriment de la lisibilité de la répartition des compétences juridictionnelles.

Historiquement, le recours au juge judiciaire des référés constituait l’unique moyen de lutter contre les atteintes que l’Administration est susceptible de porter à une liberté. Le juge judiciaire pouvait en effet ordonner toutes mesures de nature à faire cesser une telle atteinte, en se référant à la notion de « voie de fait ». La création par la loi du 30 juin 2000 d’un « référé liberté » devant le juge administratif, a offert au justiciable un nouveau recours contre les atteintes que l’Administration est susceptible de porter aux libertés fondamentales. Cette procédure a absorbé l’essentiel du contentieux urgent de protection des libertés fondamentales. Par un jeu de vases communiquants, le référé « voie de fait » devant le juge judiciaire n’a alors conservé qu’un intérêt très résiduel.

Tirant les conséquences de ce nouveau paradigme, le Tribunal des conflits – à qui il revient de tracer la frontière entre les compétences de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire – a redéfini, le 17 juin 2013, la notion de « voie de fait », désormais cantonnée à la protection du droit de propriété et de la liberté individuelle au sens strict. Ainsi, toute liberté qualifiée de « fondamentale » par le juge administratif des référés est corrélativement soustraite à la notion de « liberté individuelle » et, par suite, à la compétence du juge judiciaire.

Le juge administratif des référés a expressément qualifié le droit à la vie de liberté fondamentale, laquelle relève donc de sa compétence (CE, Juge des référés, 13 août 2013, n°370902). Par conséquent, le juge judiciaire des référés ne pouvait se déclarer compétent pour connaître de la requête de la famille de Vincent Lambert. C’est en ce sens qu’a jugé le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris le 17 mai 2019.

Afin d’éluder cette difficulté, le juge des référés de la Cour d’appel de Paris a emprunté un chemin pour le moins tortueux. La motivation repose sur la notion de « voie de fait » et, comme pour désamorcer les éventuelles objections, cite expressément la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013.

Puisque le juge des référés de la Cour d’appel s’estime compétent sur le terrain de la voie de fait, ce seul constat aurait dû lui suffire pour ordonner toute mesure de nature à faire cesser l’atteinte au droit à la vie – concrètement, à ordonner la reprise de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert.

Or, la motivation de l’arrêt s’avère plus alambiquée – et moins convaincante : au lieu de rattacher directement la voie de fait au droit à la vie, le juge des référés effectue un détour en invoquant les mesures provisoires prescrites par le Comité des droits des personnes handicapées …sans toutefois remettre en cause la portée non contraignante des demandes formulées par celui-ci !

Rappelons que, quelques jours auparavant, le 15 mai 2019, le Tribunal administratif de Paris avait rejeté la requête de la famille de Vincent Lambert en raison du caractère non-contraignant des demandes formulées par le Comité. C’est précisément pour cette raison que la famille s’est tournée vers le juge judiciaire, en ultime recours.

Le manque de cohérence de la motivation de l’arrêt du 20 mai 2019 – à l’inverse de la décision particulièrement motivée rendue par le Conseil d’Etat le 24 avril dernier dans cette même affaire – trahit donc un évident malaise : le juge judiciaire a souhaité se saisir d’une problématique hautement sensible, sans en avoir la compétence.

Pour quel résultat ? Outre le risque de cassation, les mesures provisoires demandées par le Comité seront à terme levées. A suivre la motivation de l’arrêt du 20 mai 2019, l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert pourraient alors être suspendues, provoquant ainsi son décès. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris n’aura alors été que l’expression d’un acharnement juridictionnel.

Matthieu Ragot Avocat à la Cour d'appel de Paris De Guillenchmidt & Associés (DGA)