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Le fichage des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement a été institué. Par Serge Perrotet, Juriste
Parution : mardi 8 janvier 2008
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Par un décret du 26 décembre 2007, un « traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement » a été mis en place. Cette base de donnée se nommera « ELOI »

La création d’un tel traitement de données avait déjà tenté d’être autorisé par un arrêté du 30 juillet 2006. Plusieurs associations de défense du droit des étrangers, dont la Ligue des droits de l’homme et le GISTI, avaient alors exercé, devant le Conseil d’Etat, un recours en annulation contre ce texte. Celui-ci avait annulé l’arrêté sur la base d’un excès de pouvoir. En effet, selon lui, seul un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, pouvait instituer une telle mesure. En somme, cette annulation ne reposait que sur des motifs de forme et non de fond.

Le présent décret, alors à l’état de projet, a donc été soumis à l’avis de la CNIL. Celle-ci, dans sa délibération en date du 24 mai 2007, s’est assurée qu’un certain nombre de garanties allaient être respectées. En particulier, la finalité du traitement doit être, à l’exclusion de tout autre, une « meilleure gestion des procédures d’éloignement ». Autrement dit, ce fichage visera à rendre plus efficace les décisions d’éloignement du territoire. Il s’agira donc de suivre celles-ci quant à leur effectivité. De plus, par un usage statistique de cette base de gestion administrative des étrangers à l’encontre desquels de telles décisions ont été prononcées, les autorités pourront notamment connaître à quelle étape de la procédure les mesures d’éloignement n’ont pas reçu exécution.

Ce décret prévoit donc qu’un certain nombre de données concernant les étrangers visés par une mesure d’éloignement soit recueilli. Dans un communiqué commun en date du 3 janvier 2008, plusieurs associations de défense des étrangers considèrent que « la nouvelle version du fichier ELOI comprend quelques avancées ».

Ainsi, les visiteurs en centres de rétention ne sont plus fichés. De plus, l’identité des hébergeants des étrangers assignés à résidence est conservée pendant trois mois au lieu des trois ans auparavant prévus.

Cependant, ces associations font valoir dans ce même communiqué que « le fichier ELOI demeure tout aussi inacceptable » car il est en substance identique à l’arrêté initialement contesté.

Ces associations estiment en effet que les informations concernant les enfants des étrangers visés par le décret seraient excessives et non pertinentes au regard de la finalité du traitement, contrairement à ce qu’impose l’article 6 de la loi informatique et libertés. Comme ont pu le rappeler ces associations lors de leur recours devant le Conseil d’Etat, en vertu de l’article L. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, seuls les majeurs étrangers ont l’obligation d’être munis d’une carte de séjour pour pouvoir séjourner sur le territoire. En somme, un mineur étranger ne peut être considéré comme étant en situation irrégulière, quand bien même ses parents le seraient. Dès lors, l’introduction de données relatives aux enfants dans le fichier ELOI outrepasserait la notion même « d’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement ».

Lors de la création de l’arrêté annulé, le gouvernement avait défendu cette disposition en soutenant qu’elle permettait d’assurer un meilleur suivi des dossiers de famille faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. En particulier, cette mesure permettrait d’assurer une meilleure organisation des centres de rétention pouvant accueillir des enfants. Le placement de familles en centre de rétention administrative n’est en effet possible que dans les seuls lieux spécialement équipés à cette fin et limitativement énumérés par arrêté interministériel. De la même manière, l’introduction d’informations relatives aux enfants permettrait de mieux gérer le nombre de places disponibles dans les avions.

Dans leur recours commun devant le Conseil d’Etat, les associations de défense du droit des étrangers avaient néanmoins considéré que l’introduction de l’état civil complet des enfants dans le fichier ELOI était, en tout état de cause, disproportionné par rapport à la simple « fonction logistique » défendue par le gouvernement.

Ces informations, dont la durée de conservation est de 3 ans, permettraient de les identifier auprès de l’administration et de la police. Ainsi, leurs droits d’obtenir ultérieurement un titre de séjour, dans les cas définis par la législation, pourraient être compromis. De même, les démarches leurs permettant d’obtenir, de droit, la nationalité française à l’age de 13 ans pourraient être entravées.

De plus, les associations soutenaient également à l’appui de leur recours que la durée de trois ans prévue par l’arrêté attaqué excéderait la durée nécessaire pour remplir les objectifs du traitement et reposait, de ce fait, sur aucun fondement juridique. L’article 6-5° de la loi du 6 janvier 1978 rappelle en effet que les données à caractère personnel « sont conservées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». Selon le nouvel article R.611-27 crée par le décret, le délai de conservation court à compter de la date de la mise en œuvre effective de la mesure d’éloignement.

En suivant cette logique, la conservation des données pour une telle période, concernant, par exemple, les enfants, peut, en effet, apparaître contestable. Les enfants d’un étranger visé par une mesure d’éloignement peuvent, eux, ne pas faire l’objet d’une telle mesure. Dans cette hypothèse, et eu égard à la finalité de meilleure gestion des procédures, la conservation de données concernant ces enfants, pour une durée de trois ans à compter de l’effectivité de la mesure d’éloignement d’un de leurs parents, peut sembler difficile à justifier.

Il semble cependant que ces arguments, en cas d’un éventuel recours devant le Conseil d’Etat, restent inopérants. Celui-ci a, en effet, donné son avis avant que le décret ne soit promulgué. Pour le Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, ce texte est « inattaquable sur le plan juridique ».

Serge Perrotet

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