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Peines correctionnelles supérieures à 10 ans en récidive : tour d’horizon. Par Aurélien Dumas-Montadre, Elève-avocat.
Parution : mardi 28 mai 2019
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Le titre peut poser question… mais recouvre une réalité. S’il est souvent imaginé que les peines correctionnelles ne peuvent dépasser 10 années – seuil après lequel on entrerait automatiquement dans le domaine criminel pour lequel la Cour d’assises est seule compétente – c’est que l’oubli de la récidive est presque toujours commis.

Le mécanisme de la récidive en droit pénal offre la possibilité au juge de prononcer une peine doublée, et, dans un certain nombre de cas, dont le quantum dépasse la décennie.

Au sein de la sous-section 2 du code pénal (« Des peines correctionnelles ») figure l’article 131-4. Il fixe les peines d’emprisonnement que cette juridiction peut prononcer. Ainsi, au terme de son 1°, « l’échelle des peines d’emprisonnement est la suivante : dix ans au plus […] ».

De premier abord, le débat est rapidement clos par la précision du texte.

Il faut reconnaître par ailleurs que les faits imposant une peine supérieure à 10 ans d’emprisonnement ne sont pas légion.

Pourtant, l’article 132-9 du code pénal prévoit encore :

« Lorsqu’une personne physique, déjà condamnée définitivement pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement par la loi, commet, dans le délai de dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, un délit puni de la même peine, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé.

Lorsqu’une personne physique, déjà condamnée définitivement pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement par la loi, commet, dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an et inférieure à dix ans, le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé. »

Le premier alinéa de l’article 132-9 pose plusieurs conditions pour que la peine encourue soit doublée.

Ces critères cumulatifs concernent à la fois la première condamnation et les faits nouveaux :
- le prévenu est une personne physique déjà condamnée définitivement ;
- il l’a été pour un crime ou délit dont la peine encourue s’élevait à 10 ans d’emprisonnement ;
- les nouveaux faits sont commis dans les 10 années qui suivent l’expiration ou la prescription de la première peine ;
- les nouveaux faits commis peuvent conduire à une peine d’emprisonnement de 10 années.

Si tous les critères sont réunis, le prévenu encourt une peine multipliée par deux, et donc 20 années d’emprisonnement.

Le second alinéa du même article envisage une autre possibilité, relative cette fois à de nouveaux faits pour lesquels la peine encourue est supérieure à 1 an mais inférieure à 10 ans.

Les conditions cumulatives sont les mêmes que pour le premier alinéa, à cela près que les faits nouveaux sont commis dans les 5 années qui suivent l’expiration ou la prescription de la première peine.

Les conséquences sont identiques : les deux alinéas de l’article 132-9 prévoient un doublement de la peine encourue.

En prenant connaissance des dispositions des articles 132-9, second alinéa et 131-4 combinées, la peine maximale encourue est de 14 années.

De nombreux arrêts de la Chambre criminelle tendent à confirmer l’interprétation que l’on peut faire de l’article 132-9 :
- 9 mai 2018, pourvoi n° 17-820.810 ;
- 22 février 2017, pourvoi n° 16-80.878 ;
- 13 janvier 2016, pourvoi n° 14-87.997 ;
- 9 janvier 2013, pourvoi n° 11-84.201 ;
- 4 avril 2012, pourvoi n° 11-81-852 ;
- 1 février 2012, pourvoi n° 11-84.201 ;
- 12 mai 2004, pourvoi n° 03-83.158.

S’il pouvait être pensé qu’une motivation particulière et développée était attendue lorsque les peines dépassent 10 ans, et ce malgré l’alinéa 2 de l’article 132-19, le juge de cassation ne semble pas l’exiger.

Il a déjà été jugé que, pour une peine de 12 ans d’emprisonnement délictuel, la simple reproduction des termes de la loi était suffisante pour la motiver [1].

« alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent prononcer une peine d’emprisonnement ferme qu’après avoir spécialement motivé le choix d’une telle peine en fonction, d’une part, des circonstances de l’infraction et, d’autre part, de la personnalité de l’auteur ; qu’à ce titre, les juges répressifs doivent se livrer à un véritable examen des faits de la cause et de la personnalité de l’auteur, l’accomplissement de cet examen devant ressortir de la seule lecture de la motivation du prononcé de la peine ferme ; qu’ainsi, en se bornant à motiver le prononcé d’une peine de douze ans d’emprisonnement assortie d’une période de sûreté des deux-tiers à l’égard de la prévenue par une motivation abstraite et générale, reproduisant les termes de la loi, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;

[…] ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations répondant aux exigences de l’article 132-19 du Code pénal, la cour d’appel a justifié sa décision. »

Des questions prioritaires de constitutionnalité sont régulièrement soulevées mais n’atteignent jamais le Conseil constitutionnel : toutes font l’objet d’un non-lieu à renvoi.

Elles portent sur la constitutionnalité des peines correctionnelles supérieures à 10 ans.

Arrêts n° 838 du 1 février 2012 - 11-84.201 ; n°3477 du 10 janvier 2018 - 17-82.416 ; n° 3111 du 25 mai 2011 ; n° 7593 du 12 décembre 2012 - 12-86.585 ; n°3477 du 10 janvier 2018 - 17-82.416 ;

La motivation du non-renvoi est soit extrêmement laconique, soit totalement absente.

On relèvera que, dans deux arrêts de non-renvoi, la Cour de cassation a néanmoins précisé :

« Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que les dispositions critiquées sont prévues par un texte législatif spécial qui aggrave les peines encourues en cas de récidive ; que ce texte, qui déroge au texte législatif général relatif à l’échelle des peines, laisse à l’appréciation du juge, dans le respect des droits de la défense, la fixation de la peine prononcée. »

Une QPC très récente - pour avoir été transmise à la Cour de cassation le 1er mars 2019 - n’a pas mieux prospéré.

Le juge de cassation, par arrêt du 22 mai 2019 (18-86.501), n’a pas renvoyé la question au Conseil constitutionnel.

Cependant, la motivation du non-renvoi est intéressante :

« Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux dès lors que, d’une part, les droits de la défense ne sont pas moins étendus devant la juridiction correctionnelle que devant la cour d’assises, le prévenu et son avocat ayant la possibilité de faire valoir leurs observations sur la nature et le quantum de la sanction, notamment à la suite des réquisitions du ministère public, d’autre part, la juridiction doit motiver la peine qu’elle prononce, ce qui constitue une garantie contre l’arbitraire ; qu’ainsi, aucun principe constitutionnel n’est méconnu ; »

La Cour de cassation fait preuve d’un effort de pédagogie : elle précise en quoi, malgré la décision de non-renvoi, les dispositions de l’article 132-9 ne sont pas contraires aux principes constitutionnels.

En faisant de la sorte, les juges souhaitent très probablement décourager les prévenus et autres praticiens d’initier ce genre de procédures sur ce thème.

Aurélien DUMAS-MONTADRE Avocat au Barreau de Roanne

[13 décembre 2003, pourvoi : n° 02-83.953.