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TEG et nullité de la clause d’intérêt : la Cour de cassation désavoue la Cour d’appel de Paris. Par Jean-Simon Manoukian, Avocat.
Parution : mercredi 29 mai 2019
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Dans son récent arrêt du 22 mai 2019 sur pourvoi de l’emprunteur, la Cour de cassation réaffirme haut et fort que l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts.
Un grand nombre de juridictions du fond suivent jusqu’à présent la récente jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui déclare irrecevable cette action en nullité, c’est précisément cette jurisprudence qui est cassée.
Dans ce contexte, l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 22 mai 2019 (n°18-16281) mérite d’être souligné.

L’emprunteur recherche la nullité de la stipulation d’intérêt en raison d’une erreur de TEG doublée d’un calcul lombard d’intérêt. Le TGI de Créteil [1] le déboute au motif que l’erreur de TEG est inférieure au dixième de point : l’action a donc été reçue en première instance.

L’emprunteur fait appel, estimant son action fondée en ce que tous les griefs contre l’exactitude du TEG n’ont pas été pris en compte et que les intérêts contractuels ont été calculés sur une année de 360 jours.

En cause d’appel la banque plaide la confirmation du premier juge et l’irrecevabilité de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt et de la stipulation de TEG, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui ne tient pour recevable que l’action en déchéance des intérêts prévue par le code de la consommation.

La banque plaide encore subsidiairement que le principe de proportionnalité commande une déchéance très limitée des intérêts outre 4€ de dommages et intérêts. Nous supposons que cette dernière somme correspond au surcoût lombard du calcul des intérêts intercalaires.

La banque organise ainsi sa défense quant au calcul lombard sur le terrain de la responsabilité pour faute, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui le considère comme une faute dans l’exécution de la clause d’intérêt.

I - L’irrecevabilité interdit l’examen au fond.

Sans surprise la Cour d’appel de Paris juge l’action irrecevable [2], conformément à sa jurisprudence des dix-huit derniers mois, avec cette motivation récurrente :
- Les dispositions spéciales du code de la consommation sont d’ordre public et l’emportent nécessairement sur les dispositions plus générales du Code civil ;
- La possibilité d’une nullité priverait le juge de prononcer une sanction proportionnée à la gravité de l’erreur en contradiction avec les textes européens qui prescrivent une sanction effective, proportionnée et dissuasive ;
- La possibilité d’une nullité ne répond pas à l’objectif législatif de donner au TEG une fonction comparative ;
- L’emprunteur ne peut donc pas disposer d’une option entre nullité et déchéance, seule cette dernière est recevable sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il s’agisse du TEG de l’offre ou du contrat.

La Cour de cassation y lit une critique au fond de l’action en nullité de la clause d’intérêt fondée sur un TEG erroné, et juge une violation des règles de procédure au motif que l’irrecevabilité interdit tout examen au fond.

Effectivement le juge ne peut examiner le fond que s’il a préalablement reçu l’action et pour appliquer pareille motivation la Cour d’appel eut dû recevoir l’action et la juger infondée. C’était la première branche du pourvoi.

La seconde branche du pourvoi retiendra davantage notre attention en ce qu’elle revendique le bénéfice d’une jurisprudence constante depuis les arrêts fondateurs du 24 juin1981 [3] dont les termes sont éclairants :

"...Mais attendu que, si l’omission, dans un contrat de prêt d’argent, de l’indication du taux effectif global de l’intérêt conventionnel n’entraîne pas la nullité du contrat, il résulte de la combinaison des articles 1907, 2ème alinéa, du Code civil et de l’article 4 de la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966, qu’en matière de prêt d’argent l’exigence d’un écrit mentionnant le taux effectif global est une conditions de validité de la stipulation d’intérêt et que, dès lors, il ne peut être fait application du taux stipulé dans le contrat, sans que les juges aient à rechercher si l’ommission d’une telle mention est de nature à induire l’emprunteur en erreur sur les conditions du prêt ;
...Attendu qu’en matière de prêt d’argent consenti à titre onéreux, et à défaut de validité de la stipulation d’intérêt, il convient de faire application du taux d’intérêt légal à compter de la date du prêt
 ;"

La seconde branche fait ainsi grief à l’arrêt d’appel d’avoir jugé qu’il ne peut exister d’option entre l’action en nullité et l’action en déchéance, cette dernière étant la seule invocable, alors que la sanction est la nullité.

Elle est accueillie et l’arrêt cassé :

"Qu’en statuant ainsi, alors que l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;"

Le TEG n’est pas un instrument législatif de comparaison des crédits mais la mesure légale de l’usure, il constitue une condition de validité de la clause contractuelle d’intérêt depuis une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis bientôt 40 ans dont la netteté du présent arrêt en suggère la pérennité.

II - la déchéance d’un droit présuppose nécessairement son existence.

La déchéance des intérêts est une mesure introduite par les lois des 10 janvier 1978 et 13 juillet 1979 dites lois Scrivener.

Elle ne vise pas spécialement l’erreur de TEG mais concerne un certain nombre de manquements de l’établissement fournisseur de crédit en matière d’information pré-contractuelle, de devoir de conseil et de prudence, de formalisme de l’offre et de son contenu.

La déchéance est une sanction civile personnelle qui ne fait pas disparaître le droit en cause, mais qui interdit simplement à son titulaire d’en user. Elle est dès lors sans lien avec le préjudice subi par l’emprunteur et se doit, comme toute peine, d’être proportionnée au manquement qu’elle sanctionne.

Mais pour qu’une personne, la banque, soit déchue de son droit aux intérêts du prêt, encore faut-il que ce droit se soit préalablement et valablement constitué pour qu’elle en soit titulaire, c’est ce que sanctionne la nullité des intérêts contractuels.

La refonte en 2016 du droit des obligations le rappelle : lorsque une condition de validité du contrat ou de l’une de ses clauses fait défaut, il s’ensuit naturellement la nullité et non la mise en responsabilité du pollicitant qui n’est du reste pas exclue.

Si l’article 1907 du Code civil distingue les intérêts conventionnels des intérêts légaux, la déchéance du code de la consommation ne les distingue pas.

Loin d’être en rivalité l’une contre l’autre, nullité et déchéance se complètent de sorte que le défaut de validité de la clause contractuelle d’intérêt ne fait pas obstacle, selon l’inconduite de la banque lors de la commercialisation de son offre, à une déchéance proportionnée des intérêts légaux.

Par nature une sanction civile ne déroge pas au fond du droit.

Jean-Simon Manoukian, avocat au barreau de Nantes, [->http://teg-taeg-jsmanoukian.com]

[1TGI Créteil, 6 juin 2016, n°13/09614

[2CA Paris, 9 mars 2018, n° 16/14304

[3Civ 1ère 24 juin 1981, n°80-12903 et 80-12773, Publiés.

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