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Gestation pour autrui, enfin une reconnaissance de la "mère d’intention" ? Par Caroline Le Bot, Avocat.
Parution : mercredi 29 mai 2019
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La gestation pour autrui est désormais un processus de conception de l’enfant bien connu, auquel ont recours les couples, lorsque la conception d’un enfant s’avère être un parcours du combattant.
Interdite en France, les parents y ont recours à l’étranger, le plus souvent aux Etats-Unis.

Mais une fois que l’enfant est né, de nombreuses difficultés attendent encore les parents et notamment "la mère d’intention", pour faire retranscrire l’identité complète de l’enfant à l’état civil français.

Le Tribunal de Grande Instance de Nantes, seul compétent en France pour retranscrire les actes d’état civil des français nés à l’étranger, a rendu le 23 mai dernier un jugement consacrant la retranscription complète de l’état civil d’une petite fille née aux Etats Unis.

Faut-il y voir une évolution en la matière ?

Elle a 3 ans, elle est née à Orlando (Floride), son père est citoyen américain, sa "mère porteuse" est américaine, sa "mère d’intention" est française.

Jusqu’ici, la retranscription de l’acte de naissance de l’enfant issu de gestation pour autrui à l’état civil français n’était réalisée que de façon incomplète.

En effet, seul le père biologique de l’enfant se voyait inscrit comme parent biologique et légal de l’enfant.

La "mère d’intention", pourtant mère biologique de l’enfant et qui, au même titre que le père biologique a transmis à l’enfant son patrimoine génétique, ne pouvait être reconnue comme telle, ni être, elle aussi, inscrite sur l’acte d’état civil de l’enfant, en tant que mère légale.

Une véritable rupture d’égalité entre le père et la mère de l’enfant, puisque cette dernière, non reconnue comme le parent de l’enfant, ne pouvait prendre aucune des décisions importantes de la vie de l’enfant, puisque non investie de l’autorité parentale.

De même lorsque le couple venait à se séparer, cela pouvait entraîner une réelle rupture des liens entre la "mère d’intention" et son enfant, puisqu’elle ne pouvait faire valoir sur l’enfant qu’elle a pourtant conçu, aucun droit parental.

Une position sévère mais conforme à la conception juridique française de la maternité, selon laquelle la mère de l’enfant est celle qui accouche.

Face à ce phénomène, la jurisprudence a fait preuve de quelques avancées.

Si la maternité pour autrui reste interdite au nom du principe de l’indisponibilité du corps humain, la Cour de Cassation s’est prononcée en mai 2017 pour la retranscription partielle de l’acte de naissance à l’état civil français, soit en inscrivant uniquement le nom du père.

La "mère d’intention" pouvait quant à elle recourir à l’adoption de l’enfant du conjoint pour être reconnue comme la "mère légale" de son enfant.

Récemment interrogée par la Cour de Cassation française sur le sujet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu un avis le 10 avril dernier où elle se prononce en faveur de la reconnaissance de la filiation entre la "mère d’intention" et l’enfant mais elle précise que cela n’implique pas forcément la retranscription à l’état civil.

Ainsi la Cour Européenne des Droits de l’Homme laisse toute latitude aux Etats pour choisir les moyens tendant à parvenir à cette reconnaissance.

La retranscription à l’état civil n’est donc pas imposée et la reconnaissance du lien de filiation maternel peut, par exemple, passer par l’adoption ou même la possession d’état si les conditions sont réunies.

Le 23 mai dernier, le Tribunal de Grande Instance de Nantes est allé plus loin et s’est prononcé en faveur d’une retranscription intégrale de l’acte de naissance à l’état civil français.

Est-ce dire qu’il s’agit d’une décision inédite marquant un tournant en matière de maternité pour autrui ?

La position du Tribunal Nantais n’est pas inédite, ce dernier se prononce souvent en faveur d’une retranscription complète fondée sur l’intérêt de l’enfant.

Contestées en appel, les décisions sont retoquées et réformées en faveur d’une retranscription partielle, conforme à la position de la Cour de Cassation.

En l’espèce, la nationalité des parents est également à prendre en considération puisque le père de la petite fille est citoyen américain.

Une retranscription partielle n’aurait donc pas été possible.

Se fondant sur l’intérêt de l’enfant, le Tribunal Nantais a donc estimé que cet intérêt impliquait de reconnaître "la situation constituée à l’étranger en conformité avec la loi étrangère, afin de garantir sur le territoire national le droit au respect de son identité, dont la filiation et la nationalité française constituent un aspect essentiel".

Le Tribunal s’est au demeurant interrogé sur la validité d’une telle adoption par la mère biologique.

L’affaire est à suivre en cas d’appel.

Elle est en tout cas une victoire et un regain d’espoir pour les familles issues de la gestation pour autrui.

Caroline LE BOT Avocat au Barreau de Valenciennes