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Les pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat et l’entreprise en RDC. Cyprien Mushonga Mayembe, Avocat.
Parution : mercredi 29 mai 2019
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Les pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat et l’entreprise en République Démocratique du Congo.

Introduction.

La discrimination est entendue, ici, comme toute distinction opérée entre les personnes physiques en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou non, vraie ou supposée à une ethnie, une tribu, etc. Elle est une manifestation d’intolérance qui porte atteinte à la fois au principe d’égalité et au principe du respect de la dignité de la personne humaine, consacrés par plusieurs textes juridiques tant nationaux (il en est ainsi des articles 11, 12, 18 et 36 de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 Janv. 2011 portant révision de certains articles, de même l’article 74 du Code pénal congolais du 30 Janvier 1940 tel que modifié et complété par la loi n°06/018 du 20 Juillet 2006, etc. ) qu’internationaux (à titre illustratif, on cite : le Préambule de la Charte des Nations-Unies du 26 Juin 1945, les articles 1, 2 et 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 Déc. 1948, etc.) qui traduisent l’expression des valeurs démocratiques.

L’engagement ou le recrutement dans plusieurs services publics de l’Etat est fondé surtout sur deux pratiques discriminatoires : la carte ethnique et l’appartenance à un parti ou regroupement politique de la mouvance.
Ces pratiques sont devenues très récurrentes dans le Pays, à tel enseigne qu’on peut les lire même facilement dans la chaire et dans la conscience des hommes. Car elles ont ruinée presque tous les domaines de la vie : l’économie, le commerce, l’éducation, l’administration publique, la justice, l’armée, etc. Y a-t-il encore aujourd’hui un seul domaine qui soit encore réfractaire à la discrimination en République démocratique du Congo ?

Dans le cadre de cette étude, nous examinerons les causes des pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat (I) avant de parler des conséquences de dites pratiques discriminatoires dans le fonctionnement des services publics de l’Etat (II).

I. Les causes des pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat.

Les pratiques discriminatoires ont commencé à se faire sentir juste à l’indépendance avec la création des partis politiques issus des associations tribales. Dans la deuxième république, elles ont servi le Maréchal Mobutu dans la consolidation de son régime dictatorial. Cependant, c’est dans la troisième république qu’elles sont au sommet des armes.

a) La première république (1960-1965) : les prémisses des pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat.

Après l’indépendance du Pays le 30 juin 1960, les services publics de l’Etat étaient marqués par une bonne logique de non-discrimination. Mais soudainement cet espoir s’est effondré dans l’esprit du peuple congolais par le caractère purement discriminatoire des partis politiques. Car ces derniers n’ont été que l’émanation des associations tribales. C’est pour cette raison que presque tous les originaires du Katanga s’étaient regroupés autour de la Confédération des Natifs du Katanga (CONAKAT) sous le leadership de Moïse Tshombé, ceux du Bas-Congo, créèrent l’Association des Bakongo (ABAKO), à Léopoldville quelques natifs de Bandundu fondèrent le Parti socialiste africain (PSA), au Kivu, le Centre de regroupement africain (CERA) et le MNC dans le reste du pays.

La création de tous ces partis politiques à connotation tribale a eu de l’incidence dans la nomination des animateurs des services publics de l’Etat à tel enseigne que lors de la formation du premier gouvernement de Lumumba, on a pu constater la présence de quelques cadres et personnel administratifs issus d’une même tribu dans certains services publics de l’Etat.

b) Les pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat : le substrat du régime dictatorial de la deuxième république (1965-1967).

Sous la deuxième république, les pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat, fondées sur la carte tribale et l’appartenance à un seul parti politique, le Mouvement populaire de la révolution, MPR en sigle, parti Etat, du Président Mobutu ont commencé à prendre de l’élan. La lueur d’espoir du multipartisme de la première république s’est rapidement effondrée. En effet, le parti au pouvoir est devenu très vite parti unique, avec ses organisations affiliées des femmes, des jeunes, des travailleurs et des paysans.

L’idéologie politique du MPR impose une lecture parentale de subordination politique ainsi analysée par Achille Mbembe : ‘’Le Chef de l’Etat propriétaire attitré du patrimoine que constitue l’Etat, gère celui-ci pour le plus grand bien de ses enfants. Par la force de l’idéologie de l’aînesse, les plus jeunes doivent respect et soumission aux plus âgés.
L’obéissance est, ici, signe de sagesse, et est récompensée en tant que telle par la cooptation dans les cercles qui émargent sur le patrimoine national. Les rapports de sujétion tentent ainsi d’emprunter, ici, les canaux de la parenté et donc les lignes d’inégalité susceptibles de susciter le plus de consentement compte tenu du caractère englobant des structures familiales africaines
’’.

L’article 3 al. 1 de la Constitution du 24 juin 1967 disposait que : ‘’ Tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse, ainsi que toute propagande régionaliste susceptible de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat ou à l’intégrité du territoire de la République sont prohibés".
Et pourtant, le Président de la République, le Maréchal Mobutu, tout en réprimant les discours et les modes d’action qui reflétaient du tribalisme, s’en était réservé l’usage. En effet, dans l’armée, les officiers généraux et supérieurs provenaient presque tous de l’Equateur : région d’origine du Président. Le mémorandum des agents du Ministère des affaires étrangères, déposé lors de consultations populaires de janvier mars 1990, renseigne que plus de 80% de postes de chefs de missions diplomatiques étaient occupés par des personnes originaires de la province de l’Equateur.
Le tribalisme et la politisation des services administratifs par le Président Mobutu l’ont aidé à assoir son régime dictatorial.

c) La troisième république (1997 à nos jours) : l’ascension des pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat.

La troisième république, marquée par la dynastie Kabila, est venue accentuée la discrimination dans les services publics de l’Etat du sommet de l’Etat jusqu’au niveau local. L’ethnisation des services publics de l’Etat se justifie du fait que la majorité des départements ministériels clés étaient toujours dirigés par les originaires du Katanga, province d’origine du Chef de l’Etat.
Les différents Gouverneurs de province ont imité également cette mauvaise pratique d’ethnisation des services publics. C’est ainsi que chaque Gouverneur de province, recrute un nombre des jeunes de sa tribu dans les différents services générateurs de recettes (direction provinciale des recettes), dans le gouvernement provincial et dans d’autres services publics relevant de sa compétence.

II. Les conséquences des pratiques discriminatoires dans les services publics de l’Etat.

a) La discrimination, une notion qui porte atteinte à la bonne gouvernance administrative

Lorsqu’un chef de service public de l’Etat s’illustre dans les pratiques discriminatoires, il porte atteinte au but de service public de l’Etat, qui est celui, de la satisfaction des besoins d’intérêt général.
Au regard de l’administration, la discrimination s’apparente à un abus d’autorité, puisque le titulaire utilise ses prérogatives à des fins autres que pour lesquelles elles lui sont conférées.
En sus, les pratiques discriminatoires exercées dans les services publics de l’Etat portent atteinte au principe d’égalité consacré en Droit administratif. Car l’agent administratif qui discrimine, méconnait l’obligation d’impartialité à laquelle il est tenu. Or, cette obligation que nous retrouvons de manière générale dans l’exercice des fonctions administratives, assure l’objectivité de l’action administrative.
Aussi, quand l’agent dispose d’un pouvoir décisionnaire, celui-ci ne l’autorise pas à avantager ou à désavantager telle ou telle personne. Ce pouvoir décisionnaire est donc particulièrement encadré et la censure de la partialité du choix de l’agent administratif s’effectue par le biais du détournement de pouvoir ou par le contrôle de motifs de l’acte.

b) La discrimination, une notion qui porte atteinte à la politique de création d’emploi pour la jeunesse congolaise.

Le phénomène d’ethnisation et de la politisation des services publics de l’Etat, affecte négativement l’avenir de la jeunesse congolaise en quête d’emploi. Car ces deux critères négatifs ne permettent pas à la majorité des jeunes d’être embauchée dans l’administration publique.
Et pourtant, les jeunes congolais occupent une place centrale dans l’espace et les lieux publics, qu’il s’agisse d’une présence formelle ou informelle dans le domaine politique, dans celui de la musique comme consommateurs ou comme producteurs, dans les media, les églises, les mosquées et les forêts et autres autels sacrés, la rue et les forces armées, auxiliaires au service de l’Etat, des politiciens de leurs communautés ou d’eux-mêmes.

Pour emprunter les termes de Professeur Mamadou Diouf, le contexte de surgissement des jeunes sur la scène publique est lié aux effets combinés de la crise économique, du chômage, les services éducatifs et sanitaires, en particulier, et à la perte irréversible de légitimité des institutions et de la classe politique.

Les conséquences d’une telle situation sont nombreuses. Je n’en citerai que quelques-unes : l’insécurité généralisée dans presque toutes les villes de la République du Congo, la prolifération des groupes rebelles et de phénomène coupeur de route, la généralisation des abus et de la répression de la part de la police, le recours aux règlements de comptes meurtriers, le renforcement des réseaux clientélistes hors des sphères administratives et gouvernementales, matière de sécurité et de protection des biens et des personnes, l’effondrement de l’armature administrative et l’effacement de l’offre de services publics, etc.

Conclusion.

De tout ce qui précède, il y a lieu de proposer des remèdes à cette pathologie qui gangrène actuellement les services publics de l’Etat en République Démocratique du Congo : la discrimination fondée sur l’appartenance tribale et l’appartenance à un parti politique ou à un regroupement politique. A notre humble avis, nous estimons que l’abolition de la carte ethnique et la dépolitisation des services publics de l’Etat seront des remèdes appropriés à cette maladie congénitale dont est victime notre administration publique.
C’est pour cette raison que les efforts de la moralisation de la classe politique congolaise méritent, d’une part, d’être déployés par les forces vives de la nation : la société civile, les confessions religieuses, etc., et d’autre part, par les groupes de pression : les étudiants, élite de demains, dans des Universités par l’organisation des colloques, des conférences, et soumettre les recommandations au Chef de l’Etat, aux députés et sénateurs.

Sources :
- Mbembe, A., Les Jeunes et l’Ordre Politique en Afrique, l’Harmattan, Paris, 1998.
- Mamadou Diouf, Les jeunes et l’entreprise démocratique en Afrique (consulté le 12 avril 2019 à 9h :15).
- Cornu, G., Vocabulaire juridique, Puf, Paris, 2014.

Retrouvez l’étude dans son intégralité en format PDF ici :

MUSHONGA MAYEMBE Cyprien Avocat près la Cour d’Appel de Bukavu et personnel scientifique de l’Université de Kalemie en République démocratique du Congo