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La radiation sur les listes électorales : recours et conséquences sur la régularité du scrutin. Par Charles Abeel, Avocat.
Parution : samedi 1er juin 2019
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Les élections européennes du 26 mai 2019 ont soulevé la question de la radiation des listes électorales et leurs conséquences sur la régularité du scrutin, l’occasion de faire le point sur le droit en vigueur.

I. Le recours en contestation de la radiation des listes électorales devant le Tribunal d’instance.

Conformément à l’article L.18 du Code électoral, le maire est compétent pour l’établissement des listes électorales (inscription, refus ou radiation). Il a notamment pour mission de vérifier que la demande de l’électeur répond aux conditions mentionnées au I de l’article L. 11 ou aux articles L. 12 à L. 15-1.

Si de telles conditions ne sont plus remplies, il peut radier l’électeur des listes électorales à l’issue d’une procédure contradictoire permettant à ce dernier de présenter ses observations. Il notifie alors sa décision dans un délai de deux jours.

L’électeur doit alors contester cette radiation dans le cadre d’un recours administratif préalable obligatoire devant une commission de contrôle dans un délai de 5 jours (article L19).
En cas de rejet ou de silence de la commission dans un délai de 30 jours, le Tribunal d’instance peut être saisi dans un délai de 7 jours, conformément à la procédure prévue à l’article L.18 du code électoral.

Mais quid du recours de l’électeur dont la décision de radiation non notifiée par le Maire ?

L’article L.20 II du code électoral dispose que : "Toute personne qui prétend avoir été omise de la liste électorale de la commune en raison d’une erreur purement matérielle ou avoir été radiée en méconnaissance de l’article L. 18 peut saisir le tribunal d’instance, qui a compétence pour statuer jusqu’au jour du scrutin. Le jugement du tribunal d’instance est notifié à l’électeur intéressé, au maire et à l’Institut national de la statistique et des études économiques."

Autrement dit, l’électeur qui s’aperçoit de sa radiation au bureau de vote peut aller directement au Tribunal d’Instance pour rétablir sa situation électorale, y compris le jour du scrutin.

Cette saisine se fait par déclaration orale ou écrite qui doit répondre au formalisme des articles R.17 et suivants du code électoral sous peine d’irrecevabilité [1].

Le juge judiciaire vérifie alors les circonstances entourant la mise en oeuvre des conditions prévues à l’article L.18 du code électoral. Ainsi, par exemple, le Maire ne commet pas d’erreur matérielle en envoyant la décision de radiation avec mention du nom de famille et non du nom d’usage du demandeur, faute pour ce dernier de l’avoir indiqué [2].

Par ailleurs, en cas de changement d’adresse, il faut véritablement démontrer que la commune a été réellement informée de ce dernier [3].

Il convient de souligner que le ministère d’avocat n’est pas obligatoire au regard des délais brefs de la procédure.

Néanmoins, il peut s’avérer compliqué, en pratique, de pouvoir se rendre au Tribunal d’Instance jusqu’au jour du scrutin limitant alors les possibilités de recours contentieux.

II. Le recours difficile devant le juge de l’élection relatif à la régularité du scrutin.

En cas de radiation non contestée, se pose la question de son impact sur la régularité du scrutin.

A titre préliminaire, il convient de préciser que le juge administratif est juge des élections. Par exemple, le Tribunal administratif est compétent pour les élections municipales (article L.248 du code électoral) tandis que le Conseil d’Etat est notamment compétent pour les élections au Parlement européen au sens de l’article L311-3 du code de justice administrative.

Néanmoins, une contestation de la régularité du scrutin dans le cadre d’une radiation des listes électorales risque d’être rejetée par le juge de l’élection.

En effet, il ressort de la jurisprudence constante que le juge administratif n’est pas juge de la régularité des inscriptions sur les listes électorales [4].

En revanche, il se reconnaît compétent pour apprécier si les irrégularités ou les manœuvres entourant l’établissement ou la modification des listes électorales n’ont pas été susceptibles d’avoir altérées la sincérité du scrutin [5].

Il en résulte qu’ en principe, le juge de l’élection considère qu’il existe une atteinte à la sincérité du scrutin si et seulement si l’irrégularité concerne un nombre suffisant d’électeurs qui aurait par conséquent, modifiée substantiellement l’écart de voix entre les candidats et les listes [6].

Plus précisément, le Conseil d’Etat considère que "toutefois compte tenu, notamment, de l’écart de voix au second tour entre les deux listes en présence, cette manoeuvre n’a pas été, dans les circonstances de l’espèce, de nature à influer sur les résultats du second tour de scrutin" [7].

Par suite, concernant les radiations des listes électorales, il est nécessaire de démontrer qu’elles sont suffisamment nombreuses au niveau national ou local pour avoir un impact sur l’écart de voix entre les différentes listes.

De plus, le juge administratif risque de prendre en considération la circonstance que les électeurs pouvaient saisir le Tribunal d’Instance jusqu’au jour du scrutin.

Par conséquent, il en résulte que seules des circonstances particulières relatives à la radiation d’électeur sur les listes électorales peuvent remettre en cause la régularité du scrutin.

Source

Charles Abeel Avocat au Barreau de Lille

[1Civ. 2e, 20 mars 2014 : n° 14-60.192.

[2Cass., 2e civ., 2/06/17, n°17-60.235.

[3Cass., 2e civ, 02/06/17, n°17-60.248.

[4CE, 2/06/69, n° 74843 74906 ; Conseil Const. 12/07/78, n°78-845.

[5CE, 27/03/09, n°321928 , CE, 20/12/17, n° 409696.

[6CE, 29/07/02, n°236.402 ; Conseil Constit, 12/11/1981, n°81-902/918/933.

[7CE, 19/05/09 n°322155.

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