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Le Code de la Commande Publique : un instrument d’attractivité du droit public français ? Par Georges Tchikaidze et Baptiste Charvin, Etudiants.
Parution : jeudi 6 juin 2019
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Malgré plusieurs tentatives infructueuses, mais avec une persévérance remarquable, le Code de la Commande Publique (ci-après le CCP) a enfin vu le jour fin 2018 et est entré en vigueur le 1er avril 2019. Ce Code, qui ne s’inscrit pas seulement dans un millefeuille législatif, vient également le rationaliser.
En effet, ce nouveau Code, qui codifie à droit constant la jurisprudence administrative en matière de contrats et marchés publics, simplifie la lecture des dispositions relatives à la Commande Publique, rendant le droit public français en quelque sorte attractif pour les investisseurs profanes de la séparation entre les contrats publics et contrats privés.
Toutefois, il n’en demeure pas moins un certain nombre de difficultés, malgré la codification qui devront être évoquées ci-après.

Pour comprendre en quoi le CCP est un instrument d’attractivité du droit public français, il faut avant tout évoquer l’histoire singulière et tortueuse de sa codification avant de voir en quoi ledit Code rationalise le droit public, nonobstant les difficultés qu’il laisse subsister pour les experts et praticiens du droit public.

Tout a commencé en 1997 (une vingtaine d’années se sont bien succédé !), on ne parlait pas encore de CCP mais plutôt d’un projet de loi d’habilitation à réformer le « Code des marchés publics » pour en créer un nouveau qui s’appellerait le « Code des marchés publics et autres contrats d’intérêt général ».
Les raisons invoquées étaient d’ores et déjà justifiées : « Si les collectivités publiques disposent aujourd’hui d’un corpus de textes extrêmement complet sur la passation, le contrôle et l’exécution de leurs marchés, il apparaît que la sédimentation de ces dispositions depuis dix ans a rendu le droit des marchés publics particulièrement complexe, insuffisamment accessible aux entreprises et notamment aux petites ou moyennes entreprises, et est à l’origine de nombreux dysfonctionnements de procédures, dont le coût administratif et économique n’est pas négligeable [1] ».) Si le projet de loi était déposé le 25 mars 1997, l’Assemblée nationale, quant à elle, a été dissoute quelques semaines après, laissant le projet sans suite.

Rebelote plusieurs années plus tard, avec diverses tentatives d’habilitation législative qui ont échouées. Tout d’abord, l’article 5 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit autorise l’exécutif à prendre par ordonnance, « dans le respect de la transparence et de la bonne information du public : 1° Les mesures nécessaires pour rendre compatibles avec le droit communautaire les dispositions législatives relatives à la passation des marchés publics ; 2° Les mesures permettant de clarifier les règles applicables aux marchés passés par certains organismes non soumis au code des marchés publics ; 3° Les mesures permettant d’alléger les procédures de passation des marchés publics pour les collectivités territoriales ». La loi, d’une durée d’un an, est trop courte pour permettre de réaliser un de ces objets : la transposition des directives communautaires de 2004 qui tarde à être adoptée [2].

Par la suite, c’est l’article 65 de la loi du 9 décembre 2004 [3], d’une durée de six mois cette fois-ci, qui n’est pas plus suffisante pour laisser le temps au Gouvernement d’en prendre la charge.

Ce n’est pas fini, une nouvelle tentative de codification est initiée dans le projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés [4], mais avec un nouveau moyen plus ambitieux car on parle enfin pour la première fois d’un projet de CCP ! Il va s’agir en l’espèce de permettre l’adoption d’une partie législative d’un CCP « en unifiant, clarifiant et rassemblant l’ensemble des dispositions relevant du domaine de la loi applicables aux contrats de toute natures relatifs à la commande publique, à l’exception de ceux régis actuellement par le code des marchés publics  ». Cela saute aux yeux, il s’agit d’imaginer un « Code de la Commande Publique » sans marchés publics ! Cet article, issu d’un amendement gouvernemental, est censuré ipso facto par le Conseil constitutionnel au motif qu’il est dépourvu de tout lien avec les dispositions du texte en discussion [5] ; [6].

L’intérêt d’une telle codification était toujours en vigueur, par exemple le Conseil d’Etat recommandait « pour introduire davantage de simplicité, de lisibilité et de sécurité dans notre droit des contrats, de remettre en chantier l’élaboration d’un code de la commande publique » [7].
Du fait de la complexité de la codification, et notamment sur le fait de savoir si on fait une refonte du droit ou une simple juxtaposition des règles de droit, ladite codification, a par bien des égards, causé des maux de tête aux partisans de la codification [8].
Après la décision du Conseil Constitutionnel, on pensait presque que cette codification ne verrait jamais le jour, mais c’est l’Union Européenne et son influence qui a permis d’aboutir au CPP actuel.
La réforme du droit de la commande publique a été rendue possible car elle a été réalisée dans le cadre de la transposition des directives européennes de 2014 [9], principalement par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Le CPP va reprendre ces textes de transposition des directives européennes. Cela montre que même dans un domaine plutôt national tel que le droit public français, l’Union Européenne, par son influence incontestable dans le droit interne, garde son mot à dire en poussant les Etats à réagir et à adopter les mesures qu’elle édicte.

On arrive très logiquement, enfin, à l’article 38 de la loi « Sapin II » [10] qui habilite le gouvernement à procéder à l’adoption de la partie législative du Code de la commande publique par voie d’ordonnance, dans un délai de 24 mois à compter de la promulgation de la loi.

Après une longue attente des acteurs de la Commande Publique, le CCP voit le jour en 2018, avec l’adoption de l’ordonnance [11] du 26 novembre 2018 portant partie législative du Code de la commande publique et le décret [12] du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du Code de la commande.
Le Code de la commande publique, entré en vigueur le 1er avril 2019, regroupe et organise les règles relatives aux différents contrats de la commande publique qui s’analysent, au sens du droit de l’Union européenne, comme des marchés publics et des contrats de concession [13].

Nous sommes arrivés au CPP actuel, assemblant les règles et dispositions relatives aux marchés et contrats publics dans la branche complexe du droit public. Bien que la codification soit « une grande affaire pour les années qui viennent » (R. Chapus) [14], le CPP a quand même vu le jour, après une vingtaine d’années de discussions, en gravant notamment les jurisprudences administrative et européenne, à droit constant, en son sein.
Le CPP a été élaboré dans la manière la plus lisible qu’il soit. En effet, il est organisé dans la chronologie de la vie du contrat (de la préparation jusqu’à la fin anticipée, en passant par son exécution).

Maintenant, est-ce que le CPP permet de rendre le droit public (et notamment le droit public des affaires), ô combien complexe, attractif pour les profanes de la branche (souvent les investisseurs étrangers dans les projets et infrastructures) ? Nous aborderons le raisonnement en plusieurs temps : tout d’abord, on évoquera en quoi l’objectif de simplification et de rationalisation du droit public des affaires par l’efficacité économique du Code a été rempli (I), avant d’évoquer les difficultés qui subsistent encore, malgré la codification (II).

I. Rationaliser pour attirer : l’efficacité économique comme fondement du code de la commande publique.

Trop longtemps considéré comme « en miettes, fait de catégories trop incertaines et de règles fréquemment parcellaires, aux origines diverses et, parfois, répondant à des besoins purement conjoncturels, fait de catégories trop incertaines et de règles fréquemment parcellaires, aux origines diverses et, parfois, répondant à des besoins purement conjoncturels » [15] , le droit de la commande publique se devait d’être simplifié. Son importance économique, tant au niveau national qu’européen ne pouvait aboutir qu’à ce que les pouvoirs publics inscrivent dans le marbre d’un Code des dispositions jusque-là trop éparses.

L’objectif avancé par le Ministère de l’Économie et des Finances était très clair. Alors que « seulement 26% des PME déclaraient connaître les textes récents relatifs à l’évolution des marchés publics », il fallait remédier à « la complexité de l’environnement juridique qui empêche les entreprises françaises de saisir pleinement les nombreuses opportunités économiques offertes par les besoins de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques » [16].
La commande publique constitue en effet une ressource économique importante tant pour les acteurs publics que privés. A titre indicatif, la commande publique représentait 8% du PIB en 2016, soit 200 milliards d’euros (80 milliards pour les marchés publics et 120 pour les concessions).
La part des PME dans le PIB quant à elle, représentait 44% et le montant des marchés qui leur étaient attribués par l’État s’élevait à 6,45 milliards d’euros [17]. En 2017, l’on a constaté une légère évolution, le montant des marchés publics s’élevant à 89 milliards. [18].

Au regard de ces chiffres, il était tout naturel que l’on se décidât à mettre en place une simplification de ces textes qui permettrait aux entreprises, quelles que soient leur taille, de gagner en attractivité. Car si le principe d’intelligibilité du droit peut être invoqué en tant qu’objectif de ladite codification [19], il n’en demeure pas moins que c’est bien la volonté d’une meilleure efficacité économique qui prédomine la genèse du code. « Véritable boite à outils, il est la garantie d’une commande publique plus simple et plus lisible […] et contribuera ainsi à garantir l’accès et l’efficacité de la commande publique […] et sera à ce titre un fort levier de croissance pour l’économie » [20].

La lourdeur des procédures de passation représentait un frein pour les PME qui se privaient des opportunités proposées par la commande publique. En cela, elles se retrouvent fortement impactées par la codification. Les petites et moyennes entreprises étaient clairement ciblées par le Gouvernement, considérant que « trop souvent, certaines d’entre elles, pourtant en phase de développement, hésitent ou renoncent à répondre à des appels d’offres, considérant – parfois à tort – que le temps à y consacrer et la lourdeur des démarches seraient disproportionnés par rapport aux chances de remporter une consultation » [21].

Le guide publié par le Gouvernement faisait état des diverses difficultés rencontrées par les entreprises. Ces obstacles seront en premier lieu surmontés par la généralisation de la dématérialisation des marchés publics et de la facturation. Selon les chiffres avancés en 2018 par le Ministère de l’Économie et des Finances, « 75% des entreprises utilisent le papier pour répondre aux marchés publics » tandis que le prix d’une facture papier s’élève de « 5 à 10 euros ». A termes, cela peut représenter « 5 à 15% du chiffre d’affaire d’une entreprise consacré à la gestion de ses documents papiers » [22]. De plus, le marché public simplifié (MPS) constitue lui aussi une possibilité d’optimiser le rapport coût/résultat.

Cette simplification ne s’arrête pas qu’au niveau de la procédure puisque le choix opéré pour la structure formelle du code s’inscrit dans cette volonté de rendre le droit plus intelligible. On retrouve en effet « une structure à quatre niveaux - partie, livre, titre et chapitre - dans le souci de donner aux usagers, via la numérotation des articles, un niveau supplémentaire d’information leur permettant de naviguer aisément dans le code » [23].

En conséquence, la codification des ordonnances marchés publics et concessions de 2015 et 2016 remplit un double objectif. Celui de l’efficacité économique d’une part, ce qui aura pour effet d’accroître la productivité et l’attractivité des entreprises ; et d’autre part de rendre un domaine complexe du droit plus intelligible et accessibles pour tous les acteurs.

Néanmoins, cette codification n’est pas parfaite et il existe encore certains problèmes qu’il reviendra soit au législateur soit au juge national ou européen de résoudre.

II. Un code sujet à des problèmes persistants.

Certains auteurs n’ont pas manqué de relever la complexité presque perpétuelle du domaine de la commande publique à l’égard de laquelle la codification n’est pas venue à bout. En effet, « le produit fini ne ressemble guère à un jardin à la française. Les règles qu’il rassemble demeurent complexes et d’un maniement parfois délicat, avec des champs d’application variés. Cette complexité résulte souvent de contraintes issues du droit de l’UE. Ainsi, sur de nombreux points, les obligations qui s’imposent aux pouvoirs adjudicateurs ou les possibilités qui s’offrent à eux sont-elles très proches de celles qui concernent les entités adjudicatrices ; mais des différences mineures interdisent d’unifier totalement les deux régimes. Elle résulte aussi, parfois, de choix faits de longue date par le droit national. [24] » De la même manière, le Code de la commande publique « opère une codification à droit constant et s’inscrit donc dans la catégorie des codes qui reforment et non des codes qui réforment » [25].

L’autre problématique que l’on peut soulever est la multiplicité des codes relatifs aux contrats publics. L’on retrouve ainsi les conventions d’occupation domaniale dans le CG3P ou les délégations de service public dans le CGCT. Quant aux règles relatives aux contentieux et aux sanctions pénales, il faut se référer aux CJA et au code Pénal. Jongler entre les codes n’apparaît pas être synonyme de simplicité.

Enfin, le problème le plus épineux est sans doute celui des contrats « in-house », aujourd’hui non soumis aux grands principes de la commande publique tels que la transparence.
Ainsi, selon les professeurs Mellerey et Noguellou « il n’est pas possible de considérer que ces contrats échappent par principe au respect des principes de l’article L. 3 » car « le in-house a connu une extension de son champ d’application considérable avec les directives de 2014 (consécration de la notion de contrôle conjoint, du in-house horizontal, du in-house ascendant), le spectre des contrats concernés dépassant très largement ce qui résultait de la jurisprudence de la Cour. Sans nécessairement s’interroger sur la parfaite conformité́ de ces nouvelles dispositions avec les règles générales du traité, on peut estimer qu’on n’est plus simplement dans des rapports simples, identiques à ceux qu’une entité́ publique entretiendrait avec ses propres services, et qu’il est dès lors normal que ces relations contractuelles soient précédées d’un minimum de transparence. […] Une autre difficulté est de savoir quelles sont les implications concrètes de l’application des principes d’égalité de traitement, de liberté d’accès et de transparence à ces contrats. Le rapport au Président de la République soulignait parfaitement l’ambiguïté de la situation : alors même que le code ne « fixe, en ce qui les concerne, aucune règle précise », il appartient aux acheteurs publics de « définir les modalités d’application des principes ». Le risque est alors que, par crainte de ne pas en faire assez, les acheteurs publics se soumettent à des règles quasi identiques à celles prévues pour les contrats soumis à des procédures formalisées. Ce risque est d’autant plus important que la jurisprudence a tendance à rapprocher fortement les obligations pesant sur les contrats soumis aux seuls principes généraux de celles applicables aux contrats soumis aux dispositions textuelles » [26].

A la lumière de ces éléments, on voit que le Code de la commande publique demeure imparfait. Mais cela n’enlève rien aux objectifs qu’il s’est fixés et la capacité des acteurs économiques à se l’approprier. « Sans doute est-il trop tôt pour dire si le droit codifié de la commande publique de demain sera plus stable qu’il ne l’était par le passé. Pour l’heure, il est assurément plus accessible et plus intelligible et c’est déjà le signe d’une codification aboutie » [27].

Georges TCHIKAIDZE Etudiant en Master 2 (214) Droit des affaires Université Paris-Dauphine PSL Baptiste CHARVIN Etudiant en Master 1 Droit public général Université Paris I Panthéon-Sorbonne

[1Document n°3462 du 25 Mars 1997, Assemblée Nationale

[3Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

[4Loi n° 2009-179 du 17 févr. 2009.

[5Cons. const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC, Loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, AJDA 2009. 286 ; RFDA 2009. 580, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud

[6L’écriture du code – Bertrand Dacosta – Sophie Roussel – AJDA 2019. 376

[7Le contrat, mode d’action publique et de production de normes : EDCE, 2008, n° 59, p. 254.

[8CE, 22e rapport annuel, 2011, p. 20 et 21.

[9Directives 2014/23/UE, 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014

[10L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JO 10 déc.

[13Lamy Droit public des affaires, 1449 – Code de la commande publique - §2 Ordonnance de l’article 38 de la Constitution, mis à jour au 05/2019.

[14R. Chapus, Droit administratif général Montchrestien, 15e éd., 2001, n° 163.

[15G. Eckert, « Code de la commande publique : la sécurité juridique au service de l’efficacité économique ? », Contrats et Marchés publics, n°1, Janvier 2019.

[16Ministère de l’Économie et des Finances, « Moderniser la commande publique », Octobre 2018, p.1.

[17Idem. p.7

[18F. Linditch, « Commande publique – OECP : avenir proche et chiffres 2017 de la commande publique », Contrats et marchés publics, n°4, Avril 2019.

[19C. Maugüé et S. Roussel, « La codification de la jurisprudence dans le code de la commande publique : jusqu’où ? », RFDA, 2019, p.213.

[20G. Eckert et M. Ubaud-Bergeron, « Entretien avec Laure Bédier, DAJ des ministères économiques et financiers », Contrats et marchés publics, n°1, Janvier 2019.

[21Ministère de l’économie et des finances, « Osez la commande publique », Février 2018

[22Ministère de l’Économie et des Finances, « Moderniser la commande publique », Octobre 2018, p.11

[23B. Dacosta et S. Roussel, « L’écriture du code », AJDA, 2019, p.379.

[24Id., p.82

[25F. Brenet, « La codification des textes épars du droit de la commande publique », AJDA, 2019, p.389

[26F. Melleray et R. Noguellou, « la codification de règles jurisprudentielles », ADJA, 2009, p.386-387.

[27F. Brenet, « La codification des textes « épars du droit de la commande publique », AJDA, 2019, p.394.