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Un juriste "hybride" grâce à l’innovation ?
Parution : mardi 17 décembre 2019
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Les changements qui s’opèrent via les nouvelles technologies bouleversent les habitudes des professionnels. Dans le droit, l’innovation conduit le juriste à évoluer dans sa pratique, notamment dans les directions juridiques. Un chemin qui ne va pas forcément de soi, mais qui semble pourtant nécessaire. Comment les juristes parviennent-ils à tirer leur épingle du jeu ? Nous avons rencontré ces nouveaux profils de juristes.

La 4ème édition du Village de la Legaltech qui s’est déroulée les 26 et 27 novembre 2019 « a permis de constater la montée en puissance de sujets structurant réellement les transformations des métiers du droit. » Parmi eux, la grande place accordée, à juste titre, à l’innovation, a illustré les nouvelles approches qui émergent dans la façon dont le juriste se perçoit et interagit avec les organes de l’entreprise.

L’innovation fait le juriste augmenté.

Un savoir-faire couplé à un savoir-être qui est relativement nouveau et qui doit lui permettre de rester une valeur ajoutée dans l’entreprise. Un constat fait notamment par Christophe Roquilly, directeur de LegalEDHEC qui a rappelé, lors du Village de la Legaltech, l’importance croissante de la maîtrise des outils digitaux : « le juriste doit être capable d’identifier, d’analyser et d’implémenter dans l’entreprise des connaissances digitales. » Ces nouvelles compétences, que l’on appelle également soft skills, font désormais partie de la carte d’identité du juriste augmenté.

La pluridisciplinarité des expertises leur a permis d’élargir leurs compétences.

Nous avions pu rencontrer des représentants de ces nouveaux métiers issus de l’innovation juridique durant la conférence animée par Séraphin Legal au Salon Legaltech. Ils sont juriste codeur, juriste marketeur, juriste privacy, chef de projet legaltech, juriste data, etc. Tous font la promotion d’une nouvelle manière de pratiquer le droit, en utilisant les nouveaux outils mis à leur disposition, pour trancher avec le cadre traditionnel de formation des juristes, trop en décalage avec leurs attentes. En effet, leurs témoignages étaient unanimes sur l’absence de motivation pendant le travail. Maud Gilet, chef de projet Legaltech chez Seraphin Legal le disait ainsi : « j’aimais le droit, mais la forme ne me plaisait pas autant, je m’ennuyais. »

Le tremplin, pour tous, s’est alors dessiné au gré de leurs expériences, de la pluridisciplinarité pratiquée avec un ensemble de métiers pour faire aboutir un projet en premier lieu juridique, mais aux multiples autres dimensions liées au business. Notamment des formations en codage ont permis à ces jeunes pousses d’élargir leur spectre de compétences pour embrasser une nouvelle forme de pratique du droit basée sur la collaboration avec d’autres expertises. Une illustration : la certification délivrée par l’organisme AFNOR valide un niveau d’expertise pour être DPO. Lors du Village de la legaltech, une remise de diplômes avait été organisée pour récompenser les professionnels ayant validé le test.

Ce que Cécile Russel, Chief Legal Officer d’Ubisoft met également en avant : « Le fait d’avoir des personnes qui codent dans notre équipe, permet de leur faire comprendre ce que les juristes font, et donc d’automatiser bien plus vite. Les juristes ont maintenant des réflexes par rapport à ce processus numérique. »

Ce « juriste hybride » comme le nomme Geoffrey Delcroix, Senior Legal Innovation Manager d’Ubisoft doit continuellement apprendre. Un processus que l’entreprise encourage à la fois en formant ses juristes au codage grâce à « une initiation pour comprendre les langages, les bases, la démarche. Le sujet est aussi de savoir comment les métiers du droit valorisent cette innovation car alliée à d’autres compétences, elle leur permet de devenir des chefs de projet. » ; mais aussi « en recrutant des gens de l’externe comme des codeurs et designers, qui ont formé les juristes à cette nouvelle culture. Nous avons constitué un réseau de partenaires en interne qui ne sont pas les interlocuteurs traditionnels pour tester et apprendre. »

De manière générale, en fonctionnant ainsi, les juristes peuvent s’assurer d’allier un cocktail gagnant [1], confie Nicolas Bustamante, CEO Doctrine.

Le juriste, en constante évolution.

Les directions juridiques recherchent ces nouveaux talents afin de développer leur valeur ajoutée et ainsi peser sur les affaires de l’entreprise. Car il est évident aujourd’hui que le métier de juriste est en constante mutation. Sous bien des aspects, son approche se fait plus collaborative par exemple avec un positionnement « à l’interface de plusieurs expertises : l’IT, la sécurité, le DPO, le business. Il est un centre de gravité et, de facto, il coordonne les équipes. »

L’approche du juriste est dorénavant plus collaborative : il est à l’interface de plusieurs métiers.

Par ailleurs, lors des recrutements, il demeure nécessaire de faire « remarquer aux candidats que le poste auquel ils postulent est amené à évoluer. » Pour exemple, Amélie de Braux, directrice juridique de Spunk, a fait l’expérience de cette adaptation en embrassant les missions de gestionnaire de projet, notamment pour la mise en application du RGPD : « plutôt que de faire appel à un chef de projet, j’ai dû prendre cette casquette et je suis allée à la rencontre des équipes internes afin d’apprendre ce nouveau rôle. »

De même, Emilie Letocart-Calame, présidente et fondatrice de Calame Consulting, fait depuis quelques temps déjà la promotion du métier de legal operations, à la croisée du juriste et du gestionnaire de projets. Un profil encore récent (moins de deux ans pour la plupart des professionnels en poste) mais qui « est évidemment amené à se développer ». Il allie « la bonne connaissance de l’entreprise et de la direction juridique » avec ce plus de management dans la conduite de projets notamment eu égard à « la digitalisation », « la rationalisation des process » et « la défense de l’action de la direction juridique dans l’entreprise. »

Quid des doctorants en droit ?

Il y a un hic cependant, car les doctorants sont visiblement laissés sur la touche. Une situation qui avait été notamment mise en lumière lors de la remise des prix OpenThèse 2019 [2] et qui est dénoncée par Yann-Maël Larher, associé du cabinet OkayDoc, et membre, en tant que docteur en droit, de l’Association Française des Docteurs en Droit. Il met en cause l’erreur originelle des directions juridiques qui privilégient le recrutement d’avocats ou de professeurs en droit alors que « les jeunes docteurs et doctorants sont les plus au fait de l’actualité juridique et des évolutions sociales, sociétales et technologiques de leur domaine de recherche et sont donc les plus légitimes. »

« Il faut laisser aux doctorants l’opportunité de s’exprimer et de conduire en liberté leurs recherches. »

Les conséquences sont telles que le diplôme le plus élevé dans la hiérarchie académique française en vient à être victime d’une « dévaluation, voire une défiance ». Au sein des entreprises, « la reproduction des autres profils académiques bouche le chemin aux doctorants et docteurs, et amène à une méconnaissance du diplôme. » Par conséquent, ces experts en viennent à « devoir passer le diplôme d’avocat pour pouvoir ensuite devenir juriste en entreprise. »

Et lorsque l’opportunité leur est donnée de faire leurs preuves au sein des directions juridiques, « les entreprises sont globalement contentes car les docteurs ont une manière de poser les problématiques qui va plus loin qu’une simple recherche Google et les généralités qu’on peut y trouver. »
Tout est une question de management : « il faut les mettre à l’aise et leur laisser l’opportunité de s’exprimer et de conduire en liberté leurs recherches. » Car finalement, dans cette période où l’environnement est « de plus en plus complexe » et l’innovation est continue, « il s’agit d’une expertise très précieuse. »

Simon Brenot Rédaction du Village de la Justice

[2Par Open Law.