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L’indemnité d’occupation dans le cadre d’une indivision. Par Pauline Darmigny, Avocat.
Parution : mercredi 12 juin 2019
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Dans le cadre d’une indivision successorale, plusieurs personnes se retrouvent copropriétaires d’un patrimoine qui appartenait au défunt.

Chacun des coindivisaires se retrouve ainsi, propriétaire d’une quote-part de droits indivis sur les biens qui appartenaient au défunt.

La loi prévoit qu’on peut toujours, à tout moment, sortir de l’indivision et que nul ne peut être contraint à y rester.

Mais, pendant le temps où va durer l’indivision, il a fallu que la loi organise les droits de chacun.

La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres...

Tout en respectant les droits des autres indivisaires, chaque indivisaire peut user et jouir des biens qui se trouvent en indivision. Ainsi, les coindivisaires peuvent louer les biens immobiliers indivis, en percevoir les fruits (les loyers) et assurer en contrepartie les dépenses relatives à l’exploitation de ces biens, à savoir payer les travaux nécessaires par exemple.

La loi prévoit qu’en bonne intelligence, cette organisation peut se faire à l’amiable mais, à défaut d’accord entre les parties, l’exercice de ce droit sera organisé par le juge.

Étant donné que chaque indivisaire est propriétaire d’une quote-part de droits indivis sur les biens immobiliers présents dans le patrimoine du défunt, aucun des coindivisaires ne peut s’approprier, ni l’usage, ni la jouissance d’un bien indivis.

A ce titre, la loi prévoit que : « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (article 815-9 du Code civil).

On imagine le cas dans lequel, un des coindivisaires s’est approprié un bien immobilier composant la succession, et a décidé de l’occuper à lui tout seul.

Si ce copropriétaire indivis empêche les autres coindivisaires de pouvoir occuper le bien, en changeant par exemple les serrures, on dira que cet usage est privatif.

De même, le fait d’être seul indivisaire, détenteur des clés de l’immeuble indivis et d’empêcher ainsi les autres d’en détenir, suffit à considérer qu’il y a jouissance privative. C’est précisément ce qu’a reconnu la Cour de Cassation (Cass, civ 1ère, 30 juin 2004, n°02-20.085).

Imaginons une succession qui se retrouve copropriétaire d’un ensemble de biens immobiliers dont une maison de vacances en bord de mer.

Lorsque l’entente est au beau fixe entre les copropriétaires, ils peuvent ensemble organiser les conditions et les modalités dans lesquelles, chacun pourra profiter de cette maison en l’occupant et en fixant un calendrier.

Si l’un des copropriétaires s’approprie toute l’année, l’usage de ce bien indivis, en empêchant les autres coindivisaires d’en jouir, ce copropriétaire sera redevable d’une indemnité d’occupation au profit des autres membres de l’indivision.

Comment obtenir le versement de cette indemnité d’occupation par le copropriétaire qui use privativement du bien indivis ?

On parle d’indemnité d’occupation ou d’indemnité de jouissance privative.

Pour l’obtenir, il faudra d’une part rapporter la preuve de démarches amiables effectuées en vue de la cessation de l’occupation privative, telles que des courriers adressés au copropriétaire récalcitrant.

Enfin et en cas d’échec des tentatives amiables, il faudra délivrer par voie d’avocat, une assignation auprès du tribunal compétent qui est celui du lieu d’ouverture de la succession (à savoir, le dernier domicile du défunt) à l’encontre du copropriétaire en question.

Dans cette assignation, il sera question de solliciter du juge, la condamnation de ce copropriétaire au paiement de l’indemnité d’occupation.

Comme dans toute demande en justice, il conviendra de rapporter la preuve de cette occupation privative, pour justifier la demande de condamnation du copropriétaire indivis à une indemnité d’occupation.

La preuve est libre et peut alors être rapportée par tous moyens, comme par des attestations du voisinage confirmant l’occupation privative du bien, ou encore des échanges de courriels démontrant, sans équivoque, la volonté du copropriétaire de jouir privativement du bien.

Dans quel délai faut-il agir ?

En principe, le droit au versement de cette indemnité est dû, dès lors que l’occupation privative commence.

Mais la loi restreint l’action, en l’enfermant dans un délai de prescription de cinq ans, en application de l’article 815-10 du Code civil.

Ainsi, ce délai court à compter du moment où le copropriétaire qui réclame ce paiement, a eu connaissance de l’utilisation privative du bien par le copropriétaire indivis.

Cependant, si la connaissance de cette utilisation privative date depuis plus de cinq ans, il ne sera possible de réclamer le paiement que sur les cinq dernières années écoulées.

Par exemple, vous avez connaissance d’une occupation privative d’un bien immobilier indivis qui dure depuis 1996, mais vous n’avez décidé d’agir qu’aujourd’hui en 2019. Par conséquent, il ne sera possible de réclamer le paiement de cette indemnité, qu’en considération des cinq dernières années d’occupation privative du bien, soit de 2014 à aujourd’hui.

Si l’usage privatif a débuté en 2017, et que vous décidez d’agir aujourd’hui, vous êtes dans le délai de cinq ans, et vous pouvez solliciter le paiement d’une indemnité à compter du point de départ de l’occupation privative, c’est-à-dire de 2017 à aujourd’hui.

Comment calculer le montant de l’indemnité ?

C’est le juge qui fixe le montant de cette indemnité.

Le juge va, en considération de l’usage privatif du bien qui a été effectué, tenter de calculer à quelle privation de revenus l’indivision s’est exposée.

Le juge va donc raisonner comme si le bien avait pu être mis en location pendant toute cette période et va ainsi condamner le copropriétaire occupant, au montant du loyer qui aurait pu être perçu par l’indivision, si le bien avait été loué.

Si le juge fait droit à la demande et condamne le copropriétaire au paiement d’une indemnité d’occupation, cette indemnité qui est comparable à une forme de loyer, sera versée non pas au demandeur à la procédure, mais à l’indivision toute entière. Le bénéfice sera attribué à la masse, quitte à être partagé par la suite.

Maître Pauline DARMIGNY
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