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Prescription de l’action publique : pas d’effet interruptif en cas de déplacement de l’inspecteur du travail. Par Aurélien Dumas-Montadre, Élève-avocat.
Parution : mercredi 12 juin 2019
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Le procès-verbal de constat d’infraction, document dressé par l’inspecteur du travail tel que prévu par les articles L. 8112-1 et suivants du Code du travail, est interruptif de prescription. Tel n’est pas le cas, en revanche, de la simple visite de cet agent dans les locaux d’une entreprise, soupçonnée d’infractions à la législation sociale.

L’arrêt, classé "P+B+I", présente donc un intérêt juridique certain.

Il résulte de la combinaison des articles 7 et 9 du Code de procédure pénale (applicables en 2014) qu’en matière de contravention, la prescription d’une annale court à compter "du jour où l’infraction a été commise".

L’acte interruptuif de prescription qui intervient pendant ce temps « relance » ce délai d’une année (i-e qu’il repart à zéro à compter de l’acte).

Le 26 février 2015, l’inspecteur du travail de la 3ème section de l’Unité de contrôle Loire Nord du département de la Loire s’est rendu dans les locaux de l’Eurl Atouts prestation, société employant 29 salariés.

Il y relevait des infractions de nature contraventionnelle, et notamment :
- d’avoir fait accomplir par un salarié à temps partiel des heures complémentaires sans respecter les limites fixées par l’article L. 3123-7 du Code du travail et les accords collectifs de travail applicables,
- de s’être abstenu d’accorder la majoration de salaire de 25 % pour chaque heure complémentaire accomplie au-delà du dixième de la durée stipulée dans le contrat de travail.

Suite à cela, un procès verbal constatant les infractions était dressé le 1er juin 2015 par l’inspecteur du travail.

Les faits s’étendaient sur 3 mois, pour avoir été commis entre le 1er janvier 2014 et le 31 mars 2014.

L’établissement du procès verbal par l’inspecteur du travail intervenait donc 1 an et 2 mois après le 31 mars 2014.

Si les juges considéraient la visite de l’inspecteur du travail dans les locaux de l’entreprise Atouts prestation comme un acte interruptif de prescription, alors les faits commis entre le 1er janvier 2014 et le 31 mars 2014 pouvaient faire l’objet de poursuites pénales.

Or, s’il était estimé que seul le procès verbal était un acte interruptif de prescription, alors l’action publique était éteinte.

La Cour d’appel indiquait :

« Attendu que pour écarter l’exception prise de la prescription des faits, la cour d’appel énonce que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail dans l’exercice de leurs attributions de police judiciaire, conformément aux dispositions des articles L. 611-1 et L. 611-10 du code du travail, devenus les articles L. 8112-1 et suivants dudit code, à l’effet de constater les infractions, doivent être regardés au sens de l’article 7 du code de procédure pénale, comme des actes d’instruction ou de poursuite par lesquels, en vertu de ce texte et des articles 8 et 9 du même code, se trouve interrompue la prescription ; »

Ce premier motif ne soulève pas de difficulté, s’agissant seulement d’une reformulation des textes applicables.

Le deuxième motif est plus inattendu :

« qu’elle ajoute qu’il résulte du procès-verbal établi le 1er juin 2015 que le contrôleur du travail s’est rendu le 26 février 2015 dans les locaux de la prévenue pour y constater des contraventions commises entre janvier et mars 2014, en sorte que la prescription de l’action publique est acquise pour la période du 1er janvier au 25 février 2014 ; »

La Cour considère que du 1er janvier au 25 février 2014, la prescription est acquise. Aucune poursuite ne pourra résulter des faits constatés sur cette période.

En revanche, pour la période du 26 février 2014 jusqu’au 31 mars 2014, la prescription aurait été interrompue par la visite de l’inspecteur du travail.

C’est donc sur ce point que la Cour de cassation a du se prononcer : la visite du contrôleur du travail dans l’entreprise emporte-t-elle, à elle seule, interruption de la prescription ?

La Chambre criminelle considère que seul le procès verbal de l’inspecteur du travail est un acte interruptif de prescription, et non la simple visite de celui-ci dans les locaux de l’entreprise :
« Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que le déplacement de l’inspecteur du travail dans les locaux de la société Atouts prestations n’était pas interruptif de prescription, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ; »

L’arrêt de la Cour d’appel a été cassé, et l’affaire renvoyée devant la même juridiction autrement composée.

Le nouvel article 9-2 du Code procédure pénale, en listant les actes emportant interruption de prescription, simplifie aujourd’hui cette thématique.

Lien vers l’Arrêt : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 21 mai 2019, 18-82.574.

Aurélien DUMAS-MONTADRE Avocat au Barreau de Roanne