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Loi PACTE : zoom sur les mesures sociales. Par Marie-Laure Arbez-Nicolas, Avocat.
Parution : jeudi 13 juin 2019
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La loi « Pour la croissance et la transformation des entreprises » a été adoptée à une large majorité par l’Assemblée Nationale le 11 avril 2019.

Selon les objectifs annoncés par le Ministre de l’économie, celle-ci vise à « donner aux entreprises, notamment les TPE, ETI et PME les moyens d’innover, de grandir et de créer des emplois ».

Abordant des sujets très disparates, diverses oppositions y voient un texte « illisible » de 221 articles et un enchevêtrement d’articles davantage source de complexité que de transparence.

I. Le Conseil Constitutionnel valide en grande partie la Loi PACTE.

Dans sa décision du 16 mai 2019, le Conseil Constitutionnel a validé en grande partie les articles de la Loi PACTE dont la privation d’ADP (Aéroports de Paris) contre laquelle un référendum d’initiative partagé est valablement enclenché.

Il censure 24 Articles pour des raisons de procédure et non de fond (défaut de lien avec le projet de loi initial « cavaliers ») dont les articles 213 à 215 mettant fin aux tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité. Ou encore l’article 18 qui avait pour objet de reporter de 2022 à 2025 l’interdiction de produire divers pesticides contenant des substances actives interdites au sein de l’Union Européenne pour des raisons liées à la protection de la santé.

Le Conseil Constitutionnel a validé l’essentiel du volet social de la Loi PACTE.

Le Conseil a censuré les articles suivants, pour des raisons de procédure :
- article 19 : travail en soirée dans les commerces de détail alimentaire ;
- article 191 : orientations stratégiques - dialogue conseil d’administration / CSE) ; la Loi prévoyait de remplacer un avis écrit et des réponses écrites successives par un dialogue direct ;
- article 192 : dispositions de coordination visant à tenir compte du passage du CE au CSE en matière de droit d’information préalable des salariés en cas de cession de l’entreprise.

II. La loi PACTE renferme la base de mesures très diverses.

Dans ce texte complexe et volumineux, sont traitées des questions variées dont les modalités de mise en œuvre restent à déterminer.

Celles-ci portent notamment sur :
- La facilitation de la création d’entreprise et simplification du formalisme (par la mise en place d’un guichet unique pour les formalités administratives – création d’un guichet unique d’ici le 1er Janvier 2021) ;
- La création dans un délai de 24 mois à compter de la publication de la loi d’un registre général dématérialisé des entreprises se substituant aux registres existants à l’exception notamment du répertoire national SIRENE de l’INSEE ;
- La tarification forfaitaire des annonces judiciaires et légales ;
- La suppression de l’obligation d’ouverture d’un compte bancaire professionnel pour les micro-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires est inférieur à 5.000 € HT ;
- La suppression de l’obligation de stage de préparation à l’installation pour les entreprises artisanales ;
- Le relèvement des seuils au-delà desquels le recours à un Commissaire aux comptes est obligatoire. Le décret à paraître devrait prévoir que les sociétés commerciales seront tenues de designer un CAC lorsque 2 seuils sur 3 sont dépassés : chiffre d’affaires HT de 8 millions € - Total bilan 4 millions € - Effectif supérieur ou égal à 50 salariés
- La facilitation de la liquidation d’entreprise : le champ d’application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée est étendu aux entreprises employant au maximum 5 salariés et réalisant moins de 750.000 € de CA ;
- Ajout à l’article 1833 du Code Civil de la possibilité pour les sociétés de se doter d’une « raison d’être » dans leurs statuts.
- L’obligation pour le chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale de déclarer l’activité professionnelle régulière de son conjoint dans l’entreprise et le statut de ce dernier, à défaut le conjoint du travailleur indépendant est réputé salarié.

III. La Loi PACTE comporte également des mesures RH.

A/ Modification des seuils sociaux et des règles relatives au franchissement des seuils.

Les seuils sociaux sont considérés par les organisations patronales comme un frein à l’embauche.
Ils seront désormais regroupés autour de 3 niveaux principaux : 11, 50 et 250 salariés.
La loi ajuste certains seuils soit en relevant soit en les réduisant ou encore en les supprimant.

A titre d’exemples :
- Le seuil de 20 salariés est supprimé à l’exception du cas où il déclenche des obligations liées à l’emploi des travailleurs handicapés (OETH article L.5212-1 du Code du travail) ;
- Le dispositif de prêt de main d’œuvre : pourront en bénéficier les PME dont l’effectif est de moins de 250 salariés contre au maximum 250 actuellement (Article L.8241-3 I modifié) ;
- Obligation d’établir un règlement intérieur à partir de 50 salariés au lieu de 20 actuellement ;
- Titre restaurant : suppression de la condition d’effectif de 25 salariés prévue à l’article L.3262 du Code du travail relativement à l’obligation pour l’employeur d’avoir un compte bancaire dédié au versement des fonds perçus en contrepartie de leur cession ;
- La suppression du seuil actuellement fixé à 20 salariés en dessous duquel le chef d’entreprise peut opter pour le statut du conjoint collaborateur s’il travaille dans l’entreprise (Article 121-4 II al.1 modifié du code de commerce) ;
- La participation de l’employeur à l’effort construction (contribution FNAL) : le seuil est relevé à 50 salariés (20 salariés actuellement) ;
- L’obligation de communiquer aux actionnaires les 10 ou 5 rémunérations les plus importantes de l’entreprise : seuil de 200 salariés relevé à 250 salariés ;
- L’obligation de mise à disposition d’un local de restauration : le seuil de 25 salariés devrait être porté à 50 par Décret avec introduction d’une clause dite « clause du grand-père » devant obliger les entreprises qui avaient un local de restauration avant l’adoption de la loi et qui ne seraient plus soumises à l’obligation après celle-ci, de conserver leur local ;
- La transmission dématérialisée à Pôle Emploi des attestations chômage (Art. R.1234-9 du Code du Travail) : ce seuil actuellement de 10 salariés devrait être relevé par Décret à 11 salariés.

S’agissant du local syndical, le seuil de mise en place est maintenu à 200 salariés (suppression du relèvement à 250 salariés initialement prévu par le Projet).

Concernant l’obligation de désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ; le seuil d’au moins 250 salariés est inchangé.

La loi PACTE réforme également le mode de calcul des effectifs en matière de droit du travail et de cotisations et contributions sociales.

Le décompte des effectifs tel que prévu par le Code de la Sécurité Sociale (Article L.130-1 nouveau) devient la référence et est étendu au droit du travail.

Ainsi, l’effectif salarié annuel de l’employeur correspond à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente.

Les catégories de personnes incluses dans l’effectif et les modalités de décompte devraient être définies par Décret.

Le texte prévoit un gel de 5 ans des obligations liées au franchissement d’un seuil.

En effet, le franchissement à la hausse d’un seuil d’effectif salarié ne produira d’effet que si le seuil est atteint ou franchi pendant 5 années.

Il en résulte qu’une entreprise venant à passer sous un seuil du fait d’une diminution d’effectif disposera à nouveau de 5 ans pour être soumise aux obligations attachées à ce seuil.

A contrario, un franchissement à la baisse produira ses effets dès la première année sous le seuil.
S’agissant des obligations d’établir un règlement intérieur, de fournir un local syndical, ou celles liées à la représentation du personnel (obligation de mise en place du CSE), l’effectif devrait continuer à être décompté selon les règles prévues par les Ordonnances Travail (délai de 12 mois à compter de la date à laquelle le seuil est atteint).

Ces dispositions devraient entrer en vigueur à compter du 1Er Janvier 2020, sauf exceptions prévues par la Loi.

B/ Mesures non-exhaustives visant à développer l’épargne salariale.

Création de régimes de branche d’épargne salariale.

Désormais, pour les entreprises de moins de 50 salariés : chaque branche professionnelle doit ouvrir et conclure d’ici au 31 décembre 2020 une négociation pour la mise en place d’un régime d’intéressement, de participation ou d’épargne salariale (PEI ou PERCO).
Les Entreprises de la branche pourront ainsi opter pour l’application de l’accord négocié.

Plan d’épargne salariale.

La mise en place d’un PERCO n’est plus conditionnée à l’existence d’un PEE.
L’employeur pourra procéder à un versement « unilatéral » sur le PEE même en l’absence de contribution du salarié.
Cette possibilité devra être prévue par le plan.
La Loi prévoit également la création d’un relevé de situation annuel pour chaque bénéficiaire du PEE ainsi qu’un nouveau cas de déblocage anticipé des avoirs aux achats de parts sociales d’une entreprise.
Une réduction du taux du forfait social pour certaines épargnes salariales est également prévue. Des évolutions avaient déjà été votées en ce sens dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2019.

Participation.

La mise en place d’une participation aux résultats est obligatoire dans les entreprises ou UES (unités économiques et sociales) employant au moins 50 salariés.
Le décompte des effectifs et le franchissement du seuil seront déterminés selon les nouvelles modalités légales.
L’obligation de mise en place devient donc de ce fait moins contraignante : elle ne s’applique qu’après 5 années consécutives durant lesquelles l’effectif de 50 salariés au moins est atteint.

Epargne retraite- Retraite chapeaux des Dirigeants.

La Loi amorce une réforme de l’Epargne-Retraite et habilite le Gouvernement à prendre des mesures de nature législative par voie d’ordonnance (ce qui est également le cas pour le droit des sûretés et des procédures collectives notamment).

Elle prévoit une définition générique et un cadre juridique commun des PER.

Elle entend également recadrer les retraites chapeaux.

Les retraites chapeaux s’entendent d’un dispositif financé par l’employeur limité en pratique aux dirigeants salariés ou mandataires sociaux, permettant de garantir un niveau de revenus en complément des régimes obligatoires de retraite.

La loi PACTE autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance ces dispositifs afin notamment :
- De supprimer l’obligation de présence contraignant le bénéficiaire à achever sa carrière dans l’entreprise pour percevoir ces « rentes viagères » et visant ainsi à fidéliser le haut cadre ;
- De plafonner le montant des retraites chapeaux : cette disposition faisant suite à l’actualité récente (rente annuelle 1,3M€ perçue par l’ancien Président AIRBUS) – Le Gouvernement a annoncé son souhait de plafonner à 30% du salaire des Dirigeants le montant maximum de la retraite chapeau, ainsi qu’à interdire son cumul avec l’indemnité de la clause de non-concurrence.

C/ Renforcement de la représentation des salariés au Conseil d’administration ou de surveillance.

Les conseils d’administration ou de surveillance de Sociétés de plus de 1000 salariés en France (filiales comprises) ou 5.000 salariés en France et à l’étranger (filiales comprises) devront compter deux administrateurs salariés à compter de 8 administrateurs non-salariés (au lieu de 12 actuellement).

La Loi renforce la formation pouvant être sollicitée notamment par les représentants des salariés au des conseil d’administration et de surveillance, et les représentants des salariés actionnaires au sein des sociétés cotées.

En l’état du droit, la Loi reste inachevée et continue de susciter de nombreuses questions et protestations.

IV. Position du Conseil National des Barreaux.

Il est à noter qu’aux termes d’une résolution du 13 avril 2019, le Conseil National des Barreaux (CNB) a condamné « une atteinte d’une ampleur sans précédent au périmètre du droit ». Le CNB dénonce les articles 21 et 23 de la Loi PACTE autorisant les commissaires aux comptes à délivrer des prestations de Conseil juridique aux Entreprises en-dehors d’une mission légale d’audit.

Autrement dit, la loi PACTE remet en cause la règlemention selon laquelle les professionnels amenés à délivrer des avis juridiques sans être avocats peuvent le faire à condition que la prestation soit l’accessoire d’une prestation principale relevant de leur compétence.

Marie-Laure ARBEZ-NICOLAS Avocat en Droit Social