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Permis de construire modificatif et intérêt à agir du requérant, exemples d’application. Par Alexandre Chevallier, Avocat.
Parution : lundi 17 juin 2019
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Il peut arriver qu’un requérant engage un recours contentieux à l’encontre d’un permis de construire modificatif sans avoir préalablement engagé de recours contentieux contre le permis de construire initial.

Dans cette hypothèse, l’intérêt donnant qualité à agir au requérant engageant un recours contentieux en annulation à l’encontre d’un permis de construire modificatif doit être apprécié au regard de la portée des modifications du projet et non pas au regard de du permis de construire initial.

Cette condition étant effectivement limitée aux cas dans lesquels le permis de construire initial n’a pas fait l’objet d’un recours contentieux par ce même requérant.

L’intérêt donnant qualité à agir à l’encontre d’un permis de construire modificatif répond à deux conditions cumulatives d’appréciation par le juge administratif.

En voici leur substance.

1ère condition, une absence de recours contentieux à l’encontre du permis de construire initial.

En premier lieu, je juge administratif va devoir vérifier si l’auteur du recours contentieux à l’encontre du permis de construire modificatif a préalablement engagé un recours contentieux à l’encontre du permis de construire initial.

Si effectivement le requérant a préalablement engagé un recours contentieux à l’encontre du permis de construire initial, alors son intérêt lui donnant qualité à agir à l’encontre du permis de construire modificatif sera apprécié au regard de l’entier dossier, à savoir tant par rapport au dossier de permis de construire initial qu’à celui du permis de construire modificatif.

A l’inverse, si le juge administratif s’aperçoit qu’aucun recours contentieux n’a été engagé contre le permis de construire initial, alors va s’appliquer la seconde condition d’appréciation en la matière.

Subtilité par ailleurs, dans l’hypothèse où le requérant aurait engagé un recours contre un permis de construire initial, mais que son recours a été rejeté comme irrecevable par une décision définitive du tribunal, il a été considéré par le Tribunal administratif de Lille le 26 avril 2018 que cette première condition devait tout de même être retenue (TA Lille, 26 avr. 2018, n° 1509978).

2ème condition, un intérêt à agir apprécié uniquement au regard des portées des modifications du permis de construire modificatif.

Dans cette hypothèse, c’est-à-dire celle où le requérant n’engage un recours contentieux qu’à l’encontre du permis de construire modificatif, son intérêt à agir sera uniquement apprécié en contemplation des portées des modifications du dossier du permis de construire modificatif (CE, 17 mars 2.017 M et Mme D, n°396362).

C’est donc exclusivement à la lumière du dossier de permis de construire modificatif que le requérant devra démontrer « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés » que les travaux prévus et les modifications attaquées portent atteinte directement aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien immobilier. Étant précisé « qu’eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction  ; » (CE, 13 avr. 2016, n°389798, publié au recueil Lebon ; CE, 2e ch., 27 mars 2017, n°399585, Inédit au recueil Lebon).

Exemples d’affaires dans lesquelles les requérants n’ont pas justifié de leur intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire modificatif.

Pour illustration du défaut d’intérêt à agir du requérant contre un permis de construire modificatif, le Conseil d’Etat à jugé le 8 novembre 2017 que la suppression de plusieurs pare-vues en verre sablé figurant sur les plans de niveau et non sur le plan de la façade, suppression étant destinée à rectifier une erreur matérielle relevée sur les plans du permis de construire initial, n’a pas pour objet de faire évoluer l’aspect du bâtiment construit et son impact sur le voisinage immédiat.

En conséquence le requérant ne justifiait pas d’un intérêt à agir contre ce permis modificatif (CE 1e ch., 8 nov. 2017, n°403866, Inédit au recueil Lebon).

Quant à elle, la Cour administrative d’appel de Marseille a statué le 4 avril 2018 au défaut d’intérêt à agir dès lors que le permis de construire modificatif attaqué ne portait que sur la modification du raccordement au réseau d’assainissement public de la construction initialement autorisée, située à proximité immédiate de la propriété des requérants (CAA Marseille, 1re ch., 4 avr. 2018, n° 17MA00132).

Aussi, la Cour administrative d’appel de Nancy a déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, la requête de demandeurs propriétaires de terrains situés à 600 mètres et 1.500 mètres du projet, mais séparées dudit projet par des espaces densément urbanisés, et propriétaire de terrains proximité du projet.

Pourtant, les modifications par le permis de construire modificatif consistaient en la suppression des sous-sols, l’augmentation des niveaux du rez-de-chaussée sans augmentation de la hauteur de la construction en question, la création d’une rampe permettant l’accès des personnes handicapées, la création d’un vide sanitaire, la modification de la hauteur des corniches, l’aménagement de trois parcs à vélos comportant un total de 258 places, la suppression des socles de la clôture et réaménagement en espaces verts des 10% de la totalité du terrain.

La Cour a considéré qu’aucun d’entre eux ne justifiait d’un intérêt à agir compte tenu que la création de parcs de vélos permettait d’atténuer les difficultés de stationnement résultant selon l’un de requérant du projet initial (CAA Nancy, 1e ch., 20 juill. 2017, n° 16NC02008).

Dans une autre affaire, la Cour administrative de Bordeaux, le 27 août 2018 a rejeté la requête des requérants pour défaut d’intérêt à agir, au sujet d’un dossier de demande de permis de construire modificatif ayant seulement pour objet d’autoriser quelques modifications mineures au projet initial (CAA Bordeaux, 27 août 2018, n° 18BX02579).

Enfin, le tribunal administratif de Lille a jugé que le permis de construire modificatif en litige, n’autorisant que le changement des couleurs d’une station de lavage préexistante, la création de puits de lumière, la désignation des arbres à planter et la création de deux places de stationnement supplémentaires, eu égard à la portée de ces modifications, qui ne sont pas de nature à modifier de façon notable le trafic routier susceptible de découler du projet litigieux, et alors au demeurant que l’accroissement allégué de la circulation routière n’est pas établi compte tenu de la dimension de ce projet et de la configuration des lieux, la requérante ne justifiait pas d’un intérêt suffisant qui lui donnerait intérêt à agir pour contester les modifications apportées par ledit permis de construire modificatif (TA Lille, 26 avr. 2018, n° 1509978).

Exemples d’affaires dans lesquelles les requérants ont justifié de leur intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire modificatif.

A contrario, il a été jugé que des travaux tels que la modification des façades et du garage ainsi que la création d’une surface de plancher de 15 mètres carrés, d’un garage en rez-de-chaussée de 137 mètres carrés et d’un nouvel accès pour les voitures donnait intérêt à agir au requérant dont la maison individuelle est située à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet (CE, 17 mars 2017 M et Mme D, n°396362).

Enfin, le tribunal administratif de Poitiers a considéré pour un dossier de permis de construire modificatif comportant la création sur une façade situés à 7 mètres 10 de la limite séparative, deux fenêtres en rez-de-chaussée et deux fenêtres à l’étage, sur une partie de la façade située à 3 mètres de la limite séparative, une fenêtre en rez-de-chaussée et une baie vitrée verticale à l’étage donnant sur un toit plat auquel l’accès interdit sauf pour entretien, que le requérant ne disposait pas d’un intérêt à agir.

Le tribunal justifie sa décision par le fait que le projet initial comportait déjà la création de plusieurs vues sur le terrain du requérant et que les ouvertures nouvellement autorisées ne sont pas de nature à modifier l’importance des vues créées puisque la première est située au rez-de-chaussée et que la seconde a des dimensions modestes, se trouve à plus de 7 mètres de la limite séparative, remplace une fenêtre antérieurement située en rez-de-chaussée.

En outre, le permis de construire modificatif a parallèlement pour effet de diminuer les vues susceptibles d’être créées par le projet puisqu’il prévoit une prescription interdisant l’accès au toit plat donnant sur la propriété du requérant (TA Poitiers, 7 juin 2018, n° 1700640).

En conclusions, l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant attaquant uniquement un permis de construire modificatif est lui aussi strictement apprécié par je juge administratif, qui n’hésite pas à rejeter la requête comme irrecevable dès lors qu’il n’est pas scrupuleusement justifié des atteintes portées notamment à l’utilisation du bien en question ou qu’il n’est pas apporté d’éléments précis relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction attaqué.

Alexandre CHEVALLIER Avocat au Barreau de Paris Equitéo Avocat a.chevallier@equiteo.fr www.equiteoavocat.fr