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Paul-Matthieu Grondin, Bâtonnier du Québec, poursuit sa "révolution douce".
Parution : mardi 9 juillet 2019
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Depuis juin 2017, Paul-Matthieu Grondin occupe le poste de Bâtonnier à la tête du Barreau du Québec, qui compte près de 27.500 avocats. Après un premier mandat de deux ans, il a été réélu à cette fonction par acclamation, le 26 mars 2019, pour un second et dernier mandat. Un poste à temps complet, équivalent à la Présidence du CNB en France (Voir en note les explications sur l’organisation ordinale du Québec [1]).
Le Village de la Justice a eu envie d’en savoir un peu plus sur le fonctionnement ordinal et politique d’un barreau à l’échelle d’un pays francophone.

Village de la justice : Pouvez-vous pour commencer nous donner quelques explications sur le fonctionnement de votre barreau, et l’importance de votre fonction sur un plan politique et médiatique ?

Paul-Matthieu Grondin : "Le Barreau du Québec est l’un des 46 ordres professionnels québécois. Responsables de l’application de divers mécanismes de protection du public, les ordres sont les intervenants de première ligne de notre système professionnel.

Institution importante du paysage juridique québécois, le Barreau du Québec constitue l’un des plus anciens ordres professionnels de la province (avec ceux des notaires et des médecins).

Le Barreau règlemente et surveille les activités professionnelles des avocats. En vertu du Code des professions, sa mission première est d’assurer la protection du public par le contrôle de l’exercice de la profession.

Il veille également à l’amélioration et au maintien des connaissances et des compétences des avocats.

Enfin, il met l’expertise juridique de ses membres au profit de la société et de l’intérêt public, notamment en faisant la promotion de la primauté du droit et en formulant publiquement les commentaires de l’institution sur les projets de loi soumis par le législateur.

Le bâtonnier du Québec quant à lui est le président du Barreau. Il est élu au suffrage universel des membres de l’Ordre pour une durée de deux ans et peut être renouvelé une seule fois. Je viens pour ma part de débuter mon second mandat.

Le bâtonnier du Québec et l’institution qu’il représente, le Barreau du Québec, n’ont pas de rôle politique à jouer sur la scène québécoise. Au contraire, dans le poste qu’il occupe, le bâtonnier se doit de veiller à la neutralité politique de l’institution.

Le Bâtonnier se doit de veiller à la neutralité politique de l’institution.

Certes, il arrive que des actions du Barreau soient attendues par la classe politique. Mais à cet égard, il importe de distinguer entre le rôle sociétal que le Barreau est en mesure de tenir et la perception de son image publique. Ainsi, lorsque le Barreau du Québec produit un mémoire sur un projet de loi à l’étude et qu’il fait des représentations officielles en commission parlementaire pour partager ses commentaires, il le fait essentiellement dans la perspective de défendre et de protéger la primauté du droit, de même que pour éclairer la réflexion collective et permettre au législateur et aux citoyens de mieux comprendre les enjeux en cause ou à protéger au sein de notre société de droit.

De ce point de vue, il est donc possible de dire que le Barreau a une certaine influence et un rayonnement public."

C’est votre 2ème mandat, pourquoi avoir eu envie de vous représenter ?

"J’ai été élu pour la première fois au bâtonnat en 2017 en proposant une « révolution tranquille » au Barreau : totale transparence de l’Ordre, gratuité de la formation continue pour les membres, baisse significative du salaire du bâtonnier, diminution de la cotisation des membres et création d’une association provinciale de défense des intérêts des avocats entre autres.

La révolution tranquille ou savoir mettre le temps pour bien faire les choses.

Plusieurs de ces projets ont été réalisés ou sont en voie de l’être, mais, comme pour toute révolution tranquille, il faut savoir mettre le temps pour bien faire les choses. La structure de gouvernance du Barreau me permettant de briguer un second mandat, j’ai décidé de profiter de cette position pour poursuivre cette douce révolution..."

Quels chantiers souhaitez-vous particulièrement voir aboutir et quelles sont vos priorités ?

"« Chantiers » est bien le mot qu’il convient d’utiliser pour les priorités de ce second mandat comme bâtonnier !

Pour ce nouveau mandat, mes principaux objectifs sont les suivants :
- Valoriser la profession : à chaque fois que le Barreau du Québec complète un exercice de planification stratégique, la demande la plus pressante de ses membres vise la valorisation de la profession. Certes, la mission première de l’Ordre est la protection du public, mais je crois cependant qu’il faut inclure un volet de promotion de la qualité des services professionnels rendus par les avocats.

L’avocat doit se rapprocher du public, démentir l’image du « requin-prospère ».

J’entends aussi faire preuve d’audace pour expliquer la réalité des avocats et leur rôle essentiel. Les citoyens se présentent de plus en plus seuls devant la Cour et cela représente une difficulté pour le système de justice. Ainsi, l’avocat doit se rapprocher du public, démentir l’image du « requin-prospère ». Je souhaite axer les campagnes institutionnelles du Barreau sur la proximité des avocats et des citoyens, ainsi que sur les implications des avocats dans toutes les sphères de la société.

- Inclure la santé mentale et psychologique dans la formation obligatoire : le stress et les obligations inhérentes à l’exercice de la profession conduisent plusieurs avocats à solliciter de l’aide auprès du Programme d’Aide aux Membres du Barreau du Québec (PAMBA). Il s’agit là d’un pas difficile à franchir, mais important. Afin d’aider celles et ceux qui hésitent encore à s’adresser au PAMBA lorsqu’ils en ont besoin, je souhaite proposer que l’une des trente heures obligatoires de formation continue relève du thème de la santé mentale et psychologique. Le Barreau du Québec, par ailleurs, est en train de sonder la profession relativement à la question du harcèlement sexuel en milieu de travail.

- Innover : il existe indéniablement en droit des obstacles réglementaires à l’innovation. L’Autorité des marchés financiers (AMF) est vue au Canada comme un exemple quant à la pratique du « carré de sable ». Il s’agit d’une approche lui permettant d’offrir à des entreprises innovantes des services dans son propre cadre, taillé sur mesure (ce fameux « carré de sable »), un peu à l’instar d’un projet pilote.

Le Barreau du Québec a l’intention de demander au gouvernement de favoriser la possibilité de tels « carrés de sable » pour les legaltechs.

- Créer un « Conseil des sections jeunes », tenu en marge du Conseil des sections.
Il est possible que le Québec se retrouve avec cinq bâtonniers ou bâtonnières de sections de moins de 40 ans lors de la prochaine édition du Conseil des sections [2]. Cela témoigne d’un intérêt renouvelé de la relève pour ses institutions. Les jeunes barreaux constituent un excellent parcours pour former la relève. Il est important de les impliquer encore davantage dans les rouages du Barreau, pour mieux les former à prendre la relève.

- Signer l’Accord de libre circulation nationale de 2013 : je suis fermement convaincu qu’il doit être possible pour un avocat du Québec de pratiquer dans le reste du Canada selon un concept « permis sur permis ». L’Accord de libre circulation nationale, rédigé depuis 2013, doit être entériné, et j’entends faire le nécessaire pour cela.

- Mener une réflexion sur les cliniques juridiques étudiantes : depuis deux ans environ, des étudiants et des doyens de facultés de droit du Québec réclament de pouvoir prodiguer des conseils juridiques, avec un encadrement serré, à l’instar de leurs collègues étudiants du reste du Canada. De nombreux détails doivent être résolus pour pouvoir avancer : par exemple, qui assumera la responsabilité professionnelle des étudiants ? De quelle façon seront-ils encadrés ? Dans quel cadre ou sur quels sujets pourront-ils donner une opinion juridique au lieu d’une simple information ? Ici, on ne peut faire l’économie de ces questions importantes. Les réponses doivent être satisfaisantes de façon à protéger le public au Québec.

- Réformer la procédure civile : depuis plusieurs années, les tribunaux civils du Québec font état d’une diminution du nombre de dossiers ouverts. Simultanément, on constate que chacun des dossiers ouvert prend davantage de temps à cheminer. On sait aussi que les processus de règlements à l’amiable ne se produisent très souvent qu’à la veille du procès.

Ces constats représentent des opportunités selon moi. J’estime qu’on doit pouvoir rendre des services à davantage de clients, à moindres coûts. Voilà qui rendrait la justice plus accessible à la classe moyenne. Pour résoudre cette équation, il n’y a qu’une variable à transformer : le temps de cheminement nécessaire à chaque dossier avant d’en arriver à une décision ou à un règlement à l’amiable. Une nouvelle réforme de la procédure civile devrait donc être guidée par la modification de cette variable, quitte à favoriser une justice moins détaillée. Les juges sont bien formés et compétents, et il faut être confiant dans leur capacité de rendre des jugements éclairés et pertinents, même en éliminant des étapes de procédure.

Pour rendre une justice accessible, il faudra faire l’économie de détails, et laisser tomber la quête absolue de perfection.

Je suis également convaincu de l’aptitude des membres du Barreau à évoluer dans un tel environnement ! Si nous voulons rendre une justice accessible, il faudra faire l’économie de détails, quitte à laisser tomber la quête absolue de perfection. Il est temps de réformer et de simplifier notre procédure civile encore une fois, suivant des constats simples ! Il faut moins de précision et plus de décisions !

- Réclamer l’amélioration des tarifs de mandats d’aide juridique et de médiation, qui sont
dérisoires : le Barreau du Québec a fait maintes représentations dans le dossier des tarifs de l’aide juridique et entend continuer à le faire. En effet, les tarifs consentis par l’État québécois aux avocats de pratique privée qui acceptent des mandats de l’aide juridique, demeurent trop bas. "

Quelles sont les relations de votre Barreau avec les autres pays, notamment la France ?

"Les relations du Barreau avec ses vis-à-vis français ou d’autres pays ont toujours été très cordiales. Avec la France, quelques traditions de longue date méritent mention : notamment, les "Entretiens Jacques-Cartier" [3] qui, depuis plus de trente ans, ont lieu en alternance au Québec et en France, et la rentrée des tribunaux au Québec et en France."

Concernant les legaltech et le tournant numérique de la profession : où en sont-ils au Québec ; les avocats font-ils preuve de réticence sur le sujet, et quelle est la position de l’Ordre ?

Si le Barreau suit avec attention les legaltech, il ne tiendra pas un rôle de développeur de celles-ci.

"Le Barreau du Québec suit avec grande attention les développements des legaltech et de l’intelligence artificielle. L’Ordre a même tenu dernièrement sa « Journée du Barreau » annuelle sur le thème de l’IA. Chose certaine cependant, le Barreau du Québec ne tient pas et ne tiendra pas un rôle de « développeur » en cette matière.

En tant qu’ordre professionnel, son rôle consiste à réfléchir sur la façon dont il pourra - et devra - encadrer la prestation des services juridiques. Cette réflexion, le Barreau du Québec l’a amorcée. Les dix prochaines années seront déterminantes pour le futur de la pratique et risquent d’apporter des changements considérables." [4]

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Ne pas confondre Barreau DU Québec et Barreau DE Québec !

Ce sont en effet des entités fort différentes !

Le premier est l’ordre professionnel de l’ensemble des 27.500 avocats du Québec. Sans permis d’exercice dûment obtenu du Barreau du Québec, nul ne peut exercer le droit au Québec. En tant qu’ordre professionnel, sa mission première est la protection du public.

Le second est le barreau de section pour la région administrative de Québec. Sa mission est de défendre les intérêts de ses membres.

Les barreaux de section sont indépendants. Chacun a son bâtonnier, son premier conseiller, son conseil d’administration et son assemblée générale annuelle, de même que ses propres activités qui se veulent similaires, complémentaires ou différentes de celles du Barreau du Québec, selon l’expression de la volonté de leurs membres. Tous les avocats du Québec sont membres à la fois du Barreau du Québec et d’un barreau de section.

Le territoire québécois est divisé en 15 barreaux de section. Il n’y a pas, au Québec, de barreau « de ville ». Cependant, Montréal et Québec sont considérées comme des régions administratives en raison de la densité de leur population en regard des autres régions.

[2Le Conseil des sections rassemble le Barreau du Québec et ses 15 sections (un bâtonnier par section).

[4Sur la question, le bâtonnier Grondin vous renvoie d’ailleurs à son Propos dans le Journal du Barreau.