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De la plaidoirie de l’avocat : billet d’humeur. Par Alain Hervieu, Avocat.
Parution : mardi 18 juin 2019
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Qu’est devenue en 2019 la plaidoirie de l’avocat ? Après avoir été pendant plus de deux mille ans, sa raison d’être et son moyen d’expression pour la défense de ses clients, la plaidoirie de l’avocat a-t-elle conservé aujourd’hui son importance ?

La plaidoirie a été de tout temps, la quintessence de la profession d’avocat. Quel futur jeune avocat n’a rêvé et sans doute appréhendé de plaider ? Les avocats que l’on qualifie de « ténors du barreau », le seraient-ils si ce n’était en raison de leurs plaidoiries ?

De tout temps, les avocats qui ont laissé leur nom à la postérité ont été connus par leurs brillantes plaidoiries, que l’on remonte à Cicéron il y a plus de 2000 ans, ou à René Floriot après la seconde guerre mondiale, en passant par Raymond de Sèze, l’un des défenseurs de Louis XVI, ou Clemenceau, avocat de Zola lors de l’affaire Dreyfus.

Plus récemment, l’auteur se rappelle, alors qu’il était dans les années 70/80, jeune stagiaire à une audience du tribunal d’instance où de jeunes collaborateurs « déposaient » des dossiers de loyers impayés, entendre un bâtonnier présent, les critiquer en disant : « Le dépôt de dossier est la négation même de la profession d’avocat. »

Il est vrai qu’avant la réforme de 1971, à l’époque où coexistaient devant le Tribunal deux auxiliaires de justice, l’on disait que l’avoué postulait et concluait alors que l’avocat consultait et plaidait. Ceci montre clairement qu’au moins dans les procédures avec représentation obligatoire, le rôle de l’avocat dans le procès était, en tout cas en théorie, purement verbal, en plaidant à l’audience, plaidoirie qui était donc essentielle.

Même après 1971, la plaidoirie est restée une phase importante du procès dans laquelle l’avocat jouait pleinement à l’audience son rôle de défenseur.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le présent billet d’humeur a pour origine la relation d’une jeune consœur racontant qu’elle avait fait un déplacement de 700 kms, pour plaider un renvoi de cassation dans un dossier qui portait sur quelques dizaines de milliers d’euros et qui avait donné lieu de part et d’autre à environ une cinquantaine de pages de conclusions dans une procédure théoriquement orale.

En arrivant à l’audience, elle s’était, comme son adversaire, entendue dire par le président, la phrase aujourd’hui bien connue des avocats : « Vous avez dix minutes », injonction à laquelle elle avait bien sur obtempéré pour ne pas risquer de se voir couper dans ses développements.

Quelle frustration, quel gâchis de temps et d’argent !

Mais, cet exemple ne fait qu’illustrer la situation que rencontrent aujourd’hui les avocats sinon systématiquement, du moins fréquemment.

Aux audiences aujourd’hui, l’intervention de l’avocat peut se traduire soit par un dépôt pur et simple du dossier, soit par un dépôt avec de brèves observations, tous deux généralement à la satisfaction du juge, soit par une plaidoirie généralement enfermée dans un délai de temps n’excédant pas le plus souvent dix à quinze minutes.

Ce n’est finalement que devant les juridictions répressives que la plaidoirie a pu conserver son intégrité, soit devant le Tribunal correctionnel parce que le juge rend encore souvent sa décision sur le siège et qu’il n’est donc pas d’usage de conclure, ou encore devant la Cour d’Assises devant laquelle la procédure est purement orale. C’est sans doute la raison pour laquelle les avocats connus du public sont tous des pénalistes.

De même, devant les juridictions constituées de magistrats non professionnels, la plaidoirie conserve son rôle et sa place, du moins dans la mesure où les exigences du rôle le permettent, sans doute parce que ces magistrats non juristes sont plus réceptifs à la parole qu’à l’écrit.

La plaidoirie est selon la définition du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), « l’exposé oral effectué à l’audience devant les juges par un avocat, chargé d’expliquer les faits et de soutenir les droits et prétentions de son client ». On pourrait ajouter une précision essentielle : « dans le but d’emporter la conviction du Juge ».

La plaidoirie, qu’elle corresponde à un argumentaire oral complet ou qu’elle ne soit qu’une synthèse du dossier, constitue toujours de la part de son auteur une véritable performance intellectuelle, sans doute facilitée par l’habitude et plus ou moins réussie, mais néanmoins incontestable.

En l’état actuel d’abord, l’une des difficultés pour l’avocat est qu’il ne sait pratiquement jamais à l’avance, surtout s’il ne connaît pas la juridiction, « à quelle sauce » sa prestation va être sollicitée et appréciée.

Il est donc obligé, s’il ne veut pas être pris de court, de préparer les deux, ce qui constitue là encore, une perte de temps et d’énergie, avec en plus, si la version courte est retenue, la frustration d’avoir revu le dossier à fond pour rien.

En effet, un dossier pour plaider ne se prépare pas de la même façon selon que le juge accordera à l’avocat dix minutes ou lui laissera le temps nécessaire à une explication complète, qui exige une préparation plus approfondie, qui se révèle donc malheureusement, souvent inutile.

Rappelons en outre au passage, que lorsque ses clients sont présents, l’avocat quelque soit la qualité et la longueur de sa plaidoirie, se verra toujours reprocher d’avoir oublié voire insuffisamment insisté sur tel ou tel détail qu’il n’a fait qu’évoquer en raison de la nécessité où il s’est trouvé de faire des choix en raison du temps qui lui était accordé.

Surtout, il faut souligner que la « plaidoirie synthèse » peut le plus souvent être considérée comme inutile et dénuée d’intérêt.

En effet lorsque l’on sait que le sort d’un dossier dépend le plus souvent d’un détail, et que les points de détail abondent dans ce dossier, de sorte qu’il est hors de question de pouvoir les aborder tous en dix ou quinze minutes, on ne peut que considérer l’inutilité voire le danger de cette « plaidoirie » qui en vérité n’en est plus une.

Alors que la plaidoirie a théoriquement pour objet de permettre au Juge de se forger une conviction qu’il confirmera ou infirmera à la lecture du dossier, des écritures et des pièces, nul ne peut prétendre que la synthèse verbale, aujourd’hui qualifiée plaidoirie, réponde à cet objectif car il est évident que le juge, à qui l’on n’a fait qu’exposer superficiellement l’essentiel d’un dossier en quelques minutes, ne peut se faire une conviction sur le bien fondé ou non de celui-ci, et c’est heureux…

Tout au plus ce type de « plaidoirie » permet-il de présenter le dossier, que le juge étudiera ensuite pendant son délibéré.

On peut alors s’interroger sérieusement sur son utilité ou son inutilité.

On peut sans doute considérer que le plus souvent, il vaut mieux en effet une absence totale de plaidoirie qui oblige le juge à examiner le dossier sans a priori, plutôt qu’une présentation schématisée, qui, au pire, risque de lui en donner une idée tronquée ou inexacte.

Encore faut-il que l’avocat ose déposer son dossier, sans plaider ce qui ne peut se faire en pratique que si l’adversaire accepte de faire de même, ce qui n’est pas évident, tant l’idée reste ancrée que le dépôt est valable pour les mauvais dossiers que l’on n’a pas envie de plaider, et tant l’avocat reste pour des raisons bien compréhensibles, attaché à la plaidoirie.

Pourtant, n’ayons pas peur des mots : cette forme de plaidoirie synthèse n’est en fait qu’une hypocrisie convenue entre juges et avocats, destinée à sauvegarder une certaine image de la justice qui ne correspond plus à la réalité actuelle.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Outre des raisons qui tiennent aux nécessités du service de la justice, à l’inflation du contentieux ou autres, cette situation semble résulter largement de la coexistence entre l’oral et l’écrit.

Certes, les plaidoiries de Cicéron étaient écrites, sinon elles ne seraient pas passées à la postérité et nous n’en n’aurions pas connaissance, mais il semble qu’elles aient été écrites a posteriori. De même, sous l’ancien régime, les plaidoiries étaient, semble t’il, rédigées par écrit, mais le juge n’en n’avait pas connaissance.

Dans notre procédure, la plaidoirie coexiste le plus souvent avec les conclusions écrites remises au juge, généralement à l’avance.

La difficulté est alors que la plaidoirie pour justifier son existence doit apporter quelque chose aux conclusions écrites.

Il y a quelques décennies, si l’on plaidait complètement, voire longuement, en revanche, on concluait sobrement souvent en quelques pages et la plaidoirie avait donc toute son utilité.

On remettait au juge à l’issue des débats, un dossier de plaidoirie comportant outre les pièces, quelques notes, souvent manuscrites et établies par l’avocat en préparant son dossier.

Aujourd’hui, en raison peut être de l’évolution des technologies, de l’usage de l’ordinateur et du dictaphone, les conclusions ont singulièrement enflé, étant ajouté que cette inflation a été encouragée sinon imposée également par les réformes des règles de la procédure.

Avec de telles conclusions et de tels moyens techniques, l’habitude s’est prise de préparer ses dossiers de plaidoirie en utilisant la technique du copier/coller, de sorte que même si l’on ne la lit pas, la plaidoirie n’est le plus souvent que la reprise verbale des conclusions, auxquelles elle n’ajoute généralement guère.

Comment dès lors s’étonner que les juges considèrent que le temps passé à l’audience est du temps inutile et qu’ils tendent à le réduire ?

Cela est encore plus vrai pour l’avocat, qui outre le temps d’une plaidoirie inutile et frustrante, perd également le temps de déplacement et celui d’attente aux audiences dont on sait tous qu’il est loin d’être négligeable.

En présence de cette situation, que peut-on envisager de faire pour sinon, y remédier du moins l’améliorer ?

Il serait en effet totalement irréaliste d’envisager ou de demander un retour en arrière. On ne peut donc que prendre acte de la situation existante pour s’en accommoder en essayant toutefois d’en limiter les défauts et inconvénients.

Sans avoir la prétention d’être exhaustif, qu’il nous soit simplement permis pour clore ce billet d’humeur d’évoquer quelques pistes.

Ainsi, par exemple, le déroulement de l’audience à cet égard dépendant de chaque juge, il serait tout à fait opportun que chacun, avant l’audience, informe les avocats du type de plaidoirie qu’il attend, éventuellement par la simple mention sur la convocation à l’audience ou l’avis de fixation pour plaider, du délai d’explications accordé à chacun, libre à celui-ci ensuite d’en tirer ses propres conclusions et de se préparer en conséquence.

Ensuite, dans le cadre de plaidoiries de courte durée et partant du postulat que le juge a déjà pris connaissance du dossier, on pourrait tout à fait envisager comme cela se pratique devant quelques juridictions, une plaidoirie par observations, consistant à répondre aux questions du juge pour éclairer le dossier sur tel ou tel point.

Allant plus loin, en abandonnant le caractère suranné de la plaidoirie monologue, ne pourrait on envisager d’instaurer à l’audience un dialogue sur tel ou tel point délicat du dossier entre le magistrat et les avocats, qui serait vraiment utile ?

Ce système aurait l’avantage d’éviter l’inconvénient que nous avons tous rencontré du jugement dont le sens résulte d’un point de détail, qui était "dans le débat", mais dont aucun des deux avocats n’a spécialement parlé en plaidant.

Enfin, dans le cadre des « plaidoiries synthèses », demandées par le Juge, ne pourrait-on pas aller jusqu’à en dispenser l’avocat, sauf s’il souhaite s’expliquer, voire même le dispenser d’être présent à une audience à laquelle il sait qu’il n’apportera rien ?

Ces propos peuvent choquer. Ils n’ont pourtant pas d’autre but que de faire prendre conscience d’une réalité que nous connaissons tous, même si nous préférons par pudeur ou par hypocrisie, n’en rien dire.

Pourtant, l’admettre et en parler constituerait le meilleur moyen d’améliorer cette situation, qui, au vrai, n’est sans doute satisfaisante pour personne.

Alain HERVIEU Avocat
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