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Le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre juge le barème Macron conforme aux conventions internationales ! Par Jennifer Zig, Avocat.
Parution : mercredi 19 juin 2019
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Le mois de septembre 2017 a vu l’entrée en vigueur des ordonnances dites « Macron ».
Une ordonnance en particulier cristallise les critiques et le contentieux actuel, l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui a mis en place un barème plafonnant les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail.

Le précédent barème fixé par décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016 portant fixation du référentiel indicatif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-1 du code du travail ne s’imposait pas au juge, or l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 prévoit que dans le cas d’un contentieux prud’homal, lorsque les juges reconnaissent qu’un licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, les dommages et intérêts versés au salarié par son employeur sont plafonnés.

Ce nouveau barème impératif est toutefois écarté dans l’hypothèse notamment où la nullité du licenciement serait prononcée (harcèlement moral, discrimination …)

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la validité de ce barème dans une décision du 21 mars 2018 (décision n°2018-761 du 21 Mars 2018) et il s’applique à tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017.

Pour autant, la doctrine et les juges du fond ont une interprétation discordante sur la conventionnalité de ce barème.

Le Syndicat des Avocats de France (SAF) et de nombreux plaideurs défendent une position sur l’inconventionnalité.

Néanmoins, pour l’heure, les Conseils de prud’hommes rendent des décisions aux positions contraires, ce qui est source d’incertitude juridique.

Ainsi, le Conseil de prud’hommes du Mans, dans un jugement du 29 septembre 2018 (CPH du Mans 29 septembre 2018 RG n°F17/00538), tout comme le Conseil de prud’hommes de Caen (CPH Caen 18 décembre 2018, n° 17/00193), ont jugé le barème conforme aux conventions internationales.

Toutefois, cette position a été contredite par le Conseil de Prud’hommes de Troyes (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036) qui considère que le barème d’indemnité viole l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT ainsi que l’article 24 de la charte sociale européenne.

Par la suite, les Conseils de prud’hommes de Paris (CPH de Paris, 22 novembre 2018, RG n° 18/00964), d’Amiens (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040), de Lyon (CPH de Lyon, 22 janvier 2019, n° 18/00458, CPH Lyon 21 décembre 2018, RG F 18/01238), d’ Agen (CPH d’Agen 5 février 2019, n° 18/00049), de Bordeaux et de Grenoble ont refusé également de faire application du barème légal, le jugeant non conforme aux règles internationales.

Cette inconventionnalité serait fondée sur le fait que, le barème visé à l’article L. 1235-3 du Code du travail ne permet pas d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

En outre, le barème ne serait pas assez dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier un salarié sans cause réelle et sérieuse. L’article 1235-3 du Code du travail serait ainsi en incohérence avec une décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS), ayant jugé que la loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à ce texte (CEDS, 8 déc. 2016, finnish society of social rights c/ finlande, réclamation no 106/2014).

Enfin, le barème serait inéquitable, car il ne viserait qu’à sécuriser les fautifs au détriment des victimes.

Or, dans un jugement du 14 mai 2019 RG 18/00194 la formation de départage du Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre a reconnu la conventionnalité du plafonnement prévu par l’article L1235-3 du Code du travail.

En l’espèce :

Un salarié a été embauché en juin 2017 en CDI en qualité de chauffeur poids lourd.
Par un courrier en date du 3 octobre 2017, le salarié prenait acte de la rupture de son contrat de travail au torts exclusifs de son employeur notamment pour le non-paiement d’heures supplémentaires.

Outre des demandes au titre des heures supplémentaires et diverses demandes indemnitaires, le salarié demandait également une allocation de dommages et intérêts de 6 mois de salaire supérieure au plafond d’indemnisation prévu par l’article L1235-3 du Code du travail.

Le salarié considérait que le plafond d’indemnisation prévu à l’article L1235-3 du Code du travail était contraire à aux textes internationaux.

La position du Conseil de Prud’hommes de Pointe-à-Pitre.

Le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre a considéré que la prise d’acte de la rupture du contrat du travail du salarié était justifiée en raison du non-paiement des heures supplémentaires.

L’employeur ayant par ailleurs reconnu postérieurement à la prise d’acte que des heures supplémentaires étaient effectivement dues au salarié.

Toutefois, le Conseil de prud’hommes n’a pas écarté l’application du barème aux visas de l’article 10 de la convention OIT n°158 et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Le Conseil de prud’hommes a limité l’indemnisation du salarié à un mois de salaire brut.
L’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT prévoit qu’en cas de licenciement injustifié, les juges doivent être habilités, en l’absence de réintégration, « à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

L’article 24 de la Charte sociale européenne dispose que :
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »

Le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre rappelle que le barème de l’article L1235-3 du Code du travail « n’est plus simplement indicatif mais s’impose au Conseil ».

Tout d’abord, le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre considère que "le plafonnement ne s’applique pas à toutes les situations de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi la loi française prévoit expressément d’écarter l’application du barème dans les cas les plus grave à savoir les licenciements liés à une discrimination, un harcèlement, à la violation du statut des salariés protégés.
Dans ces cas de figure l’indemnisation ne connait pas de maximum, le juge retrouvant une liberté complète d’appréciation du quantum
."

Il relève ensuite que « l’application du barème n’exclut pas l’indemnisation de préjudice spécifique comme par exemple l’indemnisation forfaitaire de travail dissimulé. »

Le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre retient que « le barème ne s’applique pas en cas de violation d’une liberté fondamentale ».

De plus, il ajoute que « cette disposition rédigée en des termes relativement généraux laisse une marge d’appréciation et d’interprétation importante au juge chargé de l’indemnisation ».

Pour le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre, « en ouvrant les cas d’exclusions du barème et en assurant ainsi l’effectivité de la possibilité de le contourner, le législateur a permis d’assurer une indemnisation appropriée au salarié licencié à tort en fonction de la gravité de l’attitude de l’employeur à l’égard du salarié ».

Cette position du Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre est donc similaire à celle développée par le Conseil de prud’hommes du Mans pour lequel "le barème n’est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur à ses obligations ».

Le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre considère également que « le barème a été conçu dans le but de concilier l’impératif d’indemnisation du préjudice avec celui de la prévisibilité juridique et de l’efficacité économique » en retenant que « dans la mesure où il a assuré l’effectivité de la possibilité d’écarter l’application du barème dans les cas les plus graves, le législateur a pu valablement limiter l’indemnisation du préjudice dans les autres cas afin d‘atteindre les objectifs de prévisibilité et d’efficacité économique, autres objectifs poursuivis par les textes européens et internationaux précités. Cette limitation d’un droit individuel, restreinte dans son domaine et tournée vers la réalisation d’objectifs d’intérêts publics majeurs, ne saurait donc être considérée comme contraire aux textes internationaux précités ».

Ainsi, il résulte que pour le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre, la possibilité offerte par le législateur d’écarter l’application du barème dans l’hypothèse de la nullité du licenciement serait de nature à garantir la conventionnalité de la disposition contestée.

Il convient de souligner que cette décision du Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre en date du 14 mai 2019 (CPH de Pointe-à-Pitre, 14 mai 2019 RG 18/00194) a été contredite par un jugement du Conseil de prud’hommes de Montpellier en date du 17 mai 2019, (CPH de Montpellier du 17 mai 2019 RG N° F 18/00152).

Le Conseil de prud’hommes de Montpellier a ainsi considéré que : « la réparation d’un licenciement jugé injustifié doit être une réparation exacte ».

Pour le Conseil de prud’hommes de Montpellier le barème ne permet pas « d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice important qu’ils ont subi ».

Dès lors, si le Conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre a particulièrement motivé sa décision, celle-ci reste néanmoins critiquable eu égard au principe de « la réparation intégrale », notamment pour les salariés qui ne pourraient pas se prévaloir de la nullité de leur licenciement.

Un dénouement attendu.

La Cour d’appel de Paris, interrogée sur la conventionnalité du barème suite à son audience du 23 mai 2019 en présence du Parquet Général, doit rendre son délibéré le 25 septembre 2019.

A l’occasion de cette audience, l’Avocat Général a indiqué que la disposition querellée était conforme aux engagements internationaux de la France.

La Cour d’appel de Reims, suite à l’appel de deux décisions du Conseil de prud’hommes de Troyes, se prononcera à l’issu de son audience fixée au 17 juin prochain.

La Cour de cassation a également été saisie pour avis par le Conseil de prud’hommes de Louviers par jugement en date du 10 avril 2019 et doit rendre son avis le 8 juillet prochain.

Cette première décision de Cour d’appel et l’avis de la Cour de cassation sur ce point restent donc très attendus.

Dans cette attente, les parties restent soumises aux interprétations souveraines qui seront faites par les juges du fond de première instance et l’incertitude juridique qui entoure la conventionnalité du « barème Macron ».

Me Jennifer ZIG