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Biodiversité, une régression inquiétante de sa protection. Par Coline Robert, Avocate.
Parution : mardi 18 juin 2019
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Le rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a été présenté le 6 mai dernier. Organe international regroupant des experts du monde entier, l’IPBES a pour mission d’évaluer l’état de la biodiversité et de synthétiser l’ensemble des connaissances existantes de manière objective.

Première évaluation mondiale de l’état de la biodiversité depuis le Millenium Ecosystem Assessment publié en 2005, le rapport de l’IPBES a vocation à servir de base au travail qui sera réalisé lors de la Conférence des Parties sur la Biodiversité (COP15) prévue en 2020 à Kunming (Chine).

Les conclusions de ce « GIEC de la biodiversité » sont tout aussi alarmantes que celles de son pendant en matière climatique et évoquent un taux d’extinction sans précédent des espèces.

En dépit de ce cri d’alarme prévisible et qui a donné lieu à des annonces du Président de la République, des projets de textes fleurissent depuis quelques mois et viennent affaiblir une protection de la biodiversité déjà insuffisante.

Évaluation environnementale : un transfert contestable de compétence au Préfet de région de l’examen au cas par cas.

Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat, en cours de discussion devant l’Assemblée Nationale, prévoit une disposition qui tend à affaiblir la portée du mécanisme d’évaluation environnementale sous couvert de simplification des procédures applicables aux projets d’énergies renouvelables.

En effet, l’opportunité de diligenter une évaluation environnementale pour des projets n’y étant pas automatiquement soumis résulte actuellement d’un examen au cas par cas par l’autorité environnementale.

Cette autorité est en effet chargée de responsabilités spécifiques en matière d’environnement et paraît donc la plus à même de se prononcer sur la nécessité de réaliser ou non une évaluation environnementale. Il ne s’agit toutefois pas d’une entité à part entière et cette fonction est assurée, selon les circonstances, par différents services de l’État : ministre chargé de l’environnement, formation d’autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), missions régionales d’autorité environnementale du CGEDD ou préfets de région.

Compte tenu de l’absence d’autonomie réelle des préfets de région, le Conseil d’État a, par un arrêt en date du 6 décembre 2017 [1], annulé leur désignation en qualité d’autorité compétente de l’État en matière d’environnement lorsqu’il ont par ailleurs vocation à instruire le dossier de demande d’autorisation environnementale.

Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat transfère la responsabilité spécifique de l’examen au cas par cas à une autorité désignée par décret à cet effet. Or, ce décret est à l’état de projet depuis juillet 2018 et prévoit que « les décisions de cas par cas restent du ressort du Préfet de région ».

Dès lors, le projet de loi contourne les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État et permet aux préfets de région d’avoir à nouveau une influence sur les évaluations environnementales des projets envisagés sur leur territoire.

Outre le fait que la régularité de cette disposition soit contestable, l’attribution de la compétence d’examen au cas par cas aux Préfets de région est susceptible de réduire le champ de l’évaluation environnementale. En effet, les projets favorisant le développement économique régional risquent fortement d’être privilégiés au détriment de la préservation de la biodiversité.

Cette démarche du gouvernement est d’autant plus surprenante qu’en mars 2019, la France a reçu une mise en demeure de la Commission européenne du fait d’une législation nationale qui « semble exclure certains types de projets des procédures d’évaluation des incidences sur l’environnement et fixer des seuils d’exemption inadaptés pour les projets ».

Autorisation environnementale : la réduction du périmètre des consultations des instances scientifiques.

Le 16 avril 2019, un projet de décret relatif à la simplification de la procédure d’autorisation environnementale a été mis en ligne. Il prévoit la simplification de la procédure par la suppression de certaines consultations.

C’est notamment le cas de la consultation du Conseil national de la protection de la Nature (CNPN), qui doit être systématiquement saisi pour avis lorsque l’autorisation environnementale est demandée pour un projet pour lequel elle tient lieu de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Le projet de décret limite la consultation du CNPN au cas où une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées a trait à une liste limitative de vertébrés.

Dans les autres cas, le projet de texte prévoit la consultation du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN). Or, le CNPN est une instance d’expertise scientifique et technique indépendante dont les membres sont nommés par arrêté ministériel en fonction de leurs compétences et à l’issue d’un appel à candidature [2]. Le CRSPN quant à lui est une instance d’experts placée auprès du Préfet de région et du Président du conseil régional.

Outre le fait que les CRSPN soient déjà surchargés, leur manque de moyens et de capacité à résister aux pressions des collectivités font naître la crainte de voir les enjeux économiques locaux privilégiés au détriment de la protection de la biodiversité.

Sites classés : la fin de la politique nationale de protection.

Mis en consultation le 31 mai dernier, un projet de décret transfère la compétence de délivrance des dérogations pour autorisations des travaux en sites classés aux préfets, en lieu et place du Ministre de la transition écologique.

L’article L.341-10 du Code de l’environnement précise que « Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect sauf autorisation spéciale ».

Or, à l’heure actuelle, cette autorisation spéciale est délivrée à l’échelon ministériel, sauf pour les travaux relevant d’une déclaration préalable au titre du code de l’urbanisme ou dispensés de toutes formalités au titre de ce code qui sont soumis à autorisation préfectorale.

Ainsi, les travaux importants en site classé nécessitent l’aval d’une autorité nationale.

Le projet de décret portant déconcentration de la délivrance des autorisations de travaux en site classé supprime le verrou ministériel et laisse aux préfets, soumis aux pressions locales, le soin d’autoriser tout type de travaux en site classé, des plus petits projets aux plus impactants.

Il est dès lors légitime de redouter que les projets d’aménagement en sites classés se multiplient, notamment à des fins touristiques.

Saisi du projet, le CNPN a émis un avis défavorable et relève que le « contrôle national apparaît indispensable au maintien de la cohérence et de la qualité de Sites dont le classement a été décidé à l’échelon national et fait partie du domaine régalien de l’Etat, garant de l’intérêt général au plan national et international ».

Le CNPN relève également que ce projet est en contradiction flagrante avec l’objectif de reconquête de la biodiversité issu de la loi de 2016.

Il est à craindre également que la modification du régime applicable à la protection des sites classés ouvre la voie à la modification d’autres régimes, comme celui des aires marines et terrestres protégées dont Emmanuel Macron s’est engagé à accroître le périmètre d’ici 2022 à la suite des conclusions de l’IPBES.

Pourtant, augmenter le nombre de zones protégés et accroître le nombre de sites classés n’a aucun sens si leur protection est par ailleurs vidée de sa substance.

Réduction du champ de l’étude d’impact, augmentation du taux de prélèvement de loup… : les atteintes successives au principe de non-régression

Les textes précités s’inscrivent dans la droite ligne du mouvement de simplification annoncé par le gouvernement et qui passe par une diminution de la prise en compte de l’impact des projets sur l’environnement.

Depuis la fin 2017, ce mouvement s’accélère :
- expérimentation de deux ans d’un droit reconnu au préfet de déroger à certaines dispositions réglementaires notamment en matière environnementale « afin de tenir compte des circonstances locales et dans le but d’alléger les démarches administratives » [3]
- réduction du périmètre des projets soumis à évaluation environnementale systématique, y compris pour les installations Seveso et les forages en profondeur dans le cadre de projets de géothermie [4]
- expérimentation, dans les régions de Bretagne et des Hauts-de-France, d’un droit à déroger aux dispositions relatives à l’enquête publique en matière d’autorisation ICPE et IOTA en lui substituant une simple participation du public par voie électronique [5]
- transfert du régime de l’autorisation au régime de l’enregistrement pour les centrales d’enrobage au bitume de matériaux routiers, ce qui dispense notamment le futur exploitant de fournir une étude d’impact et une étude de dangers [6].

Outre l’objectif de simplification, le gouvernement entend également répondre à des enjeux locaux sans les avoir précédé d’une réflexion profonde intégrant des considérations scientifiques indispensables. Cette ambition se manifeste notamment par un projet d’arrêté soumis à consultation du public jusqu’au 29 juin prochain et qui vise à porter de 10 à 19% le taux de prélèvement de loups (tirs de défense et tirs de prélèvement). Ce projet a donné lieu à un avis défavorable du CNPN qui considère que ce type de mesure n’est pas une réponse appropriée pour contenir les dommages aux troupeaux.

En tant qu’espèce protégée, le loup bénéficie d’une protection particulière. Le mécanisme dérogatoire prévu par le décret ne s’inscrit pas dans l’objectif des textes et s’apparente à « une régulation de long terme de la population de loups en contradiction avec le droit communautaire et national, et la biologie de la conservation » d’après le CNPN.

Le CNPN rappelle que l’accompagnement des éleveurs et le contrôle de la mise en œuvre des mesures de protection des troupeaux sur le terrain, qui n’est pas une condition à l’indemnisation des éleveurs, constitue un enjeu crucial.

Sur ce sujet complexe, des pistes sont envisagées et impliquent un changement de paradigme : amélioration des mesures de protection des troupeaux, expérimentation de moyens de défense non-létaux, analyse de l’efficacité des tirs, abandon des tirs de prélèvement compte tenu de leur absence de caractère dissuasif, politique de gestion pluriannuelle…

Faisant fi de ces propositions, le projet d’arrêté en consultation illustre la démarche française en matière de biodiversité qui tend à la considérer comme une contrainte à contourner plutôt qu’une donnée à intégrer.

L’atteinte du seuil de viabilité d’une espèce, qui est par nature une donnée incertaine, est perçue comme un feu vert donné à sa régulation, au mépris de toute démarche pérenne.

Ces derniers mois, en dépit de l’état des lieux inquiétant de la biodiversité, le Gouvernement fait tomber les verrous permettant d’assurer sa protection, sous couvert d’un objectif de simplification visant à contourner l’application du principe de non-régression. Ce principe est pourtant entré en grande pompe dans le Code de l’environnement lors de l’adoption de la loi Biodiversité du 8 août 2016 [7], en tant que nouveau pilier garantissant une amélioration constante de la protection de l’environnement.

Ce véritable démantèlement des mécanismes nationaux de protection de la biodiversité laisse craindre, au plan international, un manque d’ambition et d’implication de la délégation française à Kunming en 2020, lorsque devront être posés les indispensables jalons du sauvetage de la biodiversité mondiale.

Coline Robert Avocate associée au sein du cabinet Géo Avocats [->https://www.geo-avocats.com]

[1Conseil d’État, 6 décembre 2017, n°400559.

[2Décret n° 2017-342 du 17 mars 2017 relatif au Conseil national de la protection de la nature.

[3Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au Préfet.

[4Décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale.

[5Décret n° 2018-1217 du 24 décembre 2018 pris en application des articles 56 et 57 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance.

[6Décret n°2019-292 du 9 avril 2019 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement.

[7Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.