Village de la Justice www.village-justice.com

Constructibilité limitée dans les parties non-urbanisées d’une commune sans plan local d’urbanisme : la voie est ouverte pour les extensions. Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : jeudi 20 juin 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/constructibilite-limitee-dans-les-parties-non-urbanisees-une-commune-sans-plan,31830.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le Conseil d’État vient de rendre une décision intéressante s’agissant de l’application de plusieurs exceptions à la règle de la constructibilité limitée des parties non-urbanisées d’une commune dépourvue de plan local d’urbanisme, de tout document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale.

1.

En vertu de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme, les communes qui ne sont pas dotées de Plan local d’urbanisme, de tout document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, sont soumises à un principe de constructibilité limitée.

Concrètement, les nouvelles constructions, ne pourront alors être autorisées que dans les parties déjà urbanisées de la commune.

L’objectif est alors de permettre à une commune, malgré l’absence de planification de son aménagement, de pouvoir tout de même s’agrandir, mais uniquement en densifiant le foncier existant.

Le législateur a également souhaité donner plus de souplesse aux communes soumises à cette disposition en permettant un certain nombre de dérogation au principe d’inconstructibilité en dehors des parties urbanisées de la commune.

2.

C’est l’objet de l’article L. 111-4 du Code de l’urbanisme.

Aux termes de cette disposition, modifiée récemment par l’article 41 de la loi du 23 novembre 2018 dite loi ELAN, plusieurs « catégories » de constructions et d’installations sont autorisées dans des domaines particuliers (L. 111-4 2° et 2° bis ; activités agricoles, équipements collectifs…) ou lorsqu’ils sont incompatibles avec le voisinage (L. 111-4 3°).

L’article L. 111-4 1° du Code de l’urbanisme est lui un peu particulier, puisqu’il prévoit une forme de dérogation générale.

Initialement, il prévoyait qu’étaient autorisés en dehors des parties urbanisées d’une commune « 1° L’adaptation, le changement de destination, la réfection ou l’extension des constructions existantes ».

L’article 36 de la loi du 25 mars 2009 de Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, est venu faire évoluer cette disposition pour prévoir qu’au « 1° de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, les mots : « ou l’extension des constructions existantes » sont remplacés par les mots : « l’extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales ».

La question s’est alors posée de savoir s’il convenait de lire cette disposition comme s’appliquant entièrement aux constructions de bâtiments nouveaux, ou si elle concernait tous les éléments évoqués dans cet alinéa.

Concrètement, s’agissant des extensions par exemple, à la suite de cet article 36 de la loi du 25 mars 2009, celles-ci sont-elles possibles pour tous les bâtiments existants, ou uniquement pour les bâtiments « à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole » ?

3.

La Cour administrative d’appel de Nantes avait pris implicitement position en estimant, que les extensions devaient être situées dans un tel périmètre pour être autorisées : « 5. Considérant que les dispositions de ce texte qui autorisent l’extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales sont issues de l’article 36 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion ; qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires à l’issue desquels elles ont été adoptées, que le législateur a souhaité pallier le manque de foncier constructible et protéger le patrimoine rural en permettant sa réhabilitation ; qu’il n’a expressément entendu limiter cette possibilité de construction en dehors des zones déjà urbanisées que par les seules conditions que ce texte prévoit, à savoir la limitation au périmètre des bâtiments de l’ancienne exploitation agricole et le respect des traditions architecturales ; / 6. Considérant que le projet présenté par M. F... et Mme E... porte sur la restauration et l’extension, par ses façades sud et nord, d’une habitation au lieu-dit Arpentigny sur le territoire de la commune de Craménil, qui n’était pas couvert, à la date de la décision querellée, par un plan local d’urbanisme ou une carte communale opposable aux tiers, ou par un document d’urbanisme en tenant lieu ; qu’il ressort des pièces du dossier que le projet de construction se situe à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole ; que, dans ces conditions, en refusant de délivrer, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme, le permis de construire sollicité au seul motif que l’extension ne présenterait pas un caractère limité, l’autorité administrative a, en opposant une condition qui n’est pas prévue par la loi, fait une inexacte application de ces dispositions ; que si le préfet soutient que le projet d’extension, compte-tenu de son ampleur, doit être regardé comme une nouvelle construction, il résulte des mêmes dispositions qu’est aussi autorisée, à l’intérieur du même périmètre, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation » [1].

Les juges administratifs d’appel nantais, en jugeant légal le projet d’extension en cause au motif qu’il est situé à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, fait alors implicitement mais nécessairement, de cet élément, une condition à respecter.

Ce n’est pas la position qu’a retenu le Conseil d’État dans la jurisprudence ici commentée en censurant une telle interprétation de cet arrêt.

4.

D’après les conclusions de M. Charles Touboul sous cette jurisprudence « Les travaux préparatoires [2] montrent que l’intention du législateur était de créer une nouvelle exception spécifique venant s’ajouter à celles génériques qui préexistaient et non de resserrer leur champ d’ensemble ».

Les 1ère et 4ème chambres du Conseil d’État ont totalement suivi le rapporteur public en jugeant que le : « 1° du I de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme ménageant deux exceptions à la règle de constructibilité limitée prévue par ce même article : d’une part, l’adaptation, le changement de destination, la réfection et l’extension des constructions existantes et, d’autre part, depuis la modification apportée par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et dans le respect des traditions architecturales locales ».

Ainsi donc l’adaptation, le changement de destination, la réfection et l’extension des constructions existantes sont autorisées indépendamment dans leur localisation à l’intérieur du périmètre regroupent les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole.

Par ailleurs, le Conseil d’État précise dans cette décision qu’il « résulte, enfin, de cet article, éclairé par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi du 25 mars 2009, que la condition tenant au respect des traditions architecturales locales, résultant de cette loi, ne s’applique pas à l’extension des constructions existantes, mais seulement à la construction de bâtiments nouveaux ».

5.

Le Conseil d’État était également saisi dans le cadre de ce pourvoi, de la question de savoir s’il était possible de prévoir que cette extension soit mesurée.

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cette jurisprudence, le Préfet avait refusé le permis de construire demandé, au motif que l’extension demandée n’était pas mesurée.

La notion d’extension mesurée figure dans l’article L. 111-4 3° du Code de l’urbanisme, lorsqu’est en cause une construction ou une installation incompatible avec le voisinage.

Elle est toutefois absente de l’article L. 111-4 1° du même Code.

Selon le Conseil d’État, « au titre de la première de ces deux exceptions, peuvent être autorisés des projets qui, eu égard à leur implantation par rapport aux constructions existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces constructions, peuvent être regardés comme ne procédant qu’à l’extension de ces constructions. Aucune disposition n’impose toutefois qu’une extension satisfaisant à ces critères doive en outre, pour pouvoir être autorisée au titre du 1° du I de l’article L. 111-1-2, présenter un caractère mesuré ».

Ainsi donc, si le Conseil d’État censure le Préfet pour avoir imposé un critère tenant au fait que l’extension doit être mesurée, il consacre tout de même qu’une extension doit avoir une ampleur limitée en proportion de ces constructions.

L’apport de la jurisprudence est donc moins évident sur ce point.

Implicitement, le Conseil d’État consacre le fait que pour être qualifié d’extension, l’ouvrage autorisé doit avoir une taille inférieure au bâtiment existant, afin que lui rester « subsidiaire ».

C’est la définition retenue par la doctrine de l’État qui définit la notion d’extension dans le lexique national d’urbanisme comme « un agrandissement de la construction existante présentant des dimensions inferieures à celle-ci ».

A l’inverse une extension mesurée doit avoir une dimension moins importante, généralement évaluée à moins de 50 % du bâti existant, la jurisprudence étant toutefois très casuistique, et donc peu fiable, en la matière.

Cette position semble toutefois facilement « contournable » en réalisant les extensions en plusieurs phases…

En effet, en raison du lien physique et fonctionnel que l’extension doit avoir avec la construction existante, elle finit par s’y confondre une fois réalisée.

Toute nouvelle demande d’extension, devra alors se faire par rapport au bâtiment existant, lequel devra intégrer l’extension précédente.

Les effets pourraient donc potentiellement être exponentiels.

La solution, telle qu’elle découle de cette décision du Conseil d’État, n’apparaît donc pas totalement satisfaisante au final.

6.

Enfin, le Conseil d’État a apporté une dernière précision s’agissant de la construction de bâtiments nouveaux, en jugeant que : « au titre de la seconde exception, peut être autorisée la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation, à la double condition qu’ils soient implantés à l’intérieur d’un périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole et qu’ils respectent les traditions architecturales locales. Le bénéfice de cette exception n’est pas réservé aux cas dans lesquels le périmètre constitué par les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole est clos, mais peut aussi valoir pour les cas où les bâtiments nouveaux sont implantés dans un espace entouré de bâtiments agricoles suffisamment rapprochés pour pouvoir être regardés comme délimitant, même sans clôture ou fermeture, un périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole ».

Cabinet d\'avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE Avocat au Barreau de Nantes www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE

[1CAA Nantes 16 février 2018 n° 16NT02317.

[2Voir not. l’amendement n° 472 de Ch. Revet au Sénat, examiné le 17 oct. 2008.