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Quelle hauteur choisir pour l’appréciation des règles de prospect dans le silence du plan local d’urbanisme ? Par Pierrick Salen, Avocat.
Parution : lundi 24 juin 2019
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Par plusieurs décisions récentes, le Conseil d’Etat rappelle qu’en l’absence de dispositions contraires dans le PLU, l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme doit apprécier les règles de prospect à travers un calcul de la hauteur dit "glissant", par opposition avec la prise en compte d’une hauteur absolue qui n’aurait rien de satisfaisant.

La décentralisation, qu’on retrouve d’un point de vue global au niveau des collectivités territoriales, donne une bonne illustration de son essence même s’agissant de l’aménagement de l’espace, avec une liberté assez grande pour les communes d’adopter leurs propres règles d’urbanisme à travers leur plan local d’urbanisme (PLU).

Certes, l’influence de l’Etat demeure, que ce soit à travers le cadre juridique contraignant l’adoption, la modification ou la révision des PLU, ou encore par le biais des documents d’urbanisme supérieurs, en premier lieu les schémas de cohérence territoriale.

La liberté laissée aux communes – ou aux intercommunalités ayant la compétence PLU –
se traduit parfois par l’émergence de difficultés d’interprétation et donc de mise en œuvre.

Certaines dispositions peuvent être limpides, d’autres plus obscures, tandis qu’il arrive que la difficulté naisse de la combinaison entre deux règles. Cette problématique se rencontre notamment au moment de l’analyse des principes relatifs à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, avec bien souvent des questions liées à la hauteur des bâtiments. Certains plans locaux vont fixer des distances absolues, le bâtiment devant alors être implanté à une distance précise par rapport à la limite, et ce peu importe le type de construction. D’autres, et ce sont ceux qui nous intéressent, vont établir une distance relative, basée sur la hauteur de la construction, tout en fixant un retrait minimum. Ainsi, l’ouvrage doit être éloigné d’au moins une certaine proportion de sa hauteur, et ce en respectant un certain minimum.

Deux questions se posent alors : comment calculer la hauteur et, surtout, quelle hauteur prendre en compte ?

1. Sur les modalités de calcul de la hauteur des bâtiments.

La première question trouve rapidement sa solution. En 1999, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé qu’en l’absence de précision règlementaire, la hauteur doit se calculer du sol à l’égout de toit [1].

Le Conseil d’Etat viendra par la suite préciser que cela doit s’interpréter comme la distance entre le sol naturel et l’aplomb de l’égout de toit [2].

Toutefois, la Cour administrative de Nantes a rappelé depuis qu’il faut toujours privilégier la méthode qui ressort des dispositions du règlement, et notamment de l’article 10, relatif à la hauteur des bâtiments, avant d’appliquer ce calcul « par défaut », lorsque le PLU est muet sur ce point [3].

2. Sur la hauteur devant être prise en compte.

La seconde question est plus complexe. La hauteur sert de base au calcul de la distance d’implantation par rapport à la limite séparative (ou plutôt l’inverse !), mais encore faut-il savoir quelle hauteur prendre en compte. Il existe principalement deux conceptions. Certains règlements s’appuient sur la hauteur maximale de la construction et ce peu importe son emplacement. D’autres vont utiliser une méthode dite glissante et vont vérifier que chaque point respecte la distance de retrait. Ainsi, le point A, moins haut que le point B, pourra être plus proche de la limite séparative. Cela permet d’avoir une conception plus évolutive de l’éloignement.

Toutefois, il arrive qu’aucune méthode ne se dégage de la rédaction du règlement. C’est confronté à cette problématique que le Conseil d’Etat a rendu son arrêt Syndicat des copropriétaires de la villa Oressence [4].

En l’espèce, le PLU d’Antibes disposait en son article UC 7.1 que « les bâtiments doivent s’implanter […] par rapport aux limites séparatives : […] à une distance au moins égale à la moitié de leur hauteur ». Comme l’explique le rapporteur public, la lecture de cette règle suppose que l’on doit prendre en compte la hauteur maximale de la construction.

Or, l’article 8.3 des dispositions générales fixe la règle suivante : « Le retrait s’observe en tout point de la construction », ce qui laisse penser que l’on doit effectuer un calcul glissant, ainsi que le souligne le rapporteur public.

Dès lors, il convient de s’interroger sur la méthode applicable. Le Conseil d’Etat a tranché en faveur de la deuxième solution, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un calcul glissant, sans toutefois expliciter son raisonnement.

C’est à la lumière des conclusions de la rapporteur public, Sophie Roussel, que nous pouvons suivre les trois étapes du raisonnement ayant mené à cette solution.

En premier lieu, la rapporteur public constate que la ville d’Antibes applique la règle du calcul glissant, et ce de manière constante. Mais les deux autres phases de la réflexion sont bien plus intéressantes.

Madame Roussel se base ensuite sur le but des règles de prospect, définies comme les règles « qui déterminent les modalités d’implantation des constructions sur les terrains » [5]. Ces règles ont notamment pour but d’assurer à tous le minimum d’éclairage, de vue et d’ensoleillement. Or, le calcul glissant ne contrarie en rien cet objectif, puisque ce qui compte c’est que tous les points de la construction soient éloignés convenablement de la limite séparative. En effet, on comprend aisément que, s’agissant d’un bâtiment potentiellement très long, il importe peu de se pencher, au moment d’étudier les règles de prospect, sur la hauteur dudit bâtiment à l’opposé de la parcelle. L’essence même de la règle de prospect implique simplement qu’à un endroit donné, la hauteur du bâtiment ne soit pas trop élevée au regard de la proximité des parcelles tierces ou de la voirie publique.

Enfin, et il s’agit sans doute de l’argument le plus convaincant à notre sens, le rapporteur public estime qu’en cas de « plan local d’urbanisme ambigu » il faut « privilégier l’interprétation qui rejoint le règlement national d’urbanisme ». En l’espèce, l’article R. 111-17 du code de l’urbanisme (ex article R. 111-18), relatif aux règles de prospect, préconise le calcul glissant, et ce de manière limpide : « […] la distance comptée horizontalement de tout point de ce bâtiment au point de la limite parcellaire qui en est le plus rapproché doit être au moins égale à la moitié de la différence d’altitude entre ces deux points […] ».

Ainsi, en cas de silence du plan local d’urbanisme, la méthode du calcul glissant est à privilégier. Mais il ne semble pas inutile d’insister sur le fait qu’il faut avant tout rechercher ce qui ressort de plan local d’urbanisme, qui doit être appliqué en priorité. Si le règlement indique de prendre en compte la hauteur maximale de la construction, et ce peu importe son emplacement, alors le calcul glissant devra être exclu. Ce n’est qu’en l’absence d’une telle solution dans le PLU ou en cas de silence de ce dernier sur ce point qu’il conviendra d’en revenir à la règle « par défaut » du calcul glissant de la hauteur.

C’est donc avec une certaine satisfaction que nous pouvons accueillir la solution adoptée le 7 décembre 2018 par le Conseil d’Etat. Si elle était déjà apparue dans des arrêts de Cours administratives d’appel ces dernières années [6], elle n’avait pas, à notre connaissance, été confirmée jusqu’alors par le Conseil d’Etat.
C’est désormais chose faîte, d’autant plus que le Conseil d’Etat a de nouveau fait usage de cette méthode dans un arrêt encore plus récent du 26 décembre 2018 [7].

Me Pierrick Salen Cabinet Salen Avocat au barreau de Saint-Etienne Docteur en droit public www.cabinet-salen.com

[1CAA Nantes, 7 avril 1999, n°97NT02390.

[2CE, 4 février 2004, n°253855, M. Beule et Cne d’Éguilles.

[3CAA Nantes, 11 mai 2015, n°14NT00355.

[4CE, 7 décembre 2018, n°410380.

[5Dictionnaire pratique du droit de l’urbanisme, Le Moniteur, 2ème édition, p. 821.

[6CAA Nantes, 21 janvier 2015, n°14NC01581 ; CAA Lyon, 17 mai 2018, n°16LY02398.

[7CE, 26 décembre 2018, n°413427.