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La Cour de cassation approuve l’indemnisation de l’accident médical non fautif survenu lors d’un accouchement. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : mardi 25 juin 2019
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La Cour de cassation a décidé dans un arrêt rendu le 19 juin 2019 que les manœuvres obstétricales sont des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Elle a aussi précisé comment apprécier le deuxième volet de la condition de l’anormalité du préjudice relatif à la probabilité faible de celui-ci.

Un arrêt rendu le 19 juin 2019 par la Première chambre civile de la Cour de cassation ne manquera pas de retenir l’attention des avocats intervenant dans le contentieux de l’indemnisation des préjudices subis par un enfant lors de l’accouchement et la naissance [1].

Cet arrêt, publié au Bulletin, a été rendu sur un pourvoi formé par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l’encontre d’une décision d’une cour d’appel qui l’avait condamné à indemniser à titre provisionnel les préjudices subis par un enfant atteint d’une paralysie obstétricale du plexus brachial.

I. Faits et procédure.

Au cours d’un accouchement marqué par une dystocie des épaules, le médecin gynécologue-obstétricien a pratiqué des manœuvres d’urgence obstétricales nécessaires pour dégager les épaules et permettre l’accouchement de l’enfant par les voies naturelles.

Cependant, l’expertise judiciaire n’a relevé aucun manquement fautif du médecin accoucheur ou dysfonctionnement de l’établissement de santé.

Dans ces conditions, la mère de l’enfant mineur, agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de celui-ci, a demandé au juge du fond de condamner l’ONIAM à indemniser les préjudices subis sur le fondement de l’art. L. 1142-1, II, du code de la santé publique.

L’ONIAM a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel qui avait fait droit à cette demande.

II. Décision de la Cour de cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’ONIAM. 

L’examen par la Haute juridiction de la première branche du moyen unique de l’ONIAM concerne l’imputabilité et la question de savoir si les manœuvres obstétricales caractérisent un acte de soins au sens des dispositions de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique (A). Cependant l’examen des trois autres branches apportent des précisions importantes sur la condition d’anormalité du préjudice du II du même article (B).

A. Sur la première branche du moyen unique relative à la nature de l’acte de soins et l’imputabilité.

1) Le contexte.

Il a toujours été soutenu de manière hâtive que l’ONIAM n’a pas vocation à intervenir dans l’indemnisation d’un accident médical non fautif survenu lors de l’accouchement car la naissance d’un enfant est un acte physiologique.

Or, bien que le processus d’un accouchement soit de nature physiologique (ce qui est déjà contestable compte tenu des nombreuses interventions médicales pratiquées lors des accouchements physiologiques comme le déclenchement artificiel du travail sans raison médicale et l’analgésie péridurale), on ressent naturellement une hésitation dès lors qu’une intervention obstétricale est pratiquée.

Cette hésitation provient des dispositions de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique qui précisent les conditions d’indemnisation au titre de la solidarité nationale dont celle de l’imputabilité directe aux actes de prévention, de diagnostic ou de soins sans aucune exception ni réserve quant aux manœuvres obstétricales :
« II. - Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. »

Or, la loi du 4 mars 2002 n’a pas défini explicitement la notion des « actes de prévention, de diagnostic ou de soins ».

Pour statuer sur la première branche du moyen, la Cour de cassation doit répondre à la question de savoir si les manœuvres obstétricales sont des actes de soins au sens de l’article L. 1141-1 du code de la santé publique.

Or, la Haute juridiction avait déjà donné une réponse à la question dans un autre domaine médical. En effet, avant d’être brisé par le législateur [2], un arrêt important de la Cour de cassation du 5 février 2014 avait répondu par l’affirmative pour le cas des actes de chirurgie esthétique (réalisés dans les conditions légales) [3].

« Mais attendu que les actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L. 6322-1 et L. 6322-2 du code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1 du même code. »

L’intervention législative précitée, laquelle est à l’origine de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique (qui s’applique aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014), a laissé tout de même des repères pour déterminer la nature de l’acte médical au sens des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique :
« Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l’article L. 1142-1 et aux articles L. 1142-1-1 et L. 1142-15 n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi. »

Cet article n’écarte pas du dispositif de réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices imputables à une manœuvre obstétricale puisque s’agissant d’un acte qui possède une finalité thérapeutique.

C’est dans ce contexte que la Haute juridiction a examiné la première branche du moyen.

2) La Cour de cassation décide que les manœuvres obstétricales sont des actes de soins au sens des dispositions de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique.

L’arrêt rapporté de la Cour de cassation énonce le principe suivant :
« Mais attendu que, si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. »

Fidèle à sa jurisprudence du 5 février 2014 sur les actes de chirurgie esthétique, mais aussi aux termes précités de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique, la Cour de cassation décide que les manœuvres obstétricales sont bel et bien des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Dans l’affaire rapportée, le dégagement de l’épaule bloquée dans le bassin maternel par une manœuvre obstétricale constitue un acte de soins au sens de ce texte et non pas un processus naturel car un tel accouchement n’est plus physiologique mais dystocique.

La Cour de cassation précise également que la condition légale de l’imputabilité directe est établie car l’arrêt attaqué a énoncé, d’une part, que l’enfant ne présentait pas, au cours de sa vie intra-utérine et au moment précis de sa naissance, d’anomalies qui auraient pu interférer sur la paralysie obstétricale et sur le déroulement de l’accouchement ; d’autre part, que la paralysie du plexus brachial est un risque connu des manœuvres obstétricales pratiquées ; enfin, que lesdites manœuvres sont à l’origine d’une traction exercée sur la tête fœtale et donc sur le plexus brachial à l’origine de l’atteinte des racines nerveuses. [4]

B. Sur les trois dernières branches du moyen relatives aux conséquences anormales du préjudice.

La décision de la Haute juridiction sur les autres branches du moyen est également d’une grande importance.

1) Le contexte.

Outre les autres conditions de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique (à savoir l’absence de responsabilité, l’imputabilité directe et le niveau de gravité requis), les préjudices subis doivent avoir eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci.

Dans des termes identiques à son homologue administratif [5], la Cour de cassation a précisé comment apprécier la condition d’anormalité du préjudice par un arrêt du 15 juin 2016 publié au Bulletin [6] :
« Attendu que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que, dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu’ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage. »

L’arrêt rapporté rappelle cette jurisprudence car il énonce que lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

Donc, jusqu’à là rien de nouveau.

Néanmoins, en cas d’absence de conséquences notablement plus graves, il reste la difficulté de l’appréciation de la probabilité du risque. S’agit-il d’un risque d’ordre général ou d’un risque plus spécifique notamment le risque finalement réalisé ?

Le Conseil d’Etat a répondu à cette question importante par un arrêt du 15 octobre 2018 mentionné dans les tables du recueil Lebon [7].

« Considérant que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; »

En conséquence, il ne s’agit pas d’une probabilité d’ordre général mais d’une probabilité spécifique à savoir celle d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.

C’est dans ce contexte que la Haute juridiction a rendu sa décision sur les trois dernières branches du moyen.

2) La Cour de cassation décide que la probabilité faible est une probabilité spécifique.

L’arrêt rapporté suit de nouveau son homologue administratif et énonce de manière identique :
« que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. »

Cette position commune des deux ordres de juridiction est logique car c’est la probabilité spécifique d’un préjudice grave consécutif à un événement du même type dont il est question lorsque les conséquences anormales du préjudice sont appréciées.

Dans l’affaire rapportée, la Cour de cassation énonce que le risque issu de la réalisation des manœuvres obstétricales, constitué par la paralysie du plexus brachial, est notablement moins grave que le décès possible de l’enfant : donc, les conséquences ne sont donc pas notablement plus graves.

Dans ces conditions, il reste à apprécier la probabilité du risque d’une invalidité grave ou un décès à la suite d’une lésion du plexus brachial engendrée par des manœuvres obstétricales. Ce n’est pas ladite probabilité tous types de préjudices confondus (graves ou non) comme le prétend l’ONIAM dans la deuxième branche du moyen.

A ce titre, la Cour de cassation nous livre des chiffres concrets nécessaires pour la pratique quotidienne car elle précise :
« l’arrêt retient que, si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1 % et 2,5 % de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité. »

Pour la Cour de cassation, la probabilité faible peut aller jusqu’à 2,5%.

Dans un arrêt récent du 4 février 2019, mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a décidé que le risque d’invalidité de 3% était une probabilité faible [8]. Vu la jurisprudence similaire des deux ordres de juridictions dans ce domaine, il en sera vraisemblablement de même pour la Cour de cassation.

L’arrêt précité du 15 juin 2016 de la Cour de cassation avait décidé que le risque de 6% à 8% n’est pas une probabilité faible [9].

On peut en déduire que la limite supérieure de la probabilité faible se trouve entre 3% et 6%.

Mais où exactement ?

On pourrait envisager une limite supérieure de l’ordre de 5% car la vaste majorité des études médicales utilisent un seuil de 5% pour fixer la limite supérieure de la significativité statistique donc le risque que les résultats publiés peuvent être expliqués par une simple erreur d’échantillonnage (le fruit du hasard). Cette limite supérieure de la significativité statistique a été fixée par la pratique médicale car elle est considérée comme faible (une chance sur 20 ou 5%).

Enfin, les troisième et quatrième branches du moyen du pourvoi soulèvent respectivement les conditions dans lesquelles l’acte a été accompli (la surcharge pondérale de la parturiente) et l’absence de consolidation ne permettant pas d’apprécier la probabilité de séquelles. Cependant la Cour de cassation rappelle que la recherche de ces conditions n’avait pas été demandée au second juge et décide que l’appréciation de la probabilité faible malgré l’absence de consolidation ne constitue pas une contradiction de motifs.

III. Conséquences pratiques.

L’arrêt rapporté devrait permettre à la victime d’une paralyse obstétricale du plexus brachial d’obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale en l’absence de toute faute notamment du professionnel de santé.

Cependant, il est à craindre que l’arrêt rapporté n’est d’un secours limité pour les enfants atteints d’autres préjudices comme celui d’une infirmité motrice cérébrale (IMC) consécutive à une anoxie subie lors de l’accouchement et la naissance.

Certes, une manœuvre obstétricale, une extraction instrumentale ou une césarienne pour hâter la naissance en cas d’un manque d’oxygène du fœtus est dorénavant considérée par le droit positif comme un acte de soins.

Encore faut-il rapporter la preuve de l’imputabilité directe du préjudice subi à l’acte de soins.

Dans l’arrêt rapporté, la lésion des racines nerveuses du plexus brachial est directement imputable à une manœuvre obstétricale donc à un acte de soins : c’est la manœuvre obstétricale qui est la cause de la lésion du plexus brachial.

En revanche, souvent, une infirmité motrice cérébrale par anoxie n’est pas directement imputable à une manœuvre obstétricale, un forceps ou une césarienne. Ces actes de soins ne sont pas la cause de l’anoxie qui est consécutive généralement à un dysfonctionnement du placenta ou une compression du cordon ombilical.

Certes on pourrait imaginer le cas d’un surdosage de Syntocinon® (un acte de soins) à l’origine d’une hypercontractilité de l’utérus avec pour conséquence une anoxie du fœtus. On pourrait imaginer le cas d’un forceps (un acte de soins) qui aggrave l’anoxie. On pourrait aussi imaginer le cas d’une rupture utérine survenue sur une cicatrice en raison d’une césarienne antérieure (un acte de soins). Cependant, cas de figure sont une fraction des litiges...

Il reste à voir dans quelle mesure l’arrêt rapporté permettra l’indemnisation au titre de la solidarité nationale des enfant victimes d’un dommage corporel outre celui de la paralysie obstétricale du plexus brachial. [10]

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1Cass. Civ. 1, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20883.

[2Article L. 1142-3-1 du code de la santé publique (issu de l’art. 70 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014)
et Article L. 1142-3-1 du code de la santé publique (modification par l’art. 185 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016).

[3Cass. Civ. 1, 5 février 2014, pourvoi n° 12-29140.

[4Pour un autre arrêt sur l’imputabilité d’une atteinte du plexus brachial mais dans le contexte de la faute voir Cass. Civ. 1, 13 novembre 2014, pourvoi n° 13-22702.

[5CE 5e/4e SSR 12 déc. 2014, n° 355052.

[6Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824.

[7CE 5e/6e CR 15 oct. 2018, n° 409585.

[8CE 5e/6e CR 4 fevr. 2019, n° 413247.

[9Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824.