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Le licenciement pour inaptitude du salarié protégé. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : vendredi 12 juillet 2019
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Le licenciement pour inaptitude (professionnelle ou non professionnelle) est une procédure formaliste voire piégeuse. Et cette mesure se révèle particulièrement complexe lorsque le salarié est protégé…

1/ L’obligation légale de reclassement.

Lorsque le salarié protégé est déclaré inapte à son emploi par le médecin du travail, l’employeur est tenu à une obligation de recherche de reclassement. Le licenciement ne peut être envisagé que si le reclassement du salarié est impossible, ou si ce dernier refuse les propositions émises par l’employeur.

Par exception, l’employeur est dispensé de son obligation de reclassement si le médecin du travail a expressément mentionné, dans l’avis d’inaptitude, que le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (C. trav. art. L. 1226-2-1 : inaptitude non professionnelle et C. trav. art. L. 1226-12 : inaptitude professionnelle).

Dans le cas contraire, l’employeur est tenu de proposer au salarié un autre emploi approprié à ses capacités, tenant compte des recommandations du médecin du travail et aussi comparable que possible à son emploi précédent, au besoin par la mise en œuvre de mesures de mutation, d’aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou d’aménagement du temps de travail (C. trav. art. L. 1226-2 : inaptitude non professionnelle et L. 1226-10 : inaptitude professionnelle).

Le respect de cette obligation de reclassement nécessite des démarches concrètes de l’employeur (ex. lettres du DRH groupe aux DRH des filiales, recensement et analyse des postes existants, échanges avec le médecin du travail lorsqu’un poste est identifié, etc.). Toutes les informations pertinentes (contrat de travail du salarié inapte, avis d’inaptitude, possibilités de formation, etc.) doivent être portées à la connaissance des entités susceptibles de proposer un poste de reclassement.

2/ Le périmètre et l’étendue du reclassement.

L’employeur doit effectuer la recherche de reclassement dans l’entreprise mais aussi à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass. soc. 18 avril 2000, n° 98-40.754).

La difficulté tient donc au fait que la Cour de cassation considère que le lien capitalistique n’est pas suffisant et que le groupe constitue un périmètre de reclassement dès lors que la permutation du personnel est possible (Cass. soc. 27 octobre 1998, n° 96-40.626).

Ainsi, constitue un groupe au sein duquel doit être recherché le reclassement du salarié inapte les sept maisons de retraite gérées par l’employeur constituées sous la forme de sociétés indépendantes, mais situées dans la même région et regroupées sous un même sigle, et faisant état dans leur propre documentation de la notion de groupe tout en développant des outils de communication communs (Cass. soc. 24 juin 2009, n° 07-45656).

De même, une cour d’appel décide à bon droit que plusieurs associations, regroupées dans une fédération, ont des activités de même nature au sein desquelles la permutation de tout ou partie du personnel est possible et forment en conséquence un groupe au sein duquel doit être recherché le reclassement du salarié inapte (Cass. soc. 6 janvier 2010, n° 08-44113).

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 devrait infléchir cette jurisprudence extensive, le Code du travail procédant désormais à une approche capitalistique de la notion de groupe de reclassement, correspondant à une entreprise dominante et aux filiales qu’elle contrôle, au sens du Code de commerce (C. trav. art. L. 1226-2 : inaptitude non professionnelle et L. 1226-10 : inaptitude professionnelle).

3/ La consultation du Comité Économique et Social (CSE).

Les éventuelles propositions de reclassement doivent prendre en compte, après avis du CSE, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.

La consultation des représentants du personnel constitue une formalité substantielle, qui s’impose même si l’employeur estime impossible de reclasser le salarié (Cass. soc. 30 octobre 1991, n° 87-43.801).

La consultation doit se situer :
- Après la constatation par le médecin du travail de l’inaptitude du salarié (Cass. soc. 8 avril 2009, n° 07-44.307) ;
- Avant la proposition au salarié inapte d’un emploi de reclassement adapté à ses capacités (Cass. soc. 28 octobre 2009, n° 08-42.804) ;
- Avant l’engagement de la procédure de licenciement (Cass. soc. 28 avril 2011, n° 09-71.658).

NB : dès lors que les représentants du personnel ont été valablement consultés avant une première proposition de reclassement, refusée par le salarié, l’employeur n’a pas à solliciter à nouveau leur avis avant de faire à l’intéressé une nouvelle proposition (Cass. soc. 3 juillet 2001, n° 98-43.326).

La jurisprudence a apporté des précisions au sujet de la consultation des représentants du personnel.

A titres d’exemples :
- Tous les représentants du personnel doivent être consultés (Cass. soc. 3 juillet 1990 n° 87-41.946), soit collectivement, soit individuellement (Cass. soc. 29 avril 2003, n° 00-46.477) ;
- Leur convocation par e-mail est régulière (Cass. soc. 23 mai 2017, n° 15-24.713) ;
- L’employeur doit leur fournir toutes les informations leur permettant de donner leur avis sur les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte (ex. informations relatives aux possibilités de travail résiduelles du salarié, aux conclusions du médecin du travail, etc.).

NB. Le sens de l’avis des représentants du personnel ne lie pas l’employeur. Le fait qu’ils concluent à l’absence de possibilité de reclassement ou qu’ils émettent un avis favorable au licenciement ne suffit pas à libérer l’employeur de son obligation de recherche de reclassement.

4/ La lettre au salarié inapte sur l’impossibilité de reclassement.

Lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement (C. trav. art. L. 1226-2-1 : inaptitude non professionnelle et C. trav. art. L. 1226-12 : inaptitude professionnelle).

NB. Cette obligation ne s’imposait initialement que lorsque l’inaptitude physique du salarié était consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. La loi 2016-1088 du 8 août 2016 l’a étendue à l’inaptitude non professionnelle.

L’employeur est tenu de faire connaître au salarié par écrit non seulement l’impossibilité de reclassement mais également les motifs qui s’opposent à ce reclassement, avant l’engagement de la procédure de licenciement (Cass. soc. 20 mars 2013, n° 12-15.633).

5/ L’engagement de la procédure de licenciement.

En l’absence de possibilité de reclassement, l’employeur doit convoquer le salarié à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Pour rappel, la lettre de convocation doit comporter les informations suivantes :
- L’objet de l’entretien (le licenciement envisagé) ;
- Les date, heure et lieu de cet entretien ;
- La possibilité pour le salarié de se faire assister par un salarié de l’entreprise et, en l’absence de représentants du personnel dans l’entreprise, par un conseiller du salarié.

La date de l’entretien doit être prévue au moins 5 jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

L’absence du salarié à l’entretien préalable ne remet pas en cause la procédure de licenciement.

6. La consultation du CSE pour avis sur le projet de licenciement.

Le licenciement envisagé par l’employeur d’un membre élu à la délégation du personnel au CSE titulaire ou suppléant ou d’un représentant syndical au CSE ou d’un représentant de proximité est soumis au CSE, qui donne un avis sur le projet de licenciement (C. trav. art. L. 2421-3).

NB. Pour mémoire, d’autres cas de protection existent.

Afin de permettre au CSE de se prononcer, l’employeur doit nécessairement l’informer du ou des mandat(s) détenu(s) par le salarié (CE 13 novembre 1992, n° 103649) et des motifs du licenciement envisagé (Cass. crim. 3 décembre 2002, n° 02-81452).

Lorsqu’il n’existe pas de CSE dans l’entreprise ou l’établissement, l’inspecteur du travail est saisi directement.

Attention  : le salarié protégé doit être auditionné par le CSE, sous peine de nullité de l’avis du comité (CE 29 juin 1990, n° 87944). Si le salarié protégé est membre du CSE, il doit être convoqué à un double titre : en qualité de salarié devant être auditionné et en qualité de membre du CSE.

Enfin, précisons que, s’il est membre du CSE, le salarié protégé doit pouvoir prendre part au vote (Cass. soc. 11 juin 1981, n° 79-41592).

7. La saisine et le contrôle de l’inspecteur du travail.

Une fois émis l’avis du CSE, l’employeur dispose d’un délai de 15 jours pour présenter une demande d’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail.

La demande d’autorisation doit être accompagnée a minima du procès-verbal du CSE (C. trav. art R. 2421-10), de l’avis d’inaptitude et de la preuve des recherches de reclassement.

L’inspecteur du travail compétent est celui du lieu d’exécution du contrat de travail. Si le travail s’exécute habituellement en dehors de tout établissement, il faut retenir l’établissement auquel le salarié se trouve rattaché pour sa gestion (Circ. DGT 07-2012 du 30-7-2012).

La demande d’autorisation doit être adressée à l’inspecteur du travail par voie électronique ou par lettre RAR en double exemplaire indiquant le ou les motifs de rupture envisagés (C. trav. art. R 2421-1, R 2421-10 et R 2421-15) ainsi que le ou les mandats détenus par le salarié (CE 20 mars 2009 n° 309195).

À défaut, l’inspecteur du travail doit refuser l’autorisation sollicitée (CE 13 décembre 2005, n° 277748).

L’inspecteur du travail saisi de la demande d’autorisation de licenciement a notamment pour mission de contrôler :
- Le respect de la procédure spéciale de licenciement et la consultation des représentants du personnel sur le reclassement du salarié (CE 22 mai 2002, n° 221600) ;
- Les efforts de reclassement prodigués par l’employeur (CE 30 décembre 1996, n° 163746) ;
- L’absence de lien entre le licenciement et le mandat de représentation du personnel.

Enfin, après avoir procédé à une enquête contradictoire (audition de l’employeur et du salarié), l’inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de 2 mois (C. trav. art R. 2421-11).

Si celle-ci est positive, l’employeur peut alors procéder au licenciement du salarié protégé pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

En revanche, le silence gardé pendant plus de 2 mois vaut décision de rejet (C. trav. art R. 2421-11).

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b
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