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Égalité Femmes/Hommes : pourquoi l’index est un outil biaisé ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Marion Simoné, Elève-avocat.
Parution : lundi 15 juillet 2019
Adresse de l'article original :
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Le 1er septembre 2019, les entreprises entre 251 et 1.000 salariés devront publier leur index égalité Femmes/Hommes.

A défaut de publication, la pénalité est la même qu’en l’absence de mesure visant à réduire les écarts salariaux, et peut s’élever jusqu’à 1% des rémunérations et gains perçus par l’entreprise (L. 2242-8 C.trav). (Voir notre article : Egalité de salaire femmes/hommes : comment calculer l’index ?)

Les décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019 et n° 2019-382 du 29 avril 2019 ont précisé la mise en œuvre de l’index égalité femmes/ hommes.

Cet index permet de calculer les disparités de rémunération entre les femmes et les hommes dans les entreprises de plus de 50 salariés.

Toutefois, malgré de bonnes intentions, de nombreuses critiques peuvent être formulées à son égard.
C’est l’objet de notre article.

1) Une répartition peu pertinente des salariés.

Le décret du 8 juin 2019 permet de regrouper les salariés par catégories professionnelles : ouvriers, employés, techniciens/ agents de maîtrise, ingénieurs et cadres.

Une répartition plus fine par classification de branche ou cotation interne nécessite une consultation du CSE, qui peut être décourageante pour l’employeur (Annexe 1 du décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019).

Première critique : les bases de comparaisons initiales sont trop larges et ne permettent pas une comparaison pertinente des salariés.

2) Les pondérations des indicateurs occultent les résultats.

Sur les 5 indicateurs, chacun représente un niveau de points différents :
- Ecart de rémunération : 40 points ;
- Ecart de taux d’augmentation individuelle de salaire : 20 points ;
- Ecart de taux de promotion : 15 points ;
- Pourcentage de salariées augmentées à leur retour de congé maternité : 15 points ;
- Nombre de salariés du sexe sous-représenté parmi les dix salariés ayant perçu les plus hautes rémunérations : 10 points.

Or cette répartition des points peut permettre à un employeur d’obtenir in fine une bonne note alors même que le constat des inégalités est présent.

2.1) Obligation d’augmenter les salariées à leur retour de congé maternité : une violation non sanctionnée.

L’indicateur permettant de calculer le pourcentage de salariées augmentées à leurs retours de congé maternité est noté sur 15 points.

Il s’agit d’une obligation légale prévue par l’article L. 1225-26 du Code du Travail.

Or, un employeur dont la note est de 0/15 à cet indicateur pourra tout de même obtenir une note supérieure à 75 points.

A contrario, un employeur qui augmenterait toutes ses salariées de retour de congé maternité d’un montant équivalent à 1 euro obtiendra l’ensemble des points soit 15/15.

Deuxième critique : la violation de l’obligation légale d’augmenter les salariées à leur retour de congé maternité n’a ni conséquence pécuniaire ni répercussion particulièrement négative sur la note globale de l’indicateur.

2.2) Application d’un seuil de pertinence atténuant les écarts de rémunération.

Le tableur Excel prévu par le ministère du travail applique automatiquement ce qui est appelé le « seuil de pertinence », qui correspond à une marge de tolérance [1].

La logique est celle d’appliquer une tolérance d’écart pour des catégories aussi large, regroupant des niveaux de responsabilité non identiques, et de ne pas pénaliser l’entreprise.

Deux cas de figures se présentent alors à l’employeur :
- Il applique les CSP classiques, son seuil de pertinence est de 5% ;
- Il applique une répartition différente, plus fine, son seuil de pertinence est de 2%.

Or, une entreprise qui pratique un écart de rémunération moyenne de 15%, donc de 10% après l’application automatique du seuil de pertinence pourra se prévaloir d’une note de 30/40 points et une note globale de 90/100.

Troisième critique : le seuil de pertinence appliqué en matière d’écarts de rémunération permet de camoufler des écarts importants qui ne sont pas révélés par la note finale.

3) Les indicateurs ne reflètent pas les réalités des entreprises.

Les indicateurs qui comptent le plus de points à savoir celui de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes et l’écart d’augmentation individuelles négligent deux aspects très importants :
- Les temps partiels ;
- Le montant de la différence d’augmentation.

En effet, cette rémunération est calculée en équivalent temps plein et exclu notamment les heures supplémentaires, ou les majorations versées les dimanches ou les jours fériés.

Or, 85% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, en effaçant ces différences structurelles, c’est une partie des inégalités qui n’est pas prise en compte [2].

Par ailleurs, la réalité des augmentations n’est pas prise en compte, de sorte qu’une revalorisation des salaires par la convention collective sera considérée comme une augmentation.

En conséquence, selon cet indicateur hommes et femmes auront été augmenté, quand bien même une femme aura simplement vu son salaire revalorisé d’une dizaine d’euros, quand un homme aura touché lui une augmentation d’une centaine d’euros.

Quatrième critique : les indicateurs ne prennent pas en compte les écarts d’augmentation individuelles et les temps partiels, donnant une image biaisée de la réalité de l’entreprise sur l’égalité Femmes / Hommes.

4) La mise en œuvre des sanctions par l’Inspection du Travail un projet difficile.

Tant sur le montant des sanctions que la procédure de contrôle et la mise en œuvre, la procédure reste floue.

D’autant plus que le projet du gouvernement projette un minimum de 7.000 contrôles par an pour les inspecteurs du travail [3].

Aujourd’hui il existe un peu plus de 1.000 inspecteurs en France et la mise en œuvre de ce décret doit se faire à effectif constant.

Cinquième critique : les sanctions prévues, par les délais accordés, ne sont pas assez dissuasives pour les entreprises.

5) Un défaut réel de transparence.

L’entreprise doit publier l’index sur son site internet, si elle en a un, ou à défaut le porter à la connaissance de ses salariés par tous moyens.

L’index correspond à une note sur 100 points résultant de l’addition des indicateurs.

Aussi, selon nous, il est regrettable que le décret n’impose pas la publication de l’ensemble des indicateurs.

Sixième critique : en l’absence de l’obligation de publier l’ensemble des indicateurs, la note globale n’est en aucun cas révélatrice de la situation réelle de l’entreprise.

En conclusion, malgré de bonnes intentions, le paramétrage du tableur Excel proposé par le Ministère du Travail et la mise en œuvre du décret, permettent aux entreprises de dissimuler aisément des écarts, et restent très en deçà des attentes légitimes en terme d’égalité femmes / hommes.

Malgré de bonnes intention, l’index Egalité Femmes / Hommes n’est pas suffisant pour faire cesser les disparités de salaires entre les Femmes et les Hommes.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Lien vers le tableur.

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