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Véhicules autonomes : et si la parole était donnée aux usagers ? Par Jean-Baptiste le Dall, Avocat et Céline Genzwurker-Kastner, Directrice juridique.
Parution : mardi 16 juillet 2019
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Sous le nom de « Code de la route des robots », le projet de consultation soutenu par l’Automobile Club Association et le MAP (l’Observatoire des experts de la mobilité), a pour ambition de recueillir l’avis des usagers de demain sur le véhicule autonome avec à terme l’idée d’un projet de réglementation telle qu’elle pourrait être souhaitée par ces usagers (Lien vers le questionnaire en bas de l’article.)

Parler du véhicule autonome et surtout de son futur encadrement juridique fait briller les yeux de nombreux juristes. Si l’avènement de la voiture sans conducteur pourrait à terme faire fondre un contentieux qui occupe encore aujourd’hui de nombreux professionnels du droit (on pense au droit pénal routier mais également au contentieux de l’assurance automobile), la mise en place d’une nouvelle réglementation ne peut qu’enthousiasmer le juriste.

L’élaboration d’un corpus juridique adapté au véhicule autonome est d’autant plus intéressante que les enjeux dépassent largement le secteur automobile. Le véhicule autonome n’est jamais qu’une voiture dont la conduite est déléguée à une forme d’intelligence artificielle : une voiture avec un robot derrière le volant.

Mais aujourd’hui, les robots et d’une manière générale l’intelligence artificielle ont déjà fait leur arrivée dans de nombreux domaines, sans que ne se soit réellement posée la question de l’élaboration d’une réglementation.

Traditionnellement le législateur a toujours un peu de retard par rapport à l’éclosion de nouvelles technologies. Le temps de gestation de nouvelles normes offre d’ailleurs aux pouvoirs publics le recul nécessaire à la définition d’un cadre juridique adapté. De façon plus pragmatique, l’absence de contrainte juridique peut favoriser l’innovation et l’éclosion de nouveaux acteurs de marché. L’arrivée dans nos agglomérations des NVEI (les nouveaux véhicules électriques individuels) en offre le parfait exemple : l’absence de cadre aura permis le développement de différents engins, le législateur ne devrait donc pas oublier tel mono-roue ou tel hoverboard dans les futurs textes. Et surtout cette situation aura, peut-être, permis à une forme de sélection naturelle de s’opérer offrant des places de leaders à certains opérateurs devenant tout naturellement des interlocuteurs privilégiés pour un législateur ou des responsables politiques locaux.

L’intelligence artificielle et les robots ont déjà poussé la porte du secteur hospitalier ou encore de l’armement sans que les législateurs ne se soient forcément émus de cette immixtion.

Pour l’automobile, le contexte juridique est un peu différent. Quasiment toutes les législations interdisent, en l’état, l’arrivée des véhicules autonomes sur le bitume avec toujours la même barrière à l’entrée : l’obligation pour tout véhicule d’avoir un conducteur…

En France, on retrouve cette obligation à l’article R.412-6 du Code de la route.
Article R412-6 : « Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur. Celui-ci doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit notamment faire preuve d’une prudence accrue à l’égard des usagers les plus vulnérables… »

Il est amusant de constater que c’est toujours le même article d’une obscure partie réglementaire du Code de la route qui vient prendre toute la lumière de l’actualité. Ce sont en effet les dispositions de ce même article R. 412-6 qui s’étalent tous les étés dans la rubrique des faits divers après la verbalisation d’un conducteur en tongs ou d’une automobiliste dévorant une glace au volant.

C’est toujours ce même article, arrivant cette fois-ci dans la rubrique société, qui avait entraîné la verbalisation d’une conductrice vêtue d’un niqab. Encore une fois l’article R.412-6 se retrouve sous le feu des projecteurs. Ce qui est vrai pour notre réglementation nationale l’est également au niveau international. La Convention de Vienne sur la circulation routière du 8 novembre 1968 dont l’article 8 prévoit, en effet, que « tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur… » Cette convention a fait l’objet d’un amendement le 23 mars 2016 pour permettre l’arrivée des véhicules autonome (avec désormais la précision que « les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite d’un véhicule qui ne sont pas conformes aux prescriptions en matière de construction, de montage et d’utilisation susmentionnées sont réputés conformes (…) pour autant qu’ils puissent être neutralisés ou désactivés par le conducteur »).

La présence de barrières identiques (à l’exception notable des États-Unis et de la Chine qui ne sont pas signataires de la Convention de Vienne) et la nécessité pour les concepteurs et constructeurs de véhicules autonomes de confronter leurs prototypes aux vicissitudes de la vie réelle ont tout naturellement incité les états à aménager leurs législations.

Pays de constructeurs automobiles, la France ne pouvait bien évidemment restée sur le bord du chemin alors même que nous comptons encore deux champions internationaux avec PSA et Renault. Le législateur français a donc créé un régime dérogatoire, temporaire pour permettre la circulation sur nos routes de véhicules autonomes à titre expérimental.

La première pierre à l’édifice a été posée il y a déjà quelques temps avec l’Ordonnance n°2016-1057 du 3 août 2016 relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques. Et la dernière touche à ce dispositif a été apportée par le biais de la récente loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi PACTE qui est venue sur la question des véhicules autonomes remanier les dispositions de l’Ordonnance de 2016.
« L’objectif de la présente mesure est d’élargir le champ des expérimentations aux situations d’inattention ou d’absence de conducteurs et aux engins de livraison urbaine automatisés, et d’arrêter les régimes de responsabilité en l’absence de conducteur afin d’offrir aux expérimentations des règles identifiées en matière de sécurité routière et de poursuivre ces expérimentations » (Projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises).

« La délivrance de l’autorisation est subordonnée à la condition que le système de délégation de conduite puisse être à tout moment neutralisé ou désactivé par le conducteur. En l’absence de conducteur à bord, le demandeur fournit les éléments de nature à attester qu’un conducteur situé à l’extérieur du véhicule, chargé de superviser ce véhicule et son environnement de conduite pendant l’expérimentation, sera prêt à tout moment à prendre le contrôle du véhicule, afin d’effectuer les manœuvres nécessaires à la mise en sécurité du véhicule, de ses occupants et des usagers de la route. » (Ordonnance n° 2016-1057, 3 août 2016, art. 1er, tel que modifié par l’article 125 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019).

Avec la loi PACTE, le législateur contourne en quelque sorte l’obstacle en éludant la question du conducteur et en autorisant la présence d’un conducteur en dehors du véhicule…

Une telle position peut parfaitement être entendue dans le cadre d‘une expérimentation où l’on sait que par définition le véhicule est scruté à chaque instant par des ingénieurs chargés d’observer le comportement du véhicule et de traquer les moindres défaillances.
Mais les ajustements apportés par la loi PACTE montrent l’imminence de la mise en place d’un encadrement ad hoc qui s’avère être une des ambitions de la loi LOM tant attendue.

Or aujourd’hui nombreux sont les opérateurs à faire entendre leurs voix pour expliquer ce qu’ils attendent du véhicule autonome, comment ils perçoivent un marché ou redoutent telle ou telle contrainte.

Constructeur automobile, assureur, équipementiers, fournisseur de logiciels, de cartes, de capteurs… les opérateurs sont si nombreux à anticiper un impact du véhicule autonome dans leurs domaines que l’on comprend la multiplicité des prises de parole sur le sujet.
Mais il n’y a finalement guère que les usagers qui, peut-être, sont malgré tout les premiers concernés à ne pas s’exprimer sur la question.

De ce constat est née l’idée de partir à la rencontre de ces usagers et de les interroger sur la façon dont ils peuvent aujourd’hui percevoir le véhicule autonome : quelles sont leurs attentes, ont-ils des craintes par rapport à une technologie ou une autre ?

Nous avons à cet effet réuni une équipe de six professionnels travaillant chacun dans leurs domaines sur des problématiques liées au véhicule autonome pour élaborer un questionnaire pouvant être soumis au grand public.

Au travers de questions liées à la réglementation, à l’entretien, à l’assurance ou même des problèmes d’éthique, la consultation accessible en ligne a également vocation à rendre plus concrètes des interrogations auxquels ne s’intéressent pas encore forcément des conducteurs pour lesquels le véhicule autonome demeure très abstrait.

Des réponses apportées à ces questions, pourra être élaborée une proposition, un projet de réglementation telle qu’elle pourrait être souhaitée par les conducteurs ou plutôt les usagers de demain.

Aura-t-on encore besoin d’un permis de conduire ou d’une autorisation administrative pour utiliser un véhicule autonome ? Un véhicule autonome devrait-il pouvoir circuler sans passager à son bord ? Un véhicule autonome peut-il privilégier la protection de tiers à celle de ses propres usagers ? Un usager peut-il choisir d’ignorer des consignes données par le véhicule ou d’ignorer des procédures de mise à jour du logiciel… Autant de questions qui sont posées aux usagers qui peuvent ainsi accompagner leurs réponses de commentaires ou d’observations.

L’équipe de rédaction du questionnaire a également fait des propositions aux usagers en leur soumettant l’idée de la désignation préalable obligatoire d’un passager responsable qui pourrait, par exemple, être à même de reprendre les commandes si le véhicule devait cesser brutalement de fonctionner en mode autonome.

A l’image de Jules Perrigot, simple particulier, certes Président de l’automobile Club des Vosges, qui en 1905 avait élaboré le premier Code de la route plus de quinze ans avant que le pouvoir réglementaire ne se saisisse de la question ; au-delà de la consultation, le projet de Code de la route des robots porte en lui l’idée d’offrir la parole aux usagers. Et si les pouvoirs publics souhaitaient un jour prendre en compte les attentes des conducteurs français, peut-être certaines réponses pourraient être trouvées dans les réponses qu’apportent aujourd’hui les usagers.

Les questions soumises aux usagers ont été rédigées pour permettre à un profane, tout du moins à un non juriste d’en saisir aisément le sens. Mais rien n’interdit bien sûr aux juristes de répondre à la consultation portée par l’Automobile Club Association et le MAP, l’Observatoire des experts de la mobilité.

Pour vous lancer dans l’aventure, prévoyez une trentaine de minutes et c’est ici. [1]

Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit, Président de la Commission ouverte Droit routier du Barreau de Paris & Céline Genzwurker-Kastner, Directrice juridique et des politiques publiques, Automobile club association (ACA)

[1Jean-Baptiste le Dall et Céline Genzwurker-Kastner font partie du collectif ayant rédigé le questionnaire soumis actuellement aux usagers.