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La Cour de cassation valide le « barème Macron ». Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : mercredi 17 juillet 2019
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L’avis était attendu… Réunie en formation plénière le 17 juillet 2019, la Cour de cassation rend deux avis (avis n°15012 et n°15013) favorables au barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit « barème Macron. »

1/ Le contexte juridique.

Depuis le 24 septembre 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est encadrée par des planchers et des plafonds.

En effet, si le juge considère que le licenciement d’un salarié survient sans cause réelle ni sérieuse, le montant de l’indemnité mise à la charge de l’employeur oscille entre des montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau figurant à l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Cette indemnité, exprimée en mois de salaire brut, varie selon l’ancienneté du salarié et le nombre de salariés dans l’entreprise (moins de 11 ou 11 et plus).

En pratique, en cas de licenciement abusif, les salariés ont perdu un potentiel d’indemnisation devant le Conseil de prud’hommes, du fait de cet encadrement légal.

A titre d’exemples :
- dans une entreprise de moins de 11 salariés, l’indemnité allouée au salarié de 2 ans d’ancienneté est comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire brut ;
- dans une entreprise de plus de 11 salariés, l’indemnité allouée au salarié de 9 ans d’ancienneté est comprise entre 3 et 9 mois de salaire brut.

2/ Une mesure décriée.

Cette mesure est contestée par certains Conseils de prud’hommes (« CPH ») qui ont décidé de s’en affranchir (ex. CPH Troyes 13-12-2018, n° 18/00036 ; CPH Lyon 21-122018, n° 18/01238 ; CPH Montpellier 17-5-2019, n° 18/00152,…).

L’argumentation consiste généralement à soutenir que les dispositions du Code du travail fixant le barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont contraires :
- à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), selon lequel l’indemnité versée dans ce cas doit être adéquate ou prendre toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ;
- à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales était également invoqué par certains justiciables.

D’autres CPH, au contraire, ont décidé d’appliquer le barème Macron (ex. CPH Le Mans 26-09-2018, n° 17/00538 ; CPH Paris 27-03-2019, n° 18/07046,…).

Les Cours d’appel de Paris et de Reims devraient rendre un arrêt le 25 septembre 2019 sur cette question.

Pour rappel, le « barème Macron » n’est pas applicable dans certains cas considérés comme graves (ex. nullité du licenciement en lien avec un harcèlement moral ou sexuel, en violation du statut des salariés protégés, en application d’une mesure discriminatoire,…).

3/ La position du Ministère de la Justice.

Afin de contenir la fronde des CPH, une circulaire du Ministère de la Justice a été adressée, le 26 février 2019, notamment aux Procureurs généraux près des Cours d’appel, sollicitant du Ministère public qu’il se porte partie jointe aux appels des jugements qui ont écarté l’application du barème.

Dans cette circulaire, le Ministère de la Justice a rappelé que le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle ni sérieuse a été soumis au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel :
- le Conseil d’État a considéré que le barème n’est pas en contradiction avec la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ni avec la Charte sociale européenne (CE 7-12-2017, n° 415243) ;
- le Conseil constitutionnel, à l’occasion de l’examen de la loi de ratification des ordonnances « Macron », a estimé le barème conforme à la Constitution (CC, décision n° 2018-761 DC du 21-03-2018).

4/ Les avis de la Cour de cassation.

Le lundi 8 juillet 2019, la formation plénière de la Cour de cassation s’est réunie pour examiner deux demandes d’avis, émanant des CPH de Louviers et de Toulouse, au sujet de la conformité du barème aux conventions internationales.

Dans l’avis n°15013 du 17 juillet 2019 (le plus complet), la Cour de cassation considère que :

« Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions précitées de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. »

NB. L’avis n°15012 est moins complet car la Cour de cassation ne s’est prononcée que sur l’effet, en droit interne, des dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée.

Le sens de ces avis n’est pas étonnant.

En effet, lors de l’audience du 8 juillet dernier, l’Avocate générale de la Cour de cassation avait requis l’application des ordonnances Macron, estimant qu’il y avait « urgence à unifier la jurisprudence en la matière. »

Elle ajoutait que solliciter « une réparation appropriée » signifierait uniquement « allouer une indemnité qui conviendrait aux circonstances. »

Rappelons que les avis de la Cour de cassation (environ une dizaine par an) ne sont pas obligatoires car ils n’emportent pas autorité de la chose jugée.

L’article L. 441-3 du Code de l’organisation judiciaire dispose en effet que « l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande. »

En d’autres termes, les CPH de Louviers et de Toulouse, comme les autres juridictions saisies du sujet, seront libres de suivre - ou pas - les avis du 17 juillet 2019.

Il appartiendra à la Cour de cassation de se prononcer à nouveau, lorsqu’elle sera saisie sur le fond d’une affaire et non plus dans le cadre d’un « simple » avis.

Si la Cour de cassation confirme sa position, les plaideurs les plus tenaces et motivés pourront alors se retrouver sur le terrain du droit communautaire et européen.

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b