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Résiliation judiciaire : est-elle possible en cas de non-paiement de ses heures supplémentaires ? Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : mercredi 24 juillet 2019
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Dans un arrêt du 2 juillet 2019, la Cour d’appel de Paris (Pôle 6 – Chambre 11) reconnaît que le non-paiement d’heures supplémentaires par un employeur constitue un manquement suffisamment grave justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.
Au total, le salarié obtient 37.000 euros bruts.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris n’est pas définitif car la société s’est pourvue en cassation.

1) Faits et procédure.

Monsieur X a été engagé par l’IFOCOP à compter du 7 octobre 2010, en qualité de Responsable de formation, sous trois CDD de remplacement sans terme certain.

A compter du 7 novembre 2011, Monsieur X a été engagé en CDI.

Le 12 décembre 2014, Monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris en résiliation judiciaire de son contrat de travail faisant valoir notamment le harcèlement moral dont il était victime ainsi que des rappels de salaires pour heures supplémentaires.

Le 20 novembre 2015, Monsieur X a été licencié pour cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 6 avril 2017, le Conseil de prud’hommes, en sa formation de départage, a condamné l’IFOCOP à payer à Monsieur X la somme de 4.000 euros à titre de rappels de salaires, outre la somme de 400 euros au titre des congés payés afférents.

Monsieur X a interjeté appel de ce jugement.

2) L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 2 juillet 2019.

Dans son arrêt du 2 juillet 2019, la Cour d’appel de Paris :

Confirme le jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Monsieur X de ses demandes relatives au harcèlement moral et à l’obligation de sécurité de résultat.

Requalifie le CDD de Monsieur X du 1er août 2011 en CDI.

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Condamne l’IFOCOP à payer à Monsieur X les sommes suivantes :
- 2.000 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 7.713,14 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires effectuées entre le 7 octobre 2010 et le 31 décembre 2014 majorée de 771,31 euros à titre de congés payés ;
- 607,82 euros à titre de rappel de rémunération au titre du repos compensateur au titre de l’année 2011 ;
- 250 euros de dommages -intérêts pour non-respect de la durée maximale journalière de travail ;
- 250 euros de dommages -intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire de travail ;
- 250 euros de dommages -intérêts pour non-respect de la visite médicale périodique ;
- 10.000 euros à titre de dommages -intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- 13.490,10 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
- 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Ordonne le remboursement par l’IFOCOP à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite d’un mois d’indemnité.

3) La Cour d’appel prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur X aux torts de l’IFOCOP.

3.1) Sur la demande de requalification des CDD de Monsieur X en CDI.

Monsieur X sollicitait la requalification de ses CDD de remplacement en CDI.

La Cour d’appel a tout d’abord considéré que la demande de Monsieur X n’était pas prescrite.

Ainsi, la Cour d’appel rappelle que Monsieur Z a saisi le conseil des prud’hommes et formé sa demande de requalification le 12 décembre 2014, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

A la date de la promulgation de la loi nouvelle, soit au 17 juin 2013, la prescription quinquennale sur la demande de requalification de ses contrats à durée déterminée conclus entre 2010 et 2011 n’était pas acquise, de sorte que le nouveau délai de 2 ans a commencé à courir à cette date sans toutefois que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée de 5 ans prévue par la loi antérieure.

Il en résulte que les demandes du salarié en requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus à compter du 7 octobre 2010 venus à échéance le 14 mai 2011 et en paiement d’une indemnité de requalification ne sont pas prescrites du fait de l’interruption de la prescription par la saisine, le 12 décembre 2014, du conseil des prud’hommes, et que par conséquent elles sont recevables.

Ensuite, la Cour d’appel relève que l’article L.1242-7 prévoit que lorsque le contrat à durée déterminée comporte un terme imprécis doit être conclu pour une durée minimale, à défaut de quoi, le contrat est réputé à durée indéterminée.

En l’occurrence, le troisième CDD conclu par Monsieur X ne comportait pas de durée minimale de sorte que la requalification de la relation contractuelle s’impose.

3.2) Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur X aux torts exclusifs de l’IFOCOP.

a) Sur le harcèlement moral.

La Cour d’appel a tout d’abord rappelé qu’en application de l’article L. 1152-1 du Code du travail, "aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

En vertu de l’article L1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement moral ou sexuel, ni pour avoir témoigné de tels faits ou pour les avoir relatés.

Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à un harcèlement le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par application de l’article L1152-3, toute décision ou tout acte contraire aux dispositions des articles précités est nulle.

Il est imposé à l’employeur par l’article L1152-4 de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En outre, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, doit en assurer l’effectivité en application des dispositions de l’article L. 4121-1 du Code du travail.

En l’occurrence, Monsieur X versait aux débats des attestations décrivant un climat délétère au sein du centre de formation mais démontrait également avoir fait état dans une évaluation de 2014 d’une souffrance au travail.

Monsieur X dénonçait également un courrier de rappel à l’ordre qu’il estimait injustifié, d’avoir été écarté d’une promotion et mis à l’écart dès février 2015.

Enfin, Monsieur X versait aux débats des certificats médicaux attestant de la dégradation de son état de santé.

La Cour d’appel a déduit de ces éléments, pris dans leur ensemble, que Monsieur X établissait la matérialité de faits précis et concordants à l’appui de sa demande.

Néanmoins, la Cour d’appel a estimé que l’IFOCOP démontrait que ses décisions étaient justifiées par des éléments extérieurs à tout harcèlement moral.

Ainsi, la Cour d’appel estime que le management radicalement différent constaté par Monsieur X dans les deux centres de formation auxquels il a été affecté ne démontre pas en quoi les conditions de travail étaient insupportables.

En outre, les juges du fond ont estimé que la saisine du CHSCT aux fins d’enquête n’était pas tardive.

b) Sur le paiement des heures supplémentaires, le non-respect du contingent annuel d’heures supplémentaires et sur les manquements relatifs au dépassement de la durée du travail.

Afin d’étayer sa demande d’heures supplémentaires, Monsieur X versait aux débats :
- un tableau synthétique des heures supplémentaires qu’il soutient avoir effectuées ;
- les relevés de pointage de l’IFOCOP ayant servi de base au tableau précité, faisant apparaître les heures d’arrivée, de pause et de départ en fin de journée ;
- des témoignages de salariés confirmant la présence de Monsieur X au-delà des heures de travail.

Aussi, la Cour d’appel a considéré que Monsieur X produisait des éléments préalables pouvant être discutés par l’employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

En réponse à ces éléments, l’IFOCOP faisait observer n’avoir jamais donné l’autorisation à Monsieur X d’effectuer ces heures supplémentaires.

La Cour d’appel relève néanmoins qu’il est de droit que le fait que le salarié n’ait pas sollicité de sa direction l’autorisation préalable d’effectuer des heures supplémentaires dont l’employeur ne pouvait ignorer l’existence est sans effet sur le droit de l’intéressé d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires travaillées.

De la même façon il est admis que l’absence d’autorisation préalable n’exclue pas en soi l’accord tacite de l’employeur, dès lors qu’il résulte que celui-ci avait connaissance par les fiches de pointage, des heures supplémentaires effectuées par le salarié à l’exécution desquelles il ne s’était pas opposé et qu’il a donc consenti à leur réalisation.

Au regard de cela, la Cour d’appel a estimé que les heures supplémentaires étaient dues.

En sus du paiement des heures supplémentaires, la Cour d’appel a également condamné l’IFOCOP au paiement d’une indemnité pour non-respect du contingent annuel d’heures supplémentaires et pour non-respect des durées légales maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail.

c) Les manquements de l’IFOCOP à ses obligations salariales justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur X.

La Cour d’appel retient par conséquent, au vu de ce qui précède que l’employeur a manqué de façon répétée au respect de ses obligations salariales et notamment en matière de paiement de la part de salaire représentée par les heures supplémentaires ou de respect du contingent autorisé conventionnellement concernant ces heures supplémentaires et dans une moindre mesure sur l’amplitude journalière ou maximale de travail.

La Cour d’appel en déduit que l’employeur a ainsi failli à ses obligations essentielles inhérentes au contrat de travail et que ces manquements étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La Cour d’appel a ainsi fixé la date de rupture du contrat à la date d’envoi de la lettre de licenciement et condamné l’IFOCOP à payer à Monsieur X la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

d) Sur l’indemnité pour travail dissimulé.

Enfin, la Cour d’appel a condamné l’IFOCOP à une indemnité pour travail dissimulé, relevant que du fait de l’existence des cartes de pointage et des instructions données aux chefs de service sur le respect des amplitudes horaires, l’employeur ne pouvait ignorer l’existence des heures supplémentaires effectuées.

En outre, la Cour d’appel relève que les bulletins de paie de Monsieur X mentionnaient systématiquement une durée de travail de 151,67 heures et que l’IFOCOP ne s’expliquait pas sur les motifs pour lesquels les heures supplémentaires ne figuraient pas sur les fiches de paye.

e) Sur les dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la visite médicale périodique.

Monsieur X faisait valoir qu’à l’exception de la visite médicale d’embauche en octobre 2010, il n’avait été convoqué qu’à une seule visite médicale périodique le 7 janvier 2015.

L’IFOCOP répliquait qu’elle était bien affiliée à un centre de médecine du travail mais que si Monsieur X n’avait pas été convoqué c’est en raison de ses différentes mutations.

L’article R.4624-10 du Code du travail dans sa version applicable au litige dispose que "le salarié bénéficie d’examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois, par le médecin du travail".

En l’occurrence, l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’avoir satisfait à cette obligation, de sorte que le manquement est caractérisé, l’employeur ayant manqué à son obligation de de chef.

En l’état des explications et des pièces fournies, la Cour d’appel a estimé que ce défaut de suivi médical avait causé au salarié un préjudice qu’il convenait d’indemniser à hauteur de 250 euros.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum